Efficacité du sulfate de magnésium dans la prévention et le traitement de la crise d’éclampsie.

Efficiency of magnesium sulfate for preemptive and therapy in eclampsia

août 2014, par Mandji Lawson JM , Pither- Antchoue S. , Mouloungui Sougou PE , Mayi Tsonga S. , Sima Zué A , Tchoua R , Ngaka Nsafu D

Auteur correspondant : Mandji Lawson JM. Emailmandji chez live.fr

Résumé

Le sulfate de magnésium est le traitement de référence pour prévenir et traiter la crise d’éclampsie. Il est très peu utilisé dans la prise en charge de la pré-éclampsie sévère et la crise d’éclampsie au Gabon.
Objectif : évaluer l’efficacité du sulfate de magnésium dans la prévention et le traitement de la crise d’éclampsie à la maternité de l’hôpital d’instruction des armées de Libreville.
Patientes et méthodes Toutes les patientes présentant une pré-éclampsie sévère (hypertension artérielle ≥ 160/110 mmHg) et/ou une éclampsie du 1er juin 2008 au 31 mars 2011 ont été incluses dans cette étude prospective. Les patientes recevaient une dose de charge de 4,5 g de sulfate de magnésium en perfusion de 20 minutes suivie d’une administration continue de 1 à 2 g/h pendant 48 heures. Les paramètres étudiés étaient : l’âge, la parité, le mode d’accouchement, les chiffres tensionnels, l’état neurologique, la survenue ou la récidive d’une crise d’éclampsie et l’état materno-fœtal à l’issue. Après l’accouchement, les patientes étaient admises en réanimation pour quarante-huit heures de surveillance.
Résultats Cent vingt-trois (123) patientes ont bénéficié de ce protocole. Parmi eux, 25 avaient déjà eu au moins une crise convulsive avant leur admission à la maternité. Le sulfate de magnésium a été administré en prévention d’une crise d’éclampsie (prévention primaire) dans 71 cas (58%) et en prévention d’une récidive de la crise d’éclampsie (prévention secondaire) dans 52 cas (42%). Il n’y a eu aucun cas de crise d’éclampsie en prévention primaire et 4 cas de récidive de crise d’éclampsie en prévention secondaire soit 8%. Nous n’avons noté aucun effet indésirable lié à l’utilisation du sulfate de magnésium.
Conclusion Le sulfate de magnésium permet de prévenir la crise d’éclampsie en cas de pré-éclampsie sévère et de traiter la crise d’éclampsie de manière efficace. Nous préconisons sa prescription systématique dans toutes les unités obstétricales du Gabon en raison de son coût extrêmement faible.
Mots-clés : Sulfate de magnésium, pré-éclampsie sévère, éclampsie, Gabon

Summary


The magnesium sulfate is the reference treatment for the prevention and treatment of the eclampsia. It’s less used in the treatment of severe pre-eclampsia and eclampsia in Gabon. The aim of this research was to evaluate the magnesium sulfate efficiency in the prevention and the treatment of the eclampsia in the maternity of the “Military Hospital “of Libreville.
Patients and methods All patients with severe pre-eclampsia (arterial high blood pressure (AHBP) higher or equal to 160/110mmHg) and /or an eclampsia (convulsion in peripartum for a woman whose history and medical examination did not reveal another cause of convulsion). From 1stJune 2008 to 31st march 2011 were included in this research. The patients received 4,5g of magnesium sulfate as initial dose by infusion within 20 minutes, then 1 to 2 g per hour in continuous administration during 48 hours. The parameters studied were : age, parity, delivery method, blood pressure readings, neurological state, occurrence or recurrence of eclampsia, and materno - fetal state. After delivery the patients were admitted in intensive care unit for 48 hours for monitoring.
Results 123 patients benefitted from the protocol. Among these 123 patients, 25 had already at least suffered from a convulsive crisis before their admission at the maternity. Magnesium sulfate was given in prevention of eclampsia crisis (primary prevention) to 71 patients (58%) and 52 patients (42%) had taken it for the prevention of recurrence of eclampsia (secondary prevention). There was no eclampsia crisis after primary prevention. There were 4 cases of recurrence of eclampsia in secondary prevention that is 8%. We hadn’t noticed side effect due to the use of magnesium sulfate.
Conclusion The magnesium sulfate can efficiently prevent eclampsia crisis in case of severe pre-eclampsia and treat its crisis. Due to its low cost, we do recommend magnesium sulfate in our obstetrical units in Gabon.
Keywords : magnesium sulfate, severe pre-eclampsia, eclampsia, Gabon.

Introduction

Utilisé pour la première fois en 1906, pour traiter la crise d’éclampsie, le sulfate de magnésium est devenu le traitement de référence de cette pathologie [1]. Il a été proposé tant dans le traitement et la prévention de la pré-éclampsie(PE) et la crise d’éclampsie, que comme tocolytique [2].
Le but de cette étude a été d’évaluer l’efficacité du sulfate de magnésium dans la prévention primaire et secondaire de la crise d’éclampsie à la maternité de l’hôpital d’instruction des armées de Libreville.

Patientes et Méthodes

L’étude a été réalisée de manière prospective sur 34 mois, du premier juin 2008 au 31 mars 2011. La population étudiée était constituée de parturientes admises pour prise en charge d’une PE sévère (hypertension artérielle(HTA) supérieure ou égale à 160/110 mmHg) et/ou une éclampsie (crises convulsives en péripartum chez une femme dont les antécédents et l’examen ne révélaient aucune autre cause de convulsion). Dès l’installation de la patiente, un moniteur permettait la surveillance continue de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque. Le protocole utilisé, comportait une dose de charge de sulfate de magnésium de 4,5 g en perfusion de vingt minutes suivi d’une dose d’entretien de 1-2 g par heure. Les paramètres étudiés étaient : l’âge, la parité, le mode d’accouchement, les chiffres tensionnels, l’état neurologique, la survenue ou la récidive d’une crise d’éclampsie et l’état materno-fœtal à l’issue. Après l’accouchement, les patientes étaient admises en réanimation pour quarante-huit heures de surveillance. Les effets secondaires liés à la perfusion du sulfate de magnésium (abolition des réflexes ostéo-tendineux, diurèse inférieure à 100 mL en 4 heures, dépression et/ou arrêt respiratoire) ont été notés.

Résultats

Durant la période considérée, 142 cas de PE sévère ont été hospitalisés à la maternité de l’hôpital sur un nombre total de 1880 accouchements dont 1875 naissances vivantes. Sur les 142 cas de PE sévère, nous avons exclus 19 dossiers incomplets soit 123 dossiers retenus. L’âge moyen des patientes étaient de 26 ± 4 ans (extrêmes : 14-43 ans). On notait une prédominance de primipares (70 cas) et une prédominance de l’accouchement par césarienne (91 cas). L’HTA était permanente avec une pression artérielle systolique moyenne de 170±21 mmHg (extrêmes : 140 et 260 mmHg) et une diastolique moyenne de 110±11 mmHg (extrêmes : 90-165 mmHg). Sur les 123 patientes étudiées, 25 avaient déjà eu au moins une crise convulsive avant leur admission à la maternité et elles ont toutes présenté des troubles de la conscience à l’admission avec un score de Glasgow moyen à 9±2,1 (extrêmes : 5-14).
Au plan thérapeutique, toutes les 123 patientes ont bénéficié de l’administration de sulfate de magnésium pour la prévention ou la récidive d’une crise d’éclampsie. Il a été administré en prévention d’une crise d’éclampsie (prévention primaire) dans 71 cas (58 %) et en prévention d’une récidive de la crise d’éclampsie (prévention secondaire) dans 52 cas (42 %). Il n’y a eu aucun cas de crise d’éclampsie en prévention primaire et 4 cas de récidive de crise d’éclampsie en prévention secondaire soit 8 %. Le traitement de l’HTA comprenait l’administration de nicardipine à la seringue électrique (100 % des cas) éventuellement associée au labétalol (60 % des cas). Quatre (4) patientes sont décédées, soit une létalité de 3%. Les causes de décès maternel sont 2 cas de HELLP syndrome et 2 cas de syndrome de défaillance multiviscérale. Par ailleurs nous avons noté 15 cas de mortalité infantile (12 %), tous survenus chez des patientes ayant eu une crise d’éclampsie avant leur admission à l’hôpital. Nous n’avons noté aucun effet indésirable lié à l’utilisation du sulfate de magnésium.

Discussion

Dans notre étude, le sulfate de magnésium a montré son efficacité dans la prévention primaire et secondaire de la crise d’éclampsie. En effet nous n’avons observé aucune crise d’éclampsie chez toutes les patientes pré-éclamptiques qui l’ont reçu en prévention d’une crise d’éclampsie et 8% des patientes avec crises d’éclampsie au préalable de leur hospitalisation ont récidivé. Ce résultat peut s’expliquer d’une part, par le fait que ces récidives sont toutes survenues chez des femmes ayant déjà convulsé (nombre de crises inconnu) et qui peuvent se compliquer d’un état de mal convulsif. D’autre part il n’est pas exclu que ces patientes aient été sous dosées en sulfate de magnésium du fait d’une mauvaise adaptation du débit médicamenteux bien que nous n’avons pas dosé systématiquement la magnésémie de toutes nos patientes. Un perfuseur bouché par un reflux sanguin veineux ou coudé par une malposition du bras maternel, peuvent constituer des dysfonctionnements limitant le débit de perfusion du produit. Cette efficacité du sulfate de magnésium est constatée dans la littérature où il est clairement établi que le sulfate de magnésium est le traitement de référence de la crise d’éclampsie [2-5].
En rappel pharmacologique, le magnésium est un ion principalement intracellulaire, dont la concentration extracellulaire module les propriétés membranaires des cellules excitables (neurones, myocites vasculaires, cardiaques ou musculaires). Il bloque les canaux calciques voltage-dépendant de type L et T, les canaux sodiques et potassiques ainsi que les échangeurs transmembranaires sodium/calcium. Le blocage des canaux calciques par compétition avec l’ion calcium semble être le mécanisme des effets vasodilatateurs du sulfate de magnésium. L’effet neurologique (anti-comitial propre) peut s’expliquer par le fait que le magnésium conditionne l’ouverture de récepteurs aux acides aminés excitateurs de type NMDA, en bloquant le canal ionique au niveau des neurones [6]. Les effets secondaires maternels sont aux doses thérapeutiques : nausées, sensations de chaleur, somnolence, diplopie, asthénie et troubles de l’élocution. A fortes doses, il abaisse de 20% la force inspiratoire et expiratoire. La disparition des réflexes rotuliens est un signe de surdosage. Des accidents graves à type tétraparésie avec dépression respiratoire ont été rapportés, toujours en raison d’erreurs de dosage ou de vitesse de perfusion excessive [7]. La myasthénie et l’insuffisance respiratoire sont des contre-indications au traitement. L’association aux inhibiteurs calciques potentialise ces effets et nécessite une surveillance accrue. On peut observer un effet antiagrégant plaquettaire avec allongement du temps de saignement en cas de fortes posologies [8]. Quant aux effets fœtaux, on note sur la perfusion utéroplacentaire, une augmentation bénéfique du débit sanguin. L’hypermagnésémie peut déprimer la transmission neuromusculaire chez le nouveau-né, avec hyporéflexie, asthénie voire dépression respiratoire. Le sulfate de magnésium induit une hypocalcémie maternofoetale modérée. Au plan thérapeutique, les concentrations recommandées sont globalement entre 2 et 4 mmol/l, le maintien de tels taux nécessitant une dose de charge suivie d’une administration continue. Une surveillance clinique à la recherche d’éventuel surdosage est suffisante : il faut que la fréquence respiratoire soit supérieure à 14 cycles/min, que la diurèse dépasse 25ml/h et que les réflexes rotuliens soient conservés. En cas de surdosage, il faut arrêter la perfusion et injecter 1 g de gluconate de calcium.
Le sulfate de magnésium est donc efficace dans la prévention et le traitement de l’éclampsie. Par ailleurs, son coût extrêmement faible en fait le médicament de choix à l’échelle mondiale [9-11]. Malheureusement, ce médicament est difficilement disponible dans de nombreux pays africains francophones, notamment au Gabon, alors qu’il est très utilisé dans les pays anglo-saxons. En effet son introduction au Gabon est récente (2007) d’où une certaine réticence à sa vulgarisation. Nous lançons un plaidoyer pour une utilisation large du sulfate de magnésium par tous les intervenants dans la prise en charge de la PE (gynécologues-obstétriciens, anesthésistes-réanimateurs, sages-femmes).

Conclusion

Le sulfate de magnésium est le traitement de référence dans la prévention et le traitement de l’éclampsie. Nous préconisons qu’il devienne aussi le traitement de choix de cette pathologie au sein de toutes les unités obstétricales du Gabon, ce qui concourrait à une amélioration de la qualité des soins et partant à réduire considérablement la mortalité materno-fœtale.

Références

1. Conférences d’experts de la SFAR. Eclampsie. Pharmacologie clinique du sulfate de magnésium. In : SFAR, ed. Réanimation des formes graves de pré-éclampsie. Paris, Elsevier, 2000:107-28.
2. Duley L, Johanson R. Magnesium sulphate for pre-eclampsia and eclampsia : the evidence so far. Br J Obstet Gynaecol, 1994 ; 101:565-7.
3. Wee L, Sinha P, Lewis M. The management of eclampsia by obstetric anaesthetists in United-Kingdom : a postal survey. Int J Obstet Anaesth, 2001 ; 10 : 108-12.
4. Boughrara E, Hajjej Z, Belhaj N. Anesthésie-réanimation des formes graves de la preeclampsia : le point en 2006 ; J Magh A Réa Méd Urg 2006 ; 13 : 290-96.
5. Duley L, Henderson-Smart DJ, Walker GJ, Chou D. Le sulfate de magnesium par rapport au diazepam pour l’éclampsie. Cochrane Database Syst Rev 2010 ; 8 : CD000127.
6. Bazin JE. Faut-il utiliser le sulfate de magnésium en obstétrique ? Le Praticien en Anesthésie Réanimation. 2002 ; 6 : 451-54.
7. Coetzee EJ, Dommisse J, Anthony J. A randomized controlled trial of intra-venous magnesium sulphate versus placebo in the management of women with the severe pre-eclampsia. Br J Obstet Gynaecol, 1998 ; 105 : 300-03.
8. Harnett MJ, Datta S, Bhavani-Shankar K. The effect of magnesium on coagulation in parturients with preeclampsia. Anesth Analg, 2001 ; 92 : 1257-260.
9. Sheth SS, Chalmers I. Magnesium for preventing and treating eclampsia : time for international action. The Lancet, 2002 ; 359 : 1872-73.
10. Adewole IF, Oladokun A, Okewole AI et al. Magnesium sulphate for treatement of eclampsia : the Nigerian experience. Afr J med SCI, 2000 ; 29 : 249-41.
11. Muganyizi PS, Shagdara MS. Predictors of extra care among magnesium sulphate treated eclamptic patients at Muhimbili National Hospital, Tanzania. BMC Pregnancy Childbirth, 2011 ; 3 ; 11 : 41.

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