Introduction :
L’épiglottite aiguë, chez l’adulte, est une pathologie infectieuse rare des structures supraglottiques, qui peut rapidement évoluer vers l’obstruction des voies aériennes supérieures puis l’arrêt cardiaque hypoxique. Cette affection doit donc être considérée et traitée comme une urgence vitale immédiate. Nous rapportons le cas d’une détresse respiratoire sévère secondaire à une épiglottite aigue obstructive ainsi que les modalités de prise en charge.
Observation :
Il s’agit d’un patient âgé de 40 ans, tabagique chronique à 20 PA, admis aux urgences ORL pour une dyspnée inspiratoire d’installation brutale et d’aggravation rapide associée à une dysphonie et une dysphagie. A l’examen, on trouve un patient conscient, en détresse respiratoire sévère, avec une polypnée, un tirage sus-claviculaire, une cyanose généralisée, des sueurs profuses, fébrile à 38,5°C, tachycardie à 120 battements par minute, une hypoxie avec une SpO2 (saturation pulsée en oxygène) à 19%, une hypertension artérielle à 190/105 mmHg, l’auscultation pulmonaire normale, une hypersalivation gênant l’examen ORL, sans trismus ni masse cervicale palpable. Le patient est conduit, en extrême urgence, au bloc pour trachéotomie sous anesthésie locale.
Après rétablissement de l’état respiratoire et hémodynamique, le patient bénéficie d’une nasofibroscopie qui montre un œdème de la base de la langue qui arrive au contact de la paroi postérieur de l’oropharynx, structures laryngées invisibles. Une tomodensitométrie cervico-thoracique objective un épaississement et une infiltration des parois oropharyngées et des structures laryngées avec cellulite de l’épiglotte obstruant complètement la filière respiratoire (Figure 1).
On retient le diagnostic de l’épiglottite.
Le patient bénéficie, en milieu de réanimation, d’une tri-antibiothérapie par voie intraveineuse à base d’amoxicilline-acide clavulanique 3g/j, métronidazole 1,5 g /j, aminoside 160 mg/j et de corticothérapie après 48h de l’évolution. A j3, une laryngoscopie directe faite, objectivant un œdème important de la luette, une infiltration de la base de la langue, un œdème important de l’épiglotte avec issu du pus empêchant la visualisation de l’étage glotto-sous-glottique (Figure 2).
Un bilan biologique montre une hyperleucocytose à 19770/µl avec une CRP à 125 mg/l. Des examens au nasofibroscope se font chaque 48h pour une surveillance locale témoignant d’une nette régression de l’inflammation et de l’œdème ainsi que la liberté progressive de la filière laryngée (Figure 3)
Discussion
L’épiglottite aigue est considérée, depuis longtemps, comme une maladie de l’enfant entre 2 et 6 ans, pourtant, son incidence chez l’adulte ne cesse d’augmenter à cause d’une meilleure connaissance de la symptomatologie et varie actuellement entre 1 et 4 /100000 habitants par an [1]. C’est une cellulite rapidement extensive des tissus supraglottiques pouvant entrainer une obstruction brutale des voies aériennes supérieures.
L’âge moyen des patients est de 50 ans avec un sex-ratio de 2 et une incidence plus élevée durant la saison hivernale [2]. 75% d’épiglottite, ayant nécessité une assistance respiratoire dans la série de Yen-Liang Chang and al, sont associée à une co-morbidité (diabète, HTA, épilepsie, alcool, drogues, cancers, immunodépression) [3]. Sur le plan microbiologique, les germes principalement responsables sont le Pseudomonas aeruginosa, Escherichia coli, anaérobies, Streptocoque beta-hémolytique du groupe A [4].
Le tableau clinique chez l’adulte est assez évocateur, rarement brutal, associant une voix étouffée, une gêne à la déglutition croissante avec hypersialorrhée, le tout évoluant dans un contexte infectieux (fièvre et hyperleucocytose). L’examen clinique complété par une endoscopie permet d’objectiver le plus souvent chez l’adulte de multiples micros abcès épiglottiques contrairement à l’enfant où l’œdème prédomine. La sévérité du tableau clinique doit guider le médecin dans son approche ; toute suspicion clinique d’épiglottite doit pousser l’urgentiste à examiner le patient en position demi-assisse, étant donné que la position allongée aggrave la gêne respiratoire, il faut, également, éviter l’examen à l’abaisse langue et de réaliser les examens endoscopiques en milieu de réanimation ou au bloc opératoire, tous ceci, pour empêcher l’aggravation de l’obstruction par chute de la langue ou spasme laryngée. Le bilan biologique montre une hyperleucocytose constante dans toutes les séries. Plusieurs équipes considèrent le prélèvement pharyngé comme inutile à cause de la contamination par la flore habituelle du sujet sain [2]. L’imagerie tomodensitométrique du larynx n’est pas nécessaire pour le diagnostic mais dans notre cas, nous étions amenées à la réaliser à cause de la difficulté de l’exploration de la filière laryngée à l’admission. La prise en charge thérapeutique reste controversée ; des auteurs suggèrent une approche agressive avec mise en place d’une voie respiratoire artificielle de sécurité dès l’admission du patient, d’autres sont plus conservateurs sans pour autant avoir de moins bons résultats. Certains auteurs proposent une stratégie thérapeutique et distinguent trois situations [2,5] :
1- Devant l’existence d’une détresse respiratoire patente une intubation trachéale immédiate s’impose avec possibilité d’une trachéotomie en cas d’échec.
2- Devant la présence du moindre signe indiquant un retentissement respiratoire potentiel (un tirage, une dyspnée, impossibilité d’évacuer la salive ou les secrétions) un abord trachéal doit être indiqué réalisé au mieux dans un bloc opératoire.
3- L’absence de toute gravité potentielle nécessite néanmoins l’admission en réanimation pour surveillance armée.
Le traitement médical s’avère suffisant en l’absence de signes respiratoires. L’antibiothérapie urgente doit être active sur tous les germes potentiels ainsi sont proposés soit une céphalosporine de troisième génération soit de l’amoxicilline et acide clavulanique [5].
Une corticothérapie à forte dose peut être associée pour diminuer l’œdème local bien que son efficacité sur la durée de l’évolution n’ait pas été prouvée [2]. Aucun cas de mise à plat de l’abcès de l’épiglotte n’a été rapporté dans la littérature. Les complications rapportées à ce jour sont à type d’abcès épiglottiques dans 3 à 24 % et de pneumopathie dans 7% [6]. La mortalité a actuellement nettement diminuée grâce au progrès de la réanimation et elle est aux alentours de 7 % [2].
Conclusion
Certes l’épiglottite aigüe est une affection rare chez l’adulte, mais elle demeure une infection grave pouvant engager rapidement le pronostic vital. Malgré la difficulté du diagnostic, du fait d’une symptomatologie pauvre et polymorphe, la suspicion d’épiglottite impose une prise en charge rapide et adaptée avec des mesures spécifiques. La laryngoscopie est l’examen clé du diagnostic. Le traitement repose sur la libération des voies aériennes supérieures et une antibiothérapie efficace. La surveillance en milieu spécialisé voire en réanimation s’avère nécessaire.
Références :
1. M. Radji and al. Dyspnée laryngée chez l’adulte : pensez aussi à l’épiglottite. Ann Fr Anesth Réanim. 2002 ; 21:245-8.
2. Ben M’hamed R. et al. Epiglottite infectieuse aigue de l’adulte : A propos de deux cas. J. tun ORL - n° 26 Juin-Décembre 2011.
3. Yen-Liang Chang, and al. Adult acute epiglottitis : Experiences in a Taiwanese setting. Otolaryngol Head Neck Surg.2005 ; 132:689-69.
4. Lilot ., Petitjeans F, Wey P F, Eve O, Puidupin M. Epiglottite aigue obstructive en réanimation : stratégie pour une intubation à haut risque. Ann. Fr. Anesth Réanim. 2010 ; 29 : 247-50.
5. Qazi I M, Jafar A M, Al Abdul Hadi K, Hussain Z. Acute epiglottitis : a retrospective review of 47 patients in Kuwait. Indian J Otolaryngol Head Neck Surg. 2009 ; 61 : 301-05
6. khouri M, Demare-Jallet I, Lalande G. A propos d’un cas d’épiglottite de l’adulte. Urgences 1995 ; XIV : 220-21