Auteur correspondant : Dr Khalifa Ababacar WADE. Khalwade chez yahoo.fr
I. Introduction
L’histoire nous apprend que la ventilation artificielle a connu des évolutions avec le temps. Ce n’est qu’en 1928, avec le « poumon d’acier » de Drinker-Shaw, que les premières ventilations mécaniques de longue durée ont été réalisées durant l’épidémie de poliomyélite [1]. Cette ventilation était une forme de ventilation non invasive qui utilisait une pression négative [2 ; 3]. De nos jours, la Ventilation Artificielle (VA) fait partie des techniques de suppléance couramment utilisées en réanimation pour traiter les défaillances d’organes notamment neurologiqueet respiratoires. Cependant, elle garde ses effets secondaires sont loin d’être négligeables et parfois associées à une surmortalité[4].
II. But de l’étude
Nous nous étions fixé comme objectif d’analyser la morbi-mortalité, le devenir des patients et les facteurs prédictifs d’une ventilation mécanique prolongée en réanimation.
III. Patients et méthodes
Nous avions réalisé une étude rétrospective sur 30 mois allant du 1er janvier 2008 au 30 juin 2010. Etaient inclus tous les patients qui avaient bénéficié d’une ventilation mécanique durant la période de l’étude. Deux groupes différents de patients ont été opposés afin de faire ressortir les paramètres liés à la ventilation de longue durée. Ainsi, le groupe 1 représentait l’ensemble des patients dont la durée de ventilation mécanique était inférieure ou égale à 10 jours. Le groupe 2 quant à lui comportait les patients ventilés au-delà de 10 jours. Les paramètres étudiés étaient : les données socio-démographiques (âge, sexe), le diagnostic principal, les indications de la ventilation mécanique, la durée de ventilation mécanique, les complications de la ventilation mécanique, les facteurs liés à la ventilation mécanique prolongée, la durée du séjour en réanimation, la mortalité des patients ventilés.Le recueil des données s’est fait à partir des RUM (Résumés d’unité Médicale) et des dossiers des patients.
Nous avions alors réalisé une analyse univariée des données en utilisant le logiciel Statistical Package for Social Sciences (SPSS) avec un test t de Student, le χ² et des tests corrigés quand l’effectif était réduit. Nos résultats sont exprimés en moyenne plus ou moins écart-type.
Une valeur de p <0,05 était considérée comme significative.
IV. Résultats
VI.1. Aspects épidémiologiques
Sur les 826 patients hospitalisés durant la période de l’étude, 237 avaient bénéficié d’une ventilation mécanique soit une incidence de 28,69%. Le sex-ratio H/F était de 1,72. L’âge moyen des patients ventilés était de 39,14 ans ± 18,25 (les extrêmes de 4 et 90 ans).
Près de la moitié des patients ventilés (48,52%) n’avait aucun antécédent particulier.
VI.2. Aspects cliniques (Tableau I)
Le paludisme grave, les maladies neurologiques et les affections respiratoires représentaient par ordre de fréquence les premiers motifs d’admission pour lesquels les patients avaient été ventilés. Parmi les maladies neurologiques, les accidents vasculaires cérébraux représentaient 34,14%, les méningites 31,70%, et les comas d’étiologie indéterminée 24,39%. L’asthme aigu grave était la pathologie respiratoire la plus fréquente (41%), suivie par les pneumopathies bactériennes (17%).
IV.3. Durée de ventilation et de séjour en réanimation
Parmi les 237 patients qui avaient bénéficié d’une ventilation mécanique, 31 (13,08%) seulement l’avaient été au-delà de 10 jours.
La durée moyenne de séjour en réanimation de tous les patients ventilés était de 9,96 +/-10,51 jours (extrêmes de 1 et 88). La durée moyenne de séjour des patients ventilés au-delà de 10 jours était de 28,2 +/- 10,25 jours.
IV.4. Aspects évolutifsIV.4.1. Evolution favorable (Tableau II)
L’évolution était favorable chez 75 patients (31,64%). Cependant, sur les 31 patients ventilés au-delà de 10 jours, seulement 6 avaient eu une évolution favorable (19,35 %). L’évolution favorable étant définie comme un sevrage réussi et complet de ventilation mécanique avec extubation ou décanulation, et transfert du patient dans un autre service ou sortie à domicile.
Par contre l’évolution défavorable équivalait au décès du patient pendant la période de ventilation, soit 66,66% (la létalité des patients ventilés au-delà de 10 jours était de 80%).
Quatre patients avaient bénéficié d’une évacuation sanitaire en Europe intubés et ventilés.
V.4.2. Complications
Les complications directement liées à la ventilation mécanique
Les pneumopathies nosocomiales acquises sous ventilation mécanique représentaient la majorité des complications (15,6 %). Venaient ensuite les barotraumatismes représentés par lepneumothorax (5,9 %.) Les atélectasies, les bouchons de sonde, et les extubations accidentelles se partageaient chacune 1,6% (Tableau III).
Les principaux germes isolés au cours de ces pneumopathies étaient essentiellement l’Acinétobacter baumanii et le Klebsiella pneumoniae avec respectivement 39% et 22%. Dans 15% des cas, elles étaient indéterminées, et quelques cas de co-infections avaient été notés. Au sein de cette flore bactérienne, 63,15% étaient des bactéries multirésistantes (BMR). (Tableau IV).
Les autres complications dues au séjour en réanimation
Les complications liées au séjour en réanimation retrouvées dans notre étude étaient les infections urinaires (47%) et les escarres (41%). Neuf pour cent d’infection sur cathéters centraux avaient été notés et 3% d’ulcère de stress.
IV.4.3. La mortalité et les causes de décès
Sur les 237 patients ventilés, 158 étaient décédés soit une létalité de 66,66%.
La mortalité rapportée au nombre de patients hospitalisés durant la même période était de 19,12%.Trois causes majeures de décès étaient identifiées. Il s’agissait de la défaillance multi-viscéral choc septique exclu chez 60 patients (37,9%), du choc septique chez 35 patients (22,1%) et de l’engagement cérébral chez 26 patients (16,4%).
*IV.5. Les facteurs de risque de ventilation prolongée IV.5.1. Etude de la durée de ventilation par rapport aux défaillances viscérales à l’admission
Durée de ventilation et défaillance neurologique L’existence d’une défaillance neurologique à l’admission (p=0,047) était statistiquement corrélée à une durée de ventilation mécanique prolongée avec un Odds ratio = 2,4(Tableau V).
Durée de ventilation et autres défaillances L’existence de défaillance cardiovasculaire (p=0,103), de défaillance respiratoire (p=0,323), de défaillance rénale (p=0,102) ; de défaillance hépatique (p=0,805), à l’admission, n’avaient statistiquement pas influencé la durée de ventilation mécanique (Tableau V).
IV.5.2. Durée de ventilation et infections pulmonaires nosocomiales
Le croisement entre la durée de ventilation et la survenue d’une infection pulmonaire acquise sous ventilation (p=0,000) montrait que cette complication multipliait le risque de ventilation mécanique prolongée par 7,8 (Tableau V).
IV.5.3. Durée de ventilation et autres facteurs
La survenue d’un barotraumatisme au cours de la ventilation mécanique (p=0,624) n’influençait pas la durée de celle-ci. Il en était de même d’une sédation supérieure à 24h (p=0,139) (Tableau V).
IV.6. Modalités de sevrage
Parmi les 237 patients ventilés, 130 patients (54,85%) n’avaient pas bénéficié de procédure de sevrage car décédés avant cette étape.
Ainsi le sevrage de la ventilation mécanique était réalisé par l’usage du tube en T chez 39 patients (16,45%), et de la ventilation spontanée avec aide inspiratoire chez 15 patients (6%). Vingt-sept patients (11,39%) avaient bénéficié d’une trachéotomie. L’extubation était réalisée directement à l’issue de l’arrêt de la sédation chez 39 patients (16,45%). Pour les patients trachéotomisés, 81% l’avaient été pour une ventilation dépassant les 10 jours.
V. Discussion
Les différences d’incidence de la ventilation entre les pays Africains (28,69% dans notre étude et 15,8% dans une étude faite aux Comores) et les pays Européens (34% dans l’étude de Sennef [5] et 41% dans celle de Blot) [6] pourraient être expliquées par le fait que dans nos régions, même si les patients sont parfois aussi graves qu’en Europe, l’indication de mise sous machine est très souvent retardée du fait de la hantise de la survenue de complications notamment infectieuses.
La jeunesse de notre population d’étude (39 ans ± 18,25) pourrait être expliqué par le fait que l’admission des sujets jeunes prédomine dans notre cadre d’étude (âge moyen 42,4 ans selon les rapports annuels d’activités). D’autres auteurs comme Sennef rapportaient des tranches d’âges plus élevées supérieures à 60 ans [5]. Les pathologies chez eux sont essentiellement dominées par l’insuffisance cardiaque congestive et les décompensations aiguës des BPCO.
La sévérité des défaillances neurologiques et/ou respiratoires qui accompagnent souvent certaines affections comme le paludisme grave, les maladies neurologiques, respiratoires et traumatiques pourrait expliquer le fait qu’elles soient les premiers motifs de ventilation mécanique dans notre étude.
La durée moyenne de ventilation dans notre étude était de 5,51 jours non loin de celle retrouvée par Ndiaye et coll [7] dans le même service qui était de 5,1 jours et par Seneff aux Etats-Unis qui était de 4,7 jours [5]. Durasnel, quant à lui avait retrouvé dans une étude faite aux Comores, une durée moyenne de ventilation légèrement inférieure aux nôtres (3,1 jours)[8]. Dans une étude multicentrique réalisée en occident sur 18000 patients, une durée moyenne de ventilation de 6 jours a été retrouvée [9]. Quant à la durée moyenne de séjour en réanimation des patients ventilés, elle était de 9,96 jours comparable à celle retrouvée par Stauffer qui était de 10 jours chez des patients adultes ventilés pour une détresse respiratoire aiguë[10].
La ventilation mécanique s’accompagne de complication d’ordre infectieux ou mécanique, en particulier lorsqu’elle excède 48 heures [11]. Plusieurs études révèlent également que les infections respiratoires sont la première complication chez le patient ventilé de façon prolongée [12].
L’incidence très basse (15,61%) des pneumopathies nosocomiales acquises sous ventilation mécanique par rapport à certaines études qui fontétat d’un taux d’incidence pouvant atteindre30% [1 ;13 ;14 ;15] pourrait êtreexpliquée par le fait que très souvent dans nos conditions d’exercice, une antibiothérapie probabiliste est mise en route dès l’admission des malades ventilés, sans raisons valables. Il s’y ajoute que les prélèvements sont faits avec du retard et les résultats souvent difficiles. Cependant une étude faite dans le service en 2005 avait retrouvé une incidence plus élevé (23,3%) de PNAVMchez les patients ventilés [7].La prédominance des BGN dans notre
é étéégalement retrouvée par Ndiaye et coll dans lemêmeservice avec 73,25 %. La place du SARM dans la survenue de PNAVM n’a pas varié dans notre service depuis 05 années,4,9% dans notre étude contre 4,2% dans celle de Ndiaye et coll [7].Concernant les anaérobies, leur fréquencen’a puêtre évaluées comme cela avait été le cas il y’a 5 ans dans le service (3,2%) [7] ; en effet il s’agit degermes difficilement identifiables avec des techniques de laboratoires souvent couteuses. Lamortalité chez les patients ventilés
dans notre série était élevée 66,6% légèrement plus élevée que celle retrouvée dans une autre série du service(62,29%) [7]. Cette mortalité des patients ventilés reste largement plus élevée que la mortalité globale du service toutes pathologiesconfondues (27,2%). Ceci pourrait être dû au fait que les patients ventilés sont plus graves comme en témoigne l’IGS moyen de 50,8 contre 30 pour la moyenne du service. Il s’y ajoute la part importante qu’occupe la survenue des complications notamment infectieusesdans les causes de décès en réanimation chez les patients entilés. Durasnel dans son étude réalisée à Moroni aux Comore savaient
retrouvé une mortalité de 59% [8],comparable à la nôtre. Des taux plus bas (33%) ont été retrouvés en Europe par Stauffer [10].Ceci pourrait être
expliqué par le fait que nos conditions de travail ne sont pas très loin de celle rencontrées aux Comores comparées aux pays développés. Seule la présence d’une défaillance neurologique à l’admission (p=0,047) était statistiquement corrélée à une Duréede ventilation mécanique prolongée avec un Odds ratio de 2,4. En effet l’existence de défaillance neurologique s’accompagne très souvent d’une altération de la commande
ventilatoire nécessitant des délais de ventilation plus longs avant que la récupération de celle-ci ne soit effective. Dans la littérature, peu d’études ont été faites concernant lescritères prédictifs d’une ventilation mécaniqueprolongée. Troché et Moine avaient identifiéplusieurs facteurs ayant une corrélation avec la durée de ventilation mécanique.
Cependant seuls l’intubation endotrachéale réalisée en urgence, et leLung Injury Score (LIS) au moment de l’intubation étaient statistiquement significatifs pour prédire d’une ventilation mécaniquesupérieure à 15 jours[16]. L’épreuve de ventilation spontanée associantune aide inspiratoire avait été incluse dans toutesnos procédures de sevrage ventilatoire. En effetselon Jaber, l’aide inspiratoire reste aujourd’hui lemode ventilatoire le plus simple et le plus adapté ausevrage de la ventilation mécanique [17].
Dans notre pratique, l’aide inspiratoire variait de 8 à 20 cmH2O. Concernant la VACI, plusieurs études ont démontré qu’elle était la moins bonne des modalités de sevrage avec un pourcentage d’échecs plus élevés et unedurée de sevrage plus longue[9 18,19].
Conclusion :
La ventilation mécanique reste un moyen très important dans la prise en charge des patients de réanimation. Il s’agit d’un outil malheureusement considéré comme un luxe dans certaines de nos structures se procurer difficilement cette technologie. Son utilisation se heurte souvent dans nos conditions d’exercice à une surmortalité notamment liée à la survenue d’infections nosocomiales.
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