Introduction
L’éclampsie est une complication neurologique redoutable de la prééclampsie. Elle se définit par l’existence de convulsions généralisées et/ou de troubles de la conscience, survenant typiquement au cours du troisième trimestre de la grossesse ou dans le post-partum, dans un contexte de prééclampsie (PE), et ne pouvant être rapportées à un problème neurologique préexistant [1]. Devenue relativement rare dans les pays développés, l’éclampsie demeure un problème majeur de santé publique dans les pays en voie de développement de par sa fréquence et sa mortalité élevées [2].
L’bjectif de ce travail était d’étudier la prévalence de l’éclampsie et d’en analyser les caractéristiques épidémiologiques ainsi que les facteurs pronostiques dans le service de réanimation polyvalente du CHUYO.
Patientes et méthodes
Il s’agissait d’une étude rétrospective sur dossiers qui a eu lieu au sein du service de réanimation polyvalente du CHUYO sur une période de cinq ans (de janvier 2008 à décembre 2012). Les patientes admises dans le service de réanimation polyvalente pour éclampsie ont été incluses dans notre étude ; celles dont les dossiers cliniques n’ont pas été retrouvés ont été exclues de l’étude. Les données ont été recueillies à l’aide d’une fiche de collecte préétablie. Les paramètres épidémiologiques, cliniques et évolutifs ainsi que les facteurs pronostiques ont été étudiés. La provenance des patientes représentait le service ou le centre médical d’où elles ont été transférées. Le délai d’admission a été le temps écoulé entre l’apparition de la première convulsion rapportée et l’admission en réanimation. Seules les crises notées dans les dossiers cliniques ont été comptabilisées pour le calcul du nombre de crises. La grossesse a été considérée régulièrement suivie lorsqu’elle a bénéficié d’au moins deux consultations prénatales (CPN) étant au deuxième trimestre ou d’au moins trois CPN étant au troisième trimestre. L’oligurie désigne une diurèse comprise entre 100 et 500 ml/24 heures et l’anurie une diurèse inférieure à 100 ml/ 24 heures. La pression artérielle était sévère si la pression artérielle systolique (PAS) ≥ 160 mm Hg et/ou la diastolique (PAD) ≥ 110 mm Hg. Le HELLP syndrome a été retenu sur la base de l’existence d’une hémolyse, d’une cytolyse hépatique et d’une thrombopénie [3]. Les facteurs prédictifs de décès étaient recherchés par le test de Chi carré de Mantel Haenszel ou de Fisher Exact avec un seuil de signification p ≤ 0,05.
Résultats
Au cours de la période de l’étude, nous avons colligé 64 cas d’éclampsies admises dans le service de réanimation polyvalente du CHUYO sur 1057 hospitalisations soit une prévalence de 6,1% des admissions du service. Parmi ces patientes, 58 ont été incluses dans notre étude. L’incidence de l’éclampsie a augmenté progressivement au cours des cinq années (tableau I) mais nous n’avons pas observé une variation saisonnière de cette incidence.
La majorité (94,9%) des patientes provenait d’un autre service du CHUYO dont le service de gynécologie et d’obstétrique dans 89,7% contre 5,1% des patientes qui provenaient des formations sanitaires périphériques. Le délai moyen d’admission en réanimation polyvalente était de 2,8 jours et 75% des patientes avaient un délai d’admission de plus d’une demi-journée (12 heures). Le coma prolongé postcritique était le motif de transfert dans 65,5% des cas et l’instabilité des chiffres tensionnels dans un quart des cas (25,9%).
L’âge moyen des patientes était de 24,9 ± 5,4 ans (extrêmes:17 et 39). La parité moyenne était de deux pares (extrêmes : un et sept) ; les primipares représentaient 56% des patientes (Figure 1). Seulement 27,9% des patientes avaient été régulièrement suivies pendant leur grossesse.
La quasi-totalité (98,3%) des patientes était admise en réanimation dans le post-partum après vérification d’une bonne vacuité utérine. Elles avaient déjà bénéficié d’une césarienne dans 71,9% des cas et cela sous anesthésie générale dans 61% des cas. Toutes les patientes ont convulsé avant leur admission en réanimation. La crise survenait en antépartum dans 53,4% des cas avec un âge gestationnel moyen de 35,3 ± 4 semaines d’aménorrhée. L’éclampsie du postpartum représentait 36,2% des cas et survenait typiquement dans les 48 premières après accouchement (57,1%). Un cas d’éclampsie a été rapporté au 19ème jour après accouchement. Celle du perpartum représentait 10,3% des cas.
Il n’y avait pas d’association statistiquement significatif entre le moment de survenu de la crise par rapport à l’accouchement et le pronostic maternel (p = 0,78). Le nombre moyen de crises convulsives était de 3,8 crises et 35% des patientes ont présenté au moins cinq crises convulsives entre le début des convulsions et l’admission en réanimation. Le score moyen de Glasgow était de 9,5±4 et 22 patientes soit 38,6% étaient dans le coma (score de Glasgow ≤ 7). L’oligurie et l’anurie étaient respectivement observées chez sept patientes (13,7%) et quatre patientes (7,8%). La pression artérielle était sévère chez 23 patientes (39,7%). Le sulfate de magnésium était majoritairement utilisé (36 cas soit 62,1%) pour le traitement anticonvulsivant. Il était associé au diazépam dans 11 cas soit 19%. La nicardipine était l’antihypertenseur de choix dans 86,4% des cas. L’insuffisance rénale était la complication la plus associée à l’éclampsie (29,3%). Les complications associées à l’éclampsie observées dans notre série sont représentées dans le tableau II.
L’évolution était favorable chez 58,6% des patientes. Dix-huit cas de décès maternels ont été enregistrés (31% de mortalité). Le tableau clinique de décès le plus fréquemment rencontré était le syndrome de défaillance multiviscérale (SDMV). Le tableau III représente la répartition des cas de décès selon le tableau clinique de décès.
SDMV ⃰ : Syndrome de Défaillance Multiviscérale, EME** : Etat de Mal Eclamptique AVCH*** : Accident Vasculaire Cérébrale Hémorragique, DR**** Détresse Respiratoire, OAP***** : OEdème Aigu du Poumon.
La majorité des décès (76,9%) survenait dans les 24 premières heures suivantes l’hospitalisation. La durée moyenne de séjour était de cinq jours.
Les facteurs de pronostic maternel péjoratif étaient l’âge ˃ 25 ans (p = 0,009) ; le coma (0,001) et l’insuffisance rénale oligo-anurique (p = 0,048). La primiparité était un facteur de bon pronostic maternel (p = 0,02).
Nous avons observé 11 cas de morts foetales tardives (mort-nés) et trois cas de décès néonataux précoces (au cours de la première semaine du postpartum) soit une mortalité périnatale de 24,1%.
Discussion
L’incidence de l’éclampsie est diversement estimée en fonction de l’hétérogénéité des populations étudiées. Même dans les pays où le suivi des grossesses s’effectue dans de bonnes conditions, l’éclampsie n’est pas une pathologie en voie de disparition. En France, l’éclampsie était responsable de 18 des 225 morts maternelles observées de 1996 à 2002 et sa prévalence y était de 8,1 pour 10000 naissances vivantes en 2006 [4]. Dans notre série, l’incidence de l’éclampsie était de 6,1% des admissions du service de réanimation. Or la majorité des patientes éclamptiques ne sont pas admises dans les services de réanimation dans la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne en raison du nombre limité de places [5]. Ce qui laisse voir une fréquence toujours élevée de l’éclampsie dans ces pays. Cela pourrait s’expliquer par une couverture sanitaire insuffisante avec insuffisance de dépistage et déficience de la prise en charge des états hypertensifs associés à la grossesse.
Notre étude montre que cette pathologie concerne surtout la jeune femme âgée de 24,9 ans en moyenne, primipare (56%), avec une grossesse non ou irrégulièrement suivie (62,1%). Cela se confirme dans plusieurs études [6 ;7 ;8]. Ducarme par contre rapportait en France en 2006, une quasi-totalité des éclamptiques qui était suivies précocement et régulièrement pendant leur grossesse [4]. Les CPN, même correctement réalisées ne semblent donc pas mettre à l’abri d’une éclampsie mais pourraient en améliorer le pronostic par une détection précoce et une prise en charge rapide.
La majorité des patientes était transférée du service de gynécologie et d’obstétrique du CHUYO avec un délai d’admission en réanimation (après la première crise convulsive) assez long (2,8 jours en moyenne). Ce retard d’admission a été rapporté par plusieurs études en Afrique comme celles de Beye au Sénégal en 1999 et de Brouh en Côte d’Ivoire en 2006 [7 ;8].
Au plan évolutif, la mortalité maternelle liée à cette pathologie était de 31% dans notre étude. Cette mortalité est aujourd’hui faible dans les pays européens (entre 0 et 1,8%) grâce à une prise en charge rapide et adaptée [9 ;10]. Contrairement à l’étude de Brouh qui a montré une tendance à la régression de la mortalité liée à l’éclampsie en Afrique (16% en 2006), notre étude montre une mortalité particulièrement plus
élevée. La défaillance multiviscérale était fréquemment associée aux décès maternels constatés. Nous avions également observé une précocité de survenue de ces décès au cours de l’hospitalisation (76,9% des décès survenait dans les 24 premières heures). Cela pourrait s’expliquer par notre population d’étude constituée essentiellement de cas compliqués (voir souvent des patientes moribondes) et le retard de prise en charge aggravés par le sous équipement du service.
La fréquence de l’insuffisance rénale au cours de l’éclampsie varie entre 22 et 25% [11]. Dans notre étude, elle était la complication la plus observée (29,3%). Beye a fait le même constat (32%). L’état de mal éclamptique, le HELLP syndrome et les accidents vasculaires cérébraux ont été observés dans 22,4%, 12,1% et 10,3% respectivement. Dans la série de Ducarme, le HELLP syndrome était fréquemment associé à l’éclampsie (62,5% des cas) [4]. Miguil et coll. trouvaient 24% d’insuffisance rénale aigue et 9% de HELLP syndrome à Casablanca en 2001[12].
Le sepsis sévère était associé dans 15,5% des cas dans notre étude. Ce type de complication n’a pas été rapporté dans les études antérieures alors qu’il a été associé aux causes de trois décès dans notre série. Cette situation nous interpelle quant aux conditions d’asepsie à améliorer dans nos services.
Les facteurs de pronostic maternel péjoratif observés dans notre étude étaient : âge > 25 ans, score de Glasgow ≤7 et l’insuffisance rénale oligo-anurique. Brouh et Ducarme ont également rapporté l’insuffisance rénale et le score de Glasgow < 8 comme facteurs de mauvais pronostic [4 ;8]. La primiparité (ou la primigestité) était un facteur de bon pronostic dans notre étude contrairement à Brouh en 2006 qui rapportait la gestité élevée comme facteur de bon pronostic [8].
Le retentissement de l’éclampsie est important sur le foetus avec une mortalité périnatale qui varie entre 10 et 28% selon la qualité de la prise en charge materno-foetale avant et après l’accouchement [13]. Dans notre étude, la mortalité périnatale était de 24,1%. Cette mortalité périnatale a donc tendance à régresser dans les pays en développement car Beye en 1999 et Rakotomahenina (Madagascar) en 2006 rapportaient des chiffres plus élevés (42,8% et 46% respectivement [7,14].
Conclusion
La fréquence de l’éclampsie reste élevée avec 6,1% des admissions dans le service de réanimation polyvalente du CHU-YO. Cette affection demeure toujours pourvoyeuse de nombreuses complications avec un taux de mortalité maternelle et foetale élevé.
L’amélioration du pronostic passe par la prévention avec un suivi précoce et régulier des gestantes, le traitement adapté de l’hypertension artérielle gravidique, la prise en charge précoce de la prééclampsie et de l’’éclampsie avant l’installation des signes de gravité.
Références
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