Introduction
La maladie de Von Willebrand, est la plus fréquente des anomalies constitutionnelles de l’hémostase avec une prévalence estimée à 1%. Elle est liée à une anomalie soit quantitative, soit qualitative, du facteur Willebrand (VWF) [1,2,3]. Le risque hémorragique est variable selon la sévérité de l’atteinte [4]. La prise en charge périopératoire d’un patient souffrant de cette maladie a pour objectif fondamental de prévenir l’hémorragie ou de l’arrêter.
Nous rapportons le cas d’un patient porteur de maladie de Von Willebrand de type 1, ayant bénéficié d’une cure chirurgicale de fistule anale à l’hôpital Avicenne au CHU Ibn Sina de Rabat.
Observation :
Un patient de 32 ans, a consulté pour la cure chirurgicale d’une récidive de fistule anale. Dans ses antécédents, on retrouvait une maladie de Von Willebrand de type 1. Celle-ci a été découverte à la suite d’une intervention pour la même pathologie. En effet, le patient a été opéré, deux ans auparavant pour fistule anale sous une anesthésie générale. Les suites opératoires ont été marquées par la survenue, le lendemain de l’intervention, d’un saignement localisé au niveau de la région anale. Une réintervention pour hémostase chirurgicale a été nécessaire le 3éme jour postopératoire. L’évolution a été marquée par la persistance d’un saignement de faible abondance.
Devant ce tableau clinique, un bilan d’hémostase a été demandé. Il a relevé les données suivantes :
• Un temps de céphaline + activateur (TCA) à 50 secondes pour un témoin de 30
secondes.
• Un taux de prothrombine (TP) à 76%.
• Un taux de fibrinogène à 3,2g/l.
• Un taux de plaquettes à 277000 éléments/mm³.
• Un temps de saignement (TS) selon la méthode d’Ivy trois points à 12 minutes et 20 Secondes.
Devant ces résultats, un bilan d’hémostase de seconde intention a été réalisé. Il a objectivé un taux de facteur VIII à 17%, une activité du cofacteur de la ristocétine du VWF (VWF : RCo) à 12% et le Willebrand antigène (VWF : Ag) à 12%. Ces résultats étaient compatibles avec une maladie de Willebrand de type 1.
L’examen préanesthésique du patient ne montrait pas de particularités, en dehors des saignements cutanéo-muqueux facilement provoqués (gingivorragies et ecchymoses). Le bilan d’hémostase de contrôle, réalisé en préopératoire, retrouvait, un TCA allongé (48 secondes/30secondes) avec un TS à 10 minutes.
Le patient a bénéficié de la cure chirurgicale de la fistule anale sous anesthésie générale. En périopératoire, ce patient a reçu une injection intraveineuse de desmopressine (d- amino-d- arginine- vasopressine) à raison de 0,3ug/kg une heure avant et 12 heures après l’intervention. Les suites opératoires étaient simples et le patient a quitté la structure trois jours après l’intervention.
Discussion
La maladie de Von Willebrand a été décrite pour la première fois en 1926 par Erick Von Willebrand, elle est liée à une anomalie soit quantitative, soit qualitative, du facteur Willebrand (VWF).
Le VWF est une protéine synthétisé par deux types cellulaires : les cellules endothéliales et les mégacaryocytes [5,6,7]. Son rôle dans l’hémostase est double, grâce à des sites de liaison spécifiques, il permet l’adhésion et l’agrégation plaquettaire en formant d’une part un pont moléculaire entre les plaquettes et la paroi vasculaire lésée, d’autre part entre les plaquettes elles-mêmes. Le VWF assure le transport du facteur VIII au site de la lésion vasculaire et il le protége d’une dégradation enzymatique. Tout changement du taux de VWF s’accompagne généralement d’une variation parallèle du taux de facteur VIII dans la circulation [1,8]. On reconnaît trois grands types de la maladie de Willebrand : le type 1, où le déficit est quantitatif en VWF, le type 2 regroupe des anomalies qualitatives du VWF souvent associé à un déficit de sa structure multimérique, le type 3 est caractérisé par des taux extrêmement bas ou indétectables de VWF dans le plasma, les plaquettes, les cellules endothéliales et un déficit en facteur VIII [4,9]. Comme pour toutes les anomalies de l’hémostase primaire, la symptomatologie hémorragique est essentiellement cutanéomuqueuse (épistaxis, gingivorragies, ménorragies, hémorragies amygdalienne ou gastrointestinale, ecchymoses). Les manifestations cliniques peuvent être soit spontanées, soit provoquées par un traumatisme (avulsion dentaire, acte chirurgical) même minime. Les formes frustes sont volontiers révélées à l’apparition des règles, lors d’un bilan d’hémostase systématique ou à l’occasion d’actes opératoires [1, 2,3]. Ce fut le cas, de notre observation, puisque la maladie a été découverte à l’occasion d’une cure chirurgicale de la fistule anale. Le bilan a permis d’identifier la maladie de Willebrand de type 1.La maladie de Willebrand de type 1 est la forme la plus fréquente (50 à 70%) et la plus difficile à diagnostiquer, surtout chez les sujets de groupe O. Elle se transmet selon un mode autosomique, dominant. Il s’agit d’un déficit quantitatif partiel en VWF (10 à 50%), et on retrouve une réduction parallèle dans le plasma des taux de VWF : Ag et de VWF : RCo avec un rapport VWF : RCo/ VWF : Ag > 0,7. Dans cette forme, la réponse thérapeutique à la desmopressine (dDAVP) est généralement bonne [1,2,10,11,12]. La dDAVP (d-amino-d-arginine-vasopressine), est une analogue synthétique de la vasopressine, elle induit une libération de VWF et du facteur VIII à partir des compartiments cellulaires. Elle est disponible sous deux formes d’administration : intraveineuse et intranasale, cette dernière est surtout utilisée pour le traitement à domicile des saignements menstruels ou des saignements minimes. Elle présente comme avantage par rapport au traitement substitutif, un coût faible et sans risque de transmission virale ou d’agents non conventionnels [1, 2,7,13,14]. La desmopressine est efficace dans le traitement ou la prévention des épisodes hémorragiques lors de certains actes chirurgicaux chez presque tous les sujets porteur de la maladie de Von Willebrand de type 1. Toutefois avant son utilisation thérapeutique, une étude de la réponse doit être réalisée, lors du diagnostic ou au moins une semaine avant une chirurgie, afin de déterminer si la correction de l’hémostase est suffisante après son administration. La correction du TS est brève. L’efficacité est attestée par une multiplication par 3 à 5 des taux de base de VWF et de facteur de VIII. L’injection peut être répétée toutes les 12 à 24 heures en fonction de la situation clinique. L’observation rapportée illustre bien l’efficacité de la desmopressine en périopératoire, une réinjection itérative n’a pas été jugée nécessaire, devant l’évolution postopératoire favorable et l’absence d’hémorragie.
Conclusion
La maladie de Von Willebrand est la plus fréquente des maladies constitutionnelles de l’hémostase. Le risque hémorragique est variable selon la sévérité de l’atteinte. La prise en charge périopératoire nécessite une collaboration étroite entre chirurgien, hémobiologiste et anesthésiste-réanimateur. La desmopressine constitue un traitement de choix dans la forme modérée, en raison de son coût faible et de l’absence de risque de transmission virale ou d’agents non conventionnels
Références
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