Tome 18 n°2 - 2013


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L’anesthésie-réanimation pour transplantation d’organes en Afrique sub saharienne : rêve ou réalité ?

Anesthesia and resuscitation for organs transplantation in sub saharan Africa : dream or reality ?

octobre 2013, par Amonkou A.A.

Auteur correspondant : Amonkou Akpo Antoine. Email amonkoua1a2 chez gmail.com

Introduction :

La transplantation d’organes est la réalisation chirurgicale d’une greffe tissulaire à partir d’un organe prélevé sur un donneur au profit d’un receveur. Il s’agit d’une activité médicochirurgicale où l’anesthésiste- réanimateur demeure un acteur clé. L’Afrique noire francophone regorge désormais de tels acteurs dans nos centres hospitaliers. Ils n’auraient besoin que d’un renforcement de capacité et d’équipement. Le développement de cette discipline se heurte à un obstacle qui se situe à un niveau plutôt institutionnel et législatif.

Historique [1,5].

C’est en 1952 que la première tentative de greffe rénale a été réalisée, en France, à partir d’un donneur vivant. L’opération réalisée à l’hôpital Necker par l’équipe du Professeur Jean Hamburger, fut un succès. Mais 21 jours après sa greffe, le jeune homme, Marius Renard décède. Quelque soit les progrès et les prouesses chirurgicales, la réalisation de la greffe se heurte donc à un obstacle majeur, le phénomène du rejet [2]. Il s’agit d’un processus immunologique du type réaction Antigène- Anticorps, où l’organe transporté chez le receveur est traité comme un corps étranger et indésirable par l’organisme hôte, dès lors qu’il y a incompatibilité entre les 2 sujets. Pour que la greffe réussisse, il faut donc : 1) sélectionner les greffons selon le groupage sanguin compatible, et selon un système tissulaire appelé système d’histocompatibilité de greffe, ou système HLA ; 2) affaiblir le système immunitaire du receveur : cette méthode est appelée l’immunosuppression [3].
A la fin des années 50, l’Américain David Hume réalise la première greffe avec immunosuppression à partir d’un rein de donneur décédé. Malgré l’efficacité limitée et les lourds effets secondaires des traitements immunosuppresseurs de l’époque, les greffes rénales entre personnes non apparentées se multiplient dans les années 60. A la fin des années 60, plusieurs équipes réussissent la greffe d’autres organes que le rein, et notamment celle du coeur. Ainsi, en 1967, le Pr Christian Barnard tente la première greffe du coeur au Cap, en Afrique du
Sud. Et en 1968, le Pr Christian Cabrol réussit la première greffe cardiaque européenne, à Paris. Un an après la première greffe du coeur, 102 tentatives ont été réalisées dans le monde.
Mais la diversification des organes greffés ne sera favorisée que par la description du coma dépassé, dès 1959 par les neurologues français. Et en 1968, la notion de mort cérébrale est unanimement admise, par la compréhension de sa physiopathologie. Cette circonstance de décès est pourvoyeuse de dons d’organes [7]. Elle permet surtout de préserver artificiellement l’état fonctionnel des organes comme le rein du risque de dégradation rapide secondaire à l’arrêt circulatoire. Le maintien des grandes fonctions vitales permet ainsi de préserver leurs fonctionnalités, et de prélever et greffer plusieurs organes à la fois. Cette mission est en général dévolue à l’Anesthésiste- réanimateur. Pour prévenir des abus de tous genres, un cadre législatif est établi en Europe et en France pour encadrer les dons d’organes post- mortem [8,9,12]. Il s’agit des standards de bioéthique permettant la régulation de la transplantation. En France, le don d’organe repose ainsi sur la loi du 22 décembre 1976, dite « Loi Caillavet », qui a introduit le principe du « Consentement Présumé », selon le quel : chacun d’entre nous est considéré comme un donneur potentiel après sa mort, à moins de s’y être opposé de son vivant, en s’étant inscrit dans un registre national tenu à cet effet. Ce registre du refus est ouvert dans tous les centres hospitaliers. Cette loi a révolutionné le don d’organe dans toute l’Europe, sauf l’Allemagne et les Pays- bas, où seul le consentement éclairé est requis. Les règles relatives au don d’organes en France sont édictées par les articles L. 1231- 1 et suivants du code de la santé publique, modifiés par la loi bioéthique n° 2004- 800 du 06 août 2004, relative aux prélèvements tant sur donneur vivant que sur donneur décédé. Les lois bioéthiques sont édictées pour la première fois en 1994, où un établissement pour encadrer l’activité, a vu le jour : l’Etablissement français des Greffes, puis une agence, l’Agence de la Bioéthique, depuis 2005.
A côté de la bioéthique, il ne faudrait pas oublier le rôle capital joué par la Cyclosporine dans l’histoire de l’immunosuppression. Car avec cette nouvelle génération de médicaments anti- rejets, la survie des patients va être considérablement améliorée. Le nombre de prélèvements et de greffes explose : il passe en France d’environ 650 en 1982 à plus de 2400, 5 ans plus tard, tous organes confondus. En parallèle, des greffes difficiles obtiennent leurs premiers succès, comme la greffe coeur- poumon, réalisée par Brunce Reitz et Norman Shumway en 1981.
De 1958 à 1965 Jean Dausset, un scientifique français, découvre et identifie le système HLA (antigènes des leucocytes humains). Prof. Dr. Jon J. Van Rood, un jeune médecin de Leiden cherche et trouve que la correspondance du type HLA du donneur et du receveur a un effet positif sur les résultats de la transplantation. Mais la probabilité de trouver un donneur avec un type de tissu correspondant était faible. Pour faire le meilleur match possible, et pour élargir sa base de données, Rood Van crée « Eurotransplant » en 1967. Ce qui n’était qu’une expérience scientifique devient alors une fondation. C’est un organisme à but non lucratif qui facilite la répartition axée sur le patient et les échanges transfrontaliers d’organes de donneurs décédés. Il active les centres de transplantation et leurs tissus associés, utilise les laboratoires et les hôpitaux des donneurs d’organes de huit pays. Le système d’attribution repose sur des critères médicaux et éthiques. La structure organisationnelle est démocratique, avec un Conseil d’administration, un Conseil de gestion, une Assemblée, huit comités consultatifs et un groupe de travail [8,9,10].

Réalisation pratique dans le contexte Europeen

C’est la chaine du don, d’un donneur décédé à la réalisation de la greffe sur un receveur inscrit sur une liste d’attente enregistrée par Eurotransplant [8,10,11].
Lorsque malgré les soins intensifs un patient décède, et que les circonstances du décès rendent le prélèvement possible, tant que la décision de prélever n’est pas prise, les organes sont maintenus artificiellement en état de fonctionner, par l’équipe de réanimation, sous surveillance constante [7]. L’équipe de coordination consulte le registre national des refus. Conformément à la loi, l’équipe médicale consulte les proches. La famille du défunt est reçue par le médecin réanimateur et l’infirmier(e) de coordination. Du témoignage des proches, qui a valeur légale, dépend toue la chaine du prélèvement à la greffe. Quoique dans un climat chargé d’émotion, l’équipe doit agir avec délicatesse et diligence, pour préserver encore la qualité fonctionnelle des organes à prélever. Le laboratoire procèdera à l’analyse des prélèvements sanguins, statuant sur : l’absence de maladies transmissibles, telles que hépatite C, sida, paludisme,… (Bilan sérologique), le groupe sanguin et le typage tissulaire HLA. L’état des organes est également examiné, grâce aux clichés pris par imagerie médicale (échographie, scanner) : taille, qualité, Ces examens permettent d’orienter les organes vers des receveurs « compatibles » avec le donneur. La répartition des greffons obéit à des règles médicales et éthiques très précises. Elle est gérée par l’Agence de biomédecine. Dès que les organes sont attribués, le prélèvement est effectué au bloc opératoire par des chirurgiens expérimentés, avec les mêmes soins que pour une personne en vie, suivi de sutures et pansement. Le corps est remis ensuite à la famille pour les obsèques qui sont totalement prises en charge. Les greffons sont placés dans des glacières hermétiques assurant une hypothermie (T ≤ 4C). Chaque organe prend immédiatement le chemin de l’hôpital où l’attend son receveur. Le moyen de transport le plus rapide est utilisé : ambulance, train, avion,… Entre le moment où l’organe est prélevé et celui où il est greffé, il ne faut pas dépasser 3 à 4 heures pour le coeur, 12 – 18 h pour le foie, 6- 8h pour le poumon, 24- 36h pour le rein. La greffe se déroule au bloc opératoire, dans les conditions d’une opération chirurgicale de pointe. La priorité étant le rétablissement de la circulation sanguine dans l’organe, entrainant son réchauffement et sa remise en activité.

La situation en Afrique sub saharienne

Depuis 2012, la greffe se pratique en Côte d’Ivoire. Elle est initiée par l’équipe des néphrologues, et se résume en la greffe rénale uniquement. Il s’agit principalement de greffes provenant de donneurs vivants. Depuis bientôt un an, 7 greffes ont ainsi été réalisées avec succès. Les anesthésistes- réanimateurs ivoiriens ont piloté eux- mêmes cette anesthésie, qui fera date dans les annales médico- chirurgicales ivoiriennes. L’expérience ainsi acquise et le succès remporté prouvent que la transplantation rénale est une réalité dans ce pays africain au sud du Sahara. Et cette expérience peut s’exporter dans les autres pays qui partagent avec la Côte d’Ivoire un espace communautaire de développement scientifique et sanitaire. Cela est possible par la formation des acteurs de la sous région dont certains ont été qualifiés dans les écoles abidjanaises, mais aussi par l’instauration d’une coopération sud- sud. Le développement de la greffe rénale en Côte d’Ivoire est promis à un bel avenir, à cause des compétences locales, mais surtout de l’existence d’un centre national d’hémodialyse qui cumule une expérience de plus de 30 ans d’activités déjà. Les candidats à l’hémodialyse dans le système sanitaire public sont très nombreux, à peu près 3000 âmes, dont certaines malheureusement sont sur des listes d’attente, mais tous candidats à la greffe rénale. Le problème se pose au niveau des donneurs. Or les situations de mort cérébrale sont fréquentes dans les services de réanimation (TCC, AVC, Arrêts cardiaques…). C’est en conséquence au niveau au niveau de la législation ivoirienne que se pose le problème. Elle ne permet pas les prélèvements chez des sujets en état de mort cérébrale, si ceux-ci de leur vivant n’ont pas formulé leur volonté du don d’organe, matérialisé par un acte notarié devant le Procureur de la République : Loi n° 93- 672 du 9 août 1993, relative aux substances thérapeutique d’origine humaine et son Décret d’application : Décret n°2012- 18 du 18 janvier 2012, relatif aux substances thérapeutiques d’origine humaine autres que le sang. Ce qui est aux antipodes de la Loi Caillavet et de la législation européenne instituant le consentement présumé.

Conclusion

L’histoire de la transplantation est passionnante et belle, surtout quand celui que la mort a surpris peut prolonger la vie de ceux qui semblaient jusque- là condamnés en leur donnant ses organes. L’expérience européenne est l’exemple achevé de
collaboration entre la science, la philosophie et la solidarité humaine.
Avec l’expérience de certains pays d’Afrique sub saharienne comme la Côte d’Ivoire, on peut affirmer que la transplantation d’organes est un rêve devenu réalité. Passée la période de la phase pilote, il reste le passage à grande échelle. Ce qui risque de prendre du temps, si le cadre juridique des dons d’organes n’est pas amélioré dans les pays d’Afrique noire, à savoir l’adoption du ‘‘Consentement présumé’’. Pour accélérer le processus, il faudrait penser à des organisations supra nationales comme Eurotransplant, pour booster la révision des lois très conservatrices dans les pays africains. Ce type d’organisations existent déjà, c’est le cas de la CEDEAO, l’UEMOA, l’OOAS… Sur leurs initiatives et instigations, les choses peuvent évoluer dans le sens d’un Centre communautaire sous- régional de régulation des activités de greffe avec des directives législatives, scientifiques, éthiques et déontologiques incitatives à la transplantation. C’est à ce prix que la transplantation deviendra une réalité en Afrique sub saharienne.

Reférences

1. Jean-Noël Fabiani, Ces histoires insolites qui ont fait la médecine : In Les transplantations. Ed. Plon, 2012, Tome 2. 229 p. (ISBN 225921701X)
2. Billingham RE, Brent L, Medawar PB. « Actively acquired tolérance of foreign cells » Nature 1953 ;172 : 603-606
3. Murray JE, Merrill JP, Harrison JH, Wilson RE, Dammin GJ, Prolonged survival of human-kidney homografts by immunosuppressive drug therapy, N Engl J Med, 1963 ; 268 : 1315-323
4. Bernat JL, D’Alessandro AM, Port FK, Report of a National Conference on Donation after Cardiac Death , Am. J. Transplantation, 2006 ; 6 : 281-91
5. L’histoire de la greffe. Les débuts de la greffe rénale. www.dondorganes.fr/008.
6. La pénurie des greffes. L’augmentation des besoins en greffons. www.dondroganes.fr/002
7. L’origine des organes, les différents profils de donneurs. www.dondorganes.fr/003
8. La greffe en Europe. www.dondorganes.fr/009- la- greffe- en- europe. (mis à jour le07/12/12)
9. Legislation within the Eurotransplant region. www.eurotransplant.org april 2011 p1-3
10. The Eurotransplant Kidney Allocation System (ETKAS) : relational and implementation. Eurotransplant manual, October 2005, p 1- 25
11. Les différentes étapes de la greffe. www.dondorganes.fr/013
12. La législation française des dons d’organes. http:/ fr.wikipedia.org/wiki/Don_d27%organes

La vie de l'Anesthésie

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