Introduction
Le phéochromocytome tumeur endocrine à cellules chromaffines productrices de catécholamines représente moins de 1% des causes d’hypertension artérielle [1].Son traitement radical qui est chirurgical s’intègre dans une stratégie thérapeutique comprenant une préparation médicale et une prise en charge per opératoire [2].A propos de 5 cas de phéochromocytomes qui nous ont été confiés pour cure chirurgical entre 1995-2011 , nous voudrions préciser notre expérience de la prise en charge pré et per opératoire de ces tumeurs rares.
Observations
Cas N° 1.
Femme de 45 ans, 8ème geste, 4ème pare présentant une HTA permanente connue depuis 1986 associée à des crises intermittentes de céphalées avec palpitations, consultait pour volumineuse tuméfaction du flanc gauche d’augmentation progressive depuis 1 an. L’examen clinique a mis en évidence une volumineuse masse ferme et indolore de 17cm sur 14 cm occupant tout le côté gauche de l’abdomen et une petite masse para ombilicale droite de 4 cm de diamètre dans un contexte d’HTA à 160/ 90 mmHg. Cette HTA permanente associée à un syndrome de masse évoquait un phéochromocytome confirmé par les examens biologiques notamment le dosage de la normetanéphrines (285 micromoles/24 h) et de la métanéphrines (39,90 micromoles/24 h). Le taux d’acide vanylmandélique (AVM) était à 487,35 micromoles/24 h. Le diagnostic de localisation tumorale a reposé sur l’échographie et surtout le scanner abdominal qui ont confirmé les topographies surrénaliennes droites et gauches des 2 masses abdominales. La malade a été préparée à l’intervention par un alpha bloquant la prazosine (minipress®) durant 4 jours. L’anesthésie a nécessité une narco analgésie au propofol fentanyl avec en entretien de l’isoflurane. La TA de départ était à 170/120 mmHg. L’intervention réalisée le 20 juin 1995 par incision médiane xyphopubienne a permis de découvrir une volumineuse tumeur surrénalienne gauche refoulant le pancréas et la rate et une tumeur surrénalienne droite située sous le foie. Les poussées tensionnelles lors des manipulations tumorales ont été jugulées par l’approfondissement de l’anesthésie et/ou l’administration d’un inhibiteur calcique injectable la nicardipine (le loxen®).Il a été réalisé une surrénalectomie totale gauche associée à une surrénalectomie partielle droite. En fin d’intervention, la TA était à 140/70 mmHg. Les suites opératoires immédiates ont été marquées par une hémorragie post opératoire de la loge surrénalienne gauche qui a nécessité une ré intervention d’hémostase 12 h plus tard. Les suites à moyen terme ont été marquées par une suppuration pariétale jugulée par pansement
biquotidien associé à une bi antibiothérapie (céfuroxime- métronidazole). L’examen histologique des pièces opératoires était en faveur d’un phéochromocytome malin bilatéral. La malade est sortie au bout de trois semaines d’hospitalisation et a été suivie durant trois mois. La TA était strictement normal. Aucun dosage biologique n’avait été réalisé en postopératoire.
Cas N° 2.
Femme ivoirienne de 40 ans, 2ème geste, primipare présentant depuis 3ans des poussées d’HTA paroxystiques révélées par des céphalées matinales, fronto-orbitaires avec crises sudorales et palpitations difficilement stabilisées par bithérapie antihypertensive (Aldomet® 250 et moduretic® comprimés). L’examen clinique effectué en chirurgie a mis en évidence une HTA à 160/90mmHg et un nodule thyroïdien isthmique de 6cm sur 4cm.Cette HTA paroxystique associée à la triade « céphalée-sueurs-palpitations » et réagissant mal à une bithérapie hypertensive bien suivie évoquait un phéochromocytome. Le taux d’acide vanylmandélique (AVM) était élevé à 8 ,9mg/24h .Le diagnostic de localisation tumorale a reposé sur l’échographie abdominale qui a révélé une masse hétérogène de 57mm de grand axe développée dans la loge surrénalienne droite et le scanner abdominal qui n’a pas montré d’autres localisations tumorales. La malade fut préparée à l’intervention par un alpha bloquant la prazoqine (Minipress®) à dose progressive durant 6 jours associé à un inhibiteur calcique la nifedipine (Adalat retard®).L’anesthésie a nécessité une narco analgésie au propofol fentanyl et le mélange protoxyde d’azote-oxygène.La TA de départ était de 180/110mmg. L’intervention réalisée par incision médiane sus et sous ombilicale a permis de découvrir la tumeur surrénalienne droite de 8 cm de diamètre. Les poussées tensionnelles lors de la manipulation tumorale ont été jugulées par administration d’un inhibiteur calcique (Loxen®) en perfusion. Il a été pratiqué une surrénalectomie droite partielle. A l’ablation de la tumeur, la TA s’est stabilisée à 130/80mmHg.L’examen histologique de la pièce opératoire était en faveur d’un phéochromocytome bénin. Les suites opératoires ont été simples .La malade est sortie au 10ème jour post opératoire ; la TA s’est stabilisée à 110/70mmHg.Revue un mois plus tard, la malade présentait tous les signes cliniques de la guérison ; la TA était à 120/80mmHg.
Cas N° 3.
Femme de 26 ans consultait pour de vagues douleurs de l’hypochondre droit remontant à 4 mois sans signe d’accompagnement. L’examen clinique était normal avec un excellent état général et une TA à 130/80 mmHg. Une échographie effectuée le 19 mai 1999 objectivait une masse abdominale arrondie, régulière, hétérogène de siège hilo hépatique de 71 mm sur 60 mm évoquant une adénopathie. Le scanner abdominal retrouvait une masse développée aux dépens de la surrénale droite légèrement hypodense et hétérogène, à centre nécrosé évoquant un phéochromocytome. Le bilan biologique a comporté uniquement un dosage de l’acide vanyl-mandélique qui était normal à 0,96 mg /24h. La malade a été opérée pour tumeur surrénalienne droite avec suspicion de phéochromocytome le 10 juin 1999.La préparation médicamenteuse préopératoire a été jugée inutile. L’anesthésie a nécessité une narco analgésie au propofol et au fentanyl, la TA de départ était à 130/80 mm Hg. L’intervention réalisée par incision médiane sus et sous ombilicale a permis de découvrir la tumeur surrénalienne droite. Lors de la manipulation tumorale, on observa de nombreuses poussées tensionnelles jugulées par administration de nicardipine (loxen®.) Il a été pratiqué une surrénalectomie totale droite. L’examen histologique de la pièce opératoire était en faveur d’un phéochromocytome malin. La patiente est sortie à J7 post opératoire et a été suivie pendant trois mois. La TA était strictement normale.
Cas N° 4
Homme de 37 ans avec antécédent de diabète (sous Amarel®) consultait pour asthénie et céphalées frontales sans autres signes d’accompagnement. L’examen clinique a mis en évidence une HTA à 165/110mmg .le reste de l’examen était sans particularité. Le scanner réalisé a mis en évidence une masse surrénalienne droite. Le bilan biologique a comporté en outre un dosage de l’AVM qui était élevé à 10,1mg/24h et un dosage de la glycémie qui était élevée à 1,62g/l. Le patient a bénéficié d’une préparation à base de nicardipine (Loxen®) et d’insuline pour stabiliser la tension artérielle et la glycémie deux jours avant l’intervention. En per opératoire, la TA était à 120/80mmHg et la glycémie à 0,80g/l. L’anesthésie a nécessité une narco analgésie au propofol - fentanyl entretenue par l’isoflurane et des réinjections de fentanyl. L’intervention réalisée le 05 février 2003 par incision médiane sus et sous ombilicale a objectivé une grosse tumeur retro-péritonéale filant sous le foie, arrondie d’accès difficile. Au cours de la mobilisation de la tumeur, nous avons noté une élévation des chiffres tensionnels à 180 /110mmHg qui furent stabilisés par administration de nicardipine (Loxen®) après ablation de la tumeur. Le geste réalisé a été une surrenalectomie quasi-totale droite. L’examen histologique de la pièce opératoire était en faveur d’un phéochromocytome bénin. Le patient est sorti à J4 post-opératoire avec des suites simples. La TA à 120/80mmHg.Revu 15 jours et un mois après sa sortie, le patient présentait une TA normale à 120/80mmHg.
Cas N° 5.
Femme de 26 ans avec antécédent de diabète récent (sous Amarel®) présentait depuis 1 an une HTA paroxystique associée à des crises intermittentes de céphalées, sueurs et palpitations difficilement stabilisée par une bithérapie anthypertensive (triatec® et moduretic®). L’examen clinique effectué en chirurgie a mis en évidence une HTA à 160/90 mmHg . Cette HTA paroxystique associée à la triade « céphalée-sueurs-palpitations » et réagissant mal à une bithérapie hypertensive bien suivie évoquait un phéochromocytome. Le taux de normétanephrines urinaires était élevé à 300 micromoles/24h Le taux d’acide vanyl-madélique (AVM) était élevé à 8 ,9mg/24h. Le diagnostic de localisation tumorale a reposé sur l’échographie abdominale qui a révélé une masse hétérogène de 70mm de grand axe développée dans la loge surrénalienne droite ; confirmé par le scanner abdominal. La malade fut préparée à l’intervention par un inhibiteur calcique (Adalat retard®).L’anesthésie a nécessité une narco analgésie au propofol fentanyl et le mélange protoxyde d’azote-oxygène. La TA de départ était de 180/110mmg. L’intervention réalisée par incision médiane sus et sous ombilicale le 20 janvier 2011 a permis de découvrir la tumeur surrénalienne droite de 7 cm de diamètre. Il a été pratiqué une surrénalectomie droite totale. A l’ablation de la tumeur, la TA s’est stabilisée à 130/80mmHg. L’examen histologique de la pièce opératoire était en faveur d’un phéochromocytome bénin. Les suites opératoires ont été simples ; la malade est sortie au 6ème jour post opératoire ; la TA et la glycémie se sont normalisées à l’ablation de la tumeur.Revue un mois plus tard, la malade présentait tous les signes cliniques de la guérison ; la TA était à 120/80mmHg.
Discussion
La prise en charge chirurgicale du phéochromocytome passe par deux (2) étapes délicates.
Première étape : Etape pré opératoire
Elle est marquée par la préparation médicale des patients à l’intervention qui fait appel aux alpha-bloquants, bêta bloquants et aux inhibiteurs calciques et a pour but principal de minimiser les conséquences de l’hypersécrétion de catécholamines et du sevrage brutal de celles-ci lors de l’exérèse tumorale. Les alpha bloquants atténuent l’effet vaso-constricteur de la noradrénaline et ouvrent le lit vasculaire [1,3]. Nous avons utilisé la prazosine avec satisfaction chez nos deux premiers patients. Les bêta bloquants ne doivent pas être utilisés seuls, car ils libèrent l’action alpha1 et peuvent entrainer des crises hypertensives [1,3] Ce sont les bêta bloquants cardio sélectifs type esmolol qui peuvent être utilisés en présence de troubles du rythme cardiaque ou pour les prévenir en per opératoire [1]. Nous n’avons pas d’expérience de leur utilisation. Concernant l’usage des inhibiteurs calciques, nous avons adopté une attitude identique à celle préconisée par Proye [4] qui les utilise systématiquement dès que le diagnostic de phéochromocytome est posé et qui se base sur le fait qu’un phéochromocytome ne sécrète que très rarement une seule catécholamine mais plutôt un mélange des trois même si la noradrénaline est souvent le composant dominant. Nos deux derniers malades ont été ainsi préparés avec satisfaction par inhibiteur calcique (nifedipine) dès que le diagnostic de phéochromocytome a été posé.
Deuxième étape : Etape per opératoire
Les grands risques per opératoires de la chirurgie du phéochromocytome sont les à-coups hypertensifs aigus, l’arythmie et le collapsus cardiovasculaire lors de l’exérèse tumorale [2].Pour juguler les accès hypertensifs en per opératoire, nous avons utilisé une perfusion d’inhibiteur calcique (nicardipine).Les troubles du rythme ont été corrigés par la lidocaïne. La correction des troubles sus cités exige également un approfondissement de l’anesthésie par l’ajustement des analgésiques. Les monitorages sophistiqués per opératoires de la pression artérielle par cathéter radial et du débit cardiaque indispensables pour ce type de chirurgie, nous ont toujours fait défaut. Nous ne disposons que du tracé de l’ECG et de la pression artérielle non invasive. Une étape majeure dans la prise en charge per opératoire du phéochromocytome demeure l’utilisation d’un cathéter artériel pulmonaire de thermodilution et surtout l’apparition de l’échographie per opératoire trans-œsophagienne autorisant l’étude de la fonction ventriculaire gauche et la mesure du débit cardiaque [5]. Proye [2] l’a utilisé dans 8cas et a apprécié son caractère non invasif et la possibilité d’une évaluation instantanée de la pré-charge cardiaque corrélée au volume plasmatique et ou d’un éventuel bas débit cardiaque ou une hypotension.
L’anesthésie pour phéochromocytome nécessite habituellement une anesthésie générale profonde ;
l’anesthésie a bénéficié d’une narco analgésie au propofol fentanyl chez nos quatre derniers malades et a permis d’obtenir une profondeur d’anesthésie satisfaisante sans effets secondaires notables. Le propofol est un hypnotique de référence permettant une anesthésie totale de l’induction à l’entretien, possédant un minimum d’effets secondaires dont l’absence de risque de ré-endormissement, la diminution des nausées et vomissements (comparés au thiopental ou Nesdonal®) et l’absence de toxicité hépatique et rénale. L’anesthésie est entretenue par 1 ou 2% d’isoflurane avec le mélange protoxyde d’azote-oxygène. L’halothane ou Fluothane® qui est utilisé en Afrique noire eu égard à ces avantages économiques est à déconseiller dans cette chirurgie, car il sensibilise le myocarde aux catécholamines et favorise la survenue de troubles du rythme graves [6].Depuis le décès d’un de nos patients imputable à ce narcotique volatil, nous ne l’employons plus dans la chirurgie du phéochromocytome [6]. Après exérèse de la tumeur ; les risques majeurs sont l’hypotension et l’hypoglycémie post opératoire immédiate [7,8] en rapport avec l’effet rebond de la sécrétion d’insuline dû à la suppression de l’effet inhibiteur des catécholamines sur la sécrétion d’insuline. La plupart des auteurs recommandent donc un dosage systématique de la glycémie toutes les 30 mn en salle de réveil toutes les heures jusque 12 heures après l’intervention [1,2,8]. Dans notre service, la surveillance qui est essentiellement clinique porte sur les stigmates de réveil, la recherche de signes d’hypoglycémie et une surveillance horaire de la tension artérielle. Le dosage de la glycémie n’est réalisé qu’à J1 post opératoire.
Conclusion
La chirurgie du phéochromocytome reste périlleuse et les bons résultats que nous rapportons ne doivent pas faire minimiser les risques de cette chirurgie qui nécessitent une parfaite symbiose entre l’équipe chirurgicale et celle des anesthésistes.
Références
1. Proye C. Les phéochromocytomes. In : Chapuis, Peix J C chirurgie des glandes surrénales. Arnette, Paris ; 1999 : 89-114.
2. Proye C. Aspects modernes de la prise en charge des phéochromocytomes et des paragangliomes abdomino-pelviens. Ann chir 1998 ; 52 : 643-56.
3. Brunetti G,Jaud V, Vitris M,Derosier C,Larregle R, Seirat P L, Renambot J, Aubry P, Maistre B. Phéochromocytome en Afrique noire. A propos de 3 nouveaux cas observés en un an à l’hôpital principal de Dakar. Dakar méd. 1983 : 28, 421-30.
4. Proye C, Thevenin D, Cecat P .Exclusive use of calcium channel blockers in preoperative and intraoperative control of pheochromocytoma : hemodynamics and free catecholamine essays in ten consecutive patients. Surgery 1989 ; 106:1144-154
5. Ryan T, Timoney A, Cunningham J. Use of transoesophageal echocardiography to manage beta-adrenoreceptor block and assess left ventricular function in a patient with pheochromocytoma. Br.J.Anaesth 1993 ; 70, 101-03.
6. Nguessan HA, Keli E, Casanelli JM, Yapo P, Yakpa P, Kadio-Richard M, Koffi K, Ndri D et Cornet L. Le Phéochromocytome en Afrique noire. A propos d’une série de 9 observations. Chirurgie 1990, 116, 315-19.
7. Paineau J, Blanloeil Y, Legrand D et al. Hypoglycémie post opératoire après ablation d’un
phéochromocytome. Une observation. Press Med 1988 ; 17 : 475-78.
8. Billard V, Cheikh M, Delaporte-Cerceau S, Raffin-Sanson L M : Anesthésie pour traitement des tumeurs endocrines Ann Fr Anesth Reanim, 2009, 28 : 549-63