Introduction
La piraterie maritime survient dans des conditions particulières et est source de traumatisme psychique et de complications graves chez les victimes lorsqu’elles ne sont pas rapidement prises en charge. Si le phénomène est en régression dans les pays occidentaux, dans le Golfe de Guinée la piraterie maritime a pris de l’ampleur ces dernières années et fait l’objet de préoccupation de la part des dirigeants. De même l’accent n’est pas suffisamment mis sur la clinique du psychotraumatisme et sur l’intérêt de la prise en charge psychologique immédiate des victimes. Freud utilisant le concept de « trauma » considère qu’il s’agit d’un choc violent surprenant le sujet qui ne s’y attendait pas, et qui s’accompagne d’effroi [4]. En effet la particularité dans le traumatisme psychique réside dans l’expérience de confrontation soudaine avec la réalité de la mort, une expérience qui est vécue par la victime dans la frayeur, l’horreur et le sentiment d’impuissance. La nécessité d’une intervention rapide s’impose : « il s’agit d’atténuer les manifestations immédiates, de sortir les sujets de leur état de stupeur et de prévenir les complications » [7].
La présente étude vise à évaluer l’impact de la piraterie maritime sur la santé mentale des victimes. Les soins immédiats dans les traumatismes psychiques permettent un diagnostic précoce et ont des effets décisifs sur le devenir des sujets.
Patients et méthode
Cette étude s’est déroulée au port autonome de Cotonou qui est situé dans le golfe de Guinée, à bord du navire Aristophanis en rade. Elle fait suite à la consultation médicale de marins victimes d’acte de piraterie survenu le 9 juin 2011et après consentement éclairé des intéressés.
Il s’agit d’une étude transversale descriptive qui a duré une journée. La population d’étude est constituée de 23 marins tous membres de l’équipage et ayant subi l’attaque armée des pirates. Cette population a été répartie en 6 groupes soit 5 groupes de 4 et 1 groupe de 3 personnes. Les variables étudiées sont l’âge, le statut marital, les antécédents psychiatriques, le nombre d’années d’expérience professionnelle, les symptômes développés et le type de prise en charge.
Le traitement des données a été fait manuellement.
Résultats
Origine géographique et âge des sujets
Les marins étaient d’origine philippine (91%) et russe (9%). Ils étaient mariés dans 87% des cas. Leur âge variait entre 25 et 60 ans avec une moyenne d’âge de 40,7 ± 8,47ans. La répartition en fonction du nombre d’années d’expérience professionnelle est représentée dans la figure 1
Caractéristiques cliniques
La majorité (82,6%) était à leur première expérience traumatisante
Il n’a pas été signalé d’antécédent psychiatrique chez les sujets et en terme de résilience 13,1% n’avaient développé aucun symptôme à l’issu de l’événement.
Sur le plan clinique, 30,43 % des sujets présentaient des signes physiques post traumatiques (hématome frontal et /ou pariétal, otorragie, lésion oculaire, douleurs abdominales, douleurs thoraciques, céphalées, lésions inflammatoires des membres inférieurs). Des symptômes psychiques ont été retrouvés chez 91,3% des patients dont 17,39% présentaient des symptômes d’attaque de panique.
Ces troubles sont représentés sur la figure 2. 8, 7 % des victimes ont présenté des symptômes d’allure psychotique. Nous avons noté des sentiments de culpabilité, de révolte et de découragement chez 30, 43% des sujets. Les quelques exemples de propos ci-dessous recueillis auprès des victimes en sont une illustration : « J’aurais dû ne pas accepter cette mission »
« Mon épouse m’avait prévenu que la piraterie maritime est fréquente sur les côtes africaines »
« Les autorités africaines ne prennent pas suffisamment de mesures pour lutter contre la piraterie maritime »
« Pendant le braquage, c’est comme si je n’existais plus. Les braqueurs ont fini leur crime, je suis déjà mort »
Approches thérapeutiques
Les patients repartis en groupes de 3 et de 4 ont fait l’objet de prise en charge thérapeutique par la technique du débriefing de groupe. Chez 47,82%, une association chimiothérapie - débriefing était instituée. La chimiothérapie comportait un anxiolytique et /ou un antidépresseur. La prise en charge s’est poursuivie sous la forme de psychothérapie individuelle chez 17,39% compte tenu des préoccupations anxieuses exprimées par les intéressés.
Discussion
La principale limite de cette étude réside dans la taille relativement réduite de la population d’étude. L’étude aura toutefois le mérite de jeter les bases d’une réflexion clinique sur un sujet d’actualité et de montrer l’intérêt des soins immédiats dans la prise en charge des traumatisés psychiques.
Résilience et victimisation
Dans cette étude, 13,1% des enquêtés déclaraient n’avoir développé aucun symptôme. Chez ces personnes, les symptômes immédiats n’étaient pas organisés sur un mode catégoriel et elles parvenaient à raconter de façon encore supportable le scénario des évènements qu’elles ont vécus. Ces personnes développaient une résilience ce qui ne signifie pas absence de souffrance. Dans la résilience, le réel de la mort n’est pas dénié par la victime mais mis à distance. La résilience ne dure pas forcément toute la vie et n’implique pas que la victime doit s’en sortir seule. [6] Elle doit être renforcée par le thérapeute à chaque étape de l’évolution.
Les épisodes d’allure psychotique retrouvés (8,7%) concernaient des marins ayant été victimes dans le passé d’un ou de plusieurs actes de piraterie et témoignent d’une survictimation. Ils déclaraient avoir développé des manifestations d’allure psychotique transitoires faites d’agitation, de pseudo confusion, et de trouble des perceptions (bruits de cross, sifflement dans les oreilles, images intrusives du déroulement des faits). S’agissant du cas spécifique des troubles des perceptions, ils ont été retrouvés en association avec d’autres symptômes chez 30,2% des marins. Le débriefing a mis en évidence chez les victimes (30,43%) des effets psychologiques d’insécurité et de culpabilité qui constituent des facteurs de survictimation. En effet, deux principaux effets de l’effraction traumatique se retrouvent fréquemment dans la clinique du traumatisme psychique. Il s’agit du sentiment de honte et de la culpabilité qui marqueront durablement le sujet et infléchiront désormais sur son destin [7]
Aspects cliniques
Les manifestations cliniques du traumatisme psychique varient entre les extrêmes d’une décompensation psychotique avec production délirante et des troubles réactionnels réversibles [7]. Dans la présente étude, la prévalence des troubles psychiques était importante (91,30%) et les manifestations cliniques notées illustrent la variété de présentation possible chez des patients qui présentent un état de stress aigu : troubles de l’humeur (tristesse, irritabilité, dégoût du travail, inhibition psychique), troubles somatiques (céphalée, insomnie, palpitation, lourdeur dans la tête, douleur à la poitrine, lésions physiques), troubles de l’état émotionnel (peur d’une nouvelle attaque, peur de mourir, anxiété, pleurs), trouble des perceptions (images intrusives, bruits de crosse et sifflement dans les oreilles), troubles du comportement (réaction de qui-vive, agitation), troubles de la mémoire.
Les études épidémiologiques en matière de traumatisme psychique sont peu nombreuses dans les pays francophones [8]. Les données existantes sont variables et dominées par les études américaines qui la plupart s’appuient sur les critères diagnostiques du DSM [1] avec une méthodologie qui utilise des instruments diagnostiques parfois simplement traduits et non validés.
Nos résultats confirment certaines données qui soulignaient la prévalence élevée des troubles post –traumatiques chez les personnes soumises à un évènement particulier non pris en charge immédiatement. [10]
La plupart des études existantes étaient réalisées de manière rétrospective plusieurs années après et offraient en général une grande variabilité selon la durée, la nature des faits eux mêmes, mais surtout selon le délai écoulé entre ces faits et le recueil des troubles.
Dans notre étude, les troubles anxieux étaient retrouvés dans la proportion de 95% et les troubles de l’humeur dans 69,30% des cas. Levi-Faict et al [8] avaient relevé dans leur étude sur l’évaluation du retentissement immédiat du psychotraumatisme des symptômes psychiques chez 36% et des symptômes somatiques chez 64% de leur population d’étude. En dehors des troubles anxieux et de l’humeur, 8,7% des victimes présentaient des symptômes d’allure psychotique. Cette Co- occurrence entre symptômes post traumatiques et symptômes psychotiques était aussi décrit par Auxéméry Y et al [2]. A l’égard de la problématique spécifique des faits de guerre, divers résultats sont obtenus : certaines études retiennent des taux élevés de troubles post traumatiques variant entre 20% et 34,3% ; d’autres évoquent pour le cas d’état de stress post traumatique, une proportion de 10,5% chez les personnes indemnes
de blessure physique, 8,3% chez les personnes ayant été modérément blessées, 30,7% chez les victimes ayant été gravement blessées physiquement ; d’autres enfin évoquent la présence de symptômes dépressifs dans au moins 50% des cas après un traumatisme psychique [19] . Quant aux violences sexuelles de guerre où les considérations culturelles sont prises en compte, la prévalence de l’état de stress post traumatique varie d’une étude à l’autre : 60 à 80% et 14,3% [5]
Ces différents résultats témoignent de l’importance des répercussions psychiatriques des évènements traumatisants non pris en charge immédiatement et devraient pousser les professionnels de la santé des pays africains à œuvrer pour une prise en charge holistique des victimes. Dans ces pays en général, les volets psychologiques et psychiatriques ne sont pas systématiquement intégrés aux soins immédiats donnés aux victimes. Très souvent les patients ne sont pas reçus par les professionnels de la santé mentale, ou sont reçus à distance du traumatisme dans un état de complications psychiatriques.
Aspects thérapeutiques
La présente intervention thérapeutique survenue 8 jours après le drame a permis de noter des symptômes psychiques persistants. La pratique du débriefing dans les traumatismes psychiques repose sur la capacité des intervenants (psychiatres, psychologues, infirmiers psychiatriques) à se trouver rapidement sur les lieux du drame ou à rencontrer les victimes dans les hôpitaux dans les 24 à 72 heures. Il s’agira d’essayer de les extraire de leur cauchemar, de solliciter de leur part un récit, souvent de les toucher et d’établir un contact physique avec eux pour les amener à réaliser qu’ils sont encore vivants [3]. Cette approche thérapeutique dans la prise en charge des victimes de piraterie est importante et permet de limiter la morbidité du traumatisme psychique [8]. La précocité de l’intervention est d’une grande importance dans la mesure où à cette étape de l’intervention, le lien de fascination avec l’image traumatique n’a pas encore eu le temps de s’installer de manière permanente dans le psychisme [4]. La première rencontre lorsqu’elle a eu lieu, rend la parole à la victime et permet le dialogue avec ses proches. Elle permet de lutter contre la honte et la culpabilité qui envahissent la victime. Le dialogue restauré va rétablir les relations aux autres et permettre au sujet de reprendre sa place dans la communauté des vivants [7]. Le débriefing a également pour objectif de faciliter la mise en place d’un suivi post traumatique qui peut être proposé dès la séance du débriefing à quelques jours du vécu de l’événement [9].
Conclusion
Les troubles psychiques sont fréquemment associés aux troubles physiques chez les personnes victimes d’événements graves et doivent retenir l’attention des intervenants des services d’urgence. Les soins psychologiques voire psychiatriques lorsqu’ils sont administrés immédiatement ont des effets décisifs sur le devenir des sujets. Ces soins qui doivent être administrés par des professionnels de la santé mentale ne sont ni dans la négation du traumatisme, ni dans son effacement, ni dans son exploration symptomatique mais dans la reconnaissance de la personne et dans la renaissance de son être de parole. Dans la plupart des pays africains les volets psychologiques voire psychiatriques ne sont pas systématiquement intégrés aux soins généraux immédiats donnés aux victimes par l’équipe du SAMU qui ne dispose pas généralement en son sein de professionnels de la santé mentale. Pour pallier cet etat de chose nous recommandons aux autorités du Bénin de soutenir la création d’une unité médicopsychologique d’intervention rapide pour une prise en charge prompte et holistique des personnes traumatisées
Références
1. American Psychiatric Association (APA). Mini DSM-IV. Critères diagnostiques (Washington DC, 1994). Traduction française par J-D. Guelfi et al, Masson, Paris, 1996 : 384p.
2. Auxemery Y, Fidelle G. Psychose et traumatisme psychique. Pour une articulation théorique des symptômes psycho-traumatiques et psychotiques chroniques. Encéphale 2011 ; 37 : 433-438
3. Daligrand L. analyse critique du « débriefing ». La revue française de psychiatrie et de psychologie médicale 1997 ; 10 : 46-47.
4. Freud S. Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort : Essai de psychanalyse. Payot, Paris, 1981 : 7-40
5. Gansou G M, Baubet T, Tognide M, Houngbe J, Ahyi R G. Violences sexuelles de guerre. Considérations culturelles cliniques et thérapeutiques au Congo Brazzaville. Stress et Trauma 2006 ; 6:173-178
6. Ghezzolo J, Marchal S, Theis A. La résilience chez l’enfant maltraité : tuteur de développement » et mécanismes défensifs (approche projective comparée). Neuropsychiatrie de l’enfant et de l’adolescent 2003 ; 51 : 87-91
7. Lebigot F. Le traumatisme psychique : ses conséquences dans la clinique. Journal de médecine légale. Droit médical Paris 2000 ; 43 : 347-50,
8. Levi-Faict T W, Escard E, Van Derhorst A, Miele C, Boyer B, Peltier-Evrard C. Evaluation du retentissement immédiat du psychotraumatisme : du concept à l’alphabet de la victime. JIDV 2009 ; 21 : 3.
9. Ponseti-Gaillochon A, Duchet C, Molenda S. Le débriefing psychologique. Pratique, bilan et évolution des soins. Dunod, Paris, 2009 : 263p
10. Prieto N. Epidémiologie du traumatisme psychique. In : De Clercq M. Lebigot F. Les traumatismes psychiques. 1ère Edition, Paris, Masson, 2001 : 384p