Introduction
La prééclampsie est un syndrome associant une hypertension artérielle et une protéinurie massive apparaissant sur une grossesse à partir de la vingtième semaine d’aménorrhée. Elle est la troisième cause de mortalité maternelle dans le monde [1]. Sa complication la plus spectaculaire est la crise d’éclampsie. Mais elle ne doit pas faire ignorer les autres complications. Le but de notre étude était de decrire et analyser les complications de la prééclampsie rencontrées en réanimation.
Méthodologie
Notre étude était rétrospective, descriptive et analytique réalisée au service de réanimation du CHU de Cocody sur trente mois (Janvier 2011- Juin 2013). Etaient inclus tous les dosiers des patientes admises pour complication de la prééclampsie. Le recueil des données a été effectué à partir d’une fiche d’enquête préétablie et la méthodologie a consisté à les remplir à partir des dossiers médicaux sélectionnés. L’étude portait sur les paramètres sociaux (âge, niveau de scolarisation), cliniques, therapeutiques et évolutifs.
Les données ont été exploitées à l’outil informatique à partir des logiciels Microsoft Office Excel 2007 et Epi info version 3.5.3. Les variables quantitatives ont été exprimées en moyenne avec l’écart type, tandis que les qualitatives étaient exprimées en proportions. Nous avons utilisé le test de Chi² pour la comparaison des variables qualitatives et une valeur de P inferieure à 0,05 a été retenue comme seuil de significativité des différences observées.
Resultats
Pendant la période d’étude, nous avons recencé 106 dossiers sur 866 admissions, soit une prévalence de 12,3%. L’âge moyen était de 24,3 ± 6,2 ans (extrêmes : 14 et 42 ans). La moitié de nos patientes était non scolarisée. Les principaux antécédents retrouvés chez nos patientes étaient : l’hypertension artérielle (7,5%), la prééclampsie (2,8%) et l’éclampsie (3,8%). Les primipares prédominaient avec 66%. Le nombre moyen de consultations prénatales réalisées par les patientes était de 2 ± 2,12 (extrêmes : 0 et 6). La fréquence des complications était elevée du mois de mars à mai (figure 1).
La césarienne était pratiquée dans 60,4% des cas. L’état de mal convulsif était le principal motif d’admission (91,4%) avec 42,5% de convulsions à l’admission. Le score de Glasgow moyen à l’admission était de 9 ± 2 (extrêmes : 6 et 15) avec 33% des patientes ayant un score de Glasgow ≤ 8. La prééclampsie a été revelée par les complications dans 70,8% des cas. Celles ci survenaient le plus souvent en prépartum (59,4%). Les complications retrouvées étaient : l’éclampsie (94,3%), le HELLP syndrome (40,5%), l’insuffisance rénale (13,2%), les accidents vasculaires cérébraux (7,5%) et l’oedème aigu du poumon (2,8%). Elles s’associaient le plus souvent entre elles (tableau I)
Le delai moyen d’admission en réanimation était de 49 ± 34,25 heures (extrêmes : 7 et 192 heures). L’intubation trachéale et la ventilation mécanique ont été pratiquées chez 42,5% des patientes. Soixante deux pourcent (62%) des cas d’éclampsie ont reçu par la voie parentérale un antihypertenseur (nicardipine) et un anticonvulsivant (diazépam et/ou phénobarbital) contre 38% ayant reçu uniquement du sulfate de magnesium. La quantité moyenne de soluté perfusée par jour était de 2509 ± 601 ml. L’utilisation des produits sanguins était de 69,8% pour le PFC ; 17,9% pour les concentrés plaquettaires ; 8,5% pour l’albumine
Humaine ; 20% et 35,8% pour les concentrées érythrocytaires. L’hémodialyse a été realisée chez 7 patientes sur 14 presentant une insuffisance rénale. La durée moyenne de séjour des patientes sous sulfate de magnésium était de 5,4 ± 4,2 jours (extrêmes : 1 et 24 jours) contre 6,2 ± 6,2 jours (extrêmes : 1 et 24 jours) pour celles qui ont réçu un antihypertenseur et un anticonvulsivant. La durée moyenne globale de séjour était de 6 ± 6 jours (extrêmes : 1 et 24 jours). Le taux de décès était de 22,6%. Le décès était plus fréquent chez les patientes associant éclampsie et HELLP syndrome (P= 0,03) (Tableau II)
De même que chez les patientes admises avec un score de Glasgow ≤ 8 (P= 0,001) (Tableau III).
Discussion
L’âge moyen de nos patientes (24,3 ± 6,2 ans) était légèrement inferieur à ceux retrouvés par Tchaou et al. au Bénin [2] et Beye et al. à Dakar [3] qui étaient respectivement de 26,4 ± 6,7 ans et 26 ± 6 ans. Malgré cette différence, l’âge de survenue de la prééclampsie reste jeune. Cependant, chez les femmes jeunes, c’est la parité et non l’âge de la mère qui explique le risque élevé de prééclampsie. La nulliparité est le principal facteur de risque de la prééclampsie. La prévalence de l’affection est de 5 % au cours de la première grossesse et de 0,3 % pour les suivantes [4]. Notre étude montre cette prédominance des primipares avec 66%. Ces résultats sont sensiblement identiques à ceux de Pambou et al. au Congo qui trouvaient 65% de primipares [5]. En effet, Les mécanismes permettant à la cellule trophoblastique semiallogénique d’envahir les tissus maternels en déjouant les processus maternels de reconnaissance du non-soi peuvent s’avérer défaillants. Il se produit donc une réaction immunologique due à la première exposition de la mère aux villosités trophoblastiques comportant des antigènes d’origine foetale et donc paternelle [6]. Ainsi est évoquée l’hypothèse d’une maladaptation immunologique dans la survenue de la prééclampsie. Selon l’OMS, pour le bon suivi d’une grossesse normale, il faut au moins 4 consultations prénatales [7]. Dans notre série, les grossesses étaient mal suivies (nombre moyen de consultations prénatales de 2 ± 2,12). Le même constat a été fait par Tchaou et al. au Bénin [2] et Mayi-Tsonga à Libreville [8] qui trouvaient respectivement 52,4% et 63% des patientes mal suivies. Bien que le suivi régulier de la grossesse n’empêche pas la survenue de la prééclampsie, il permet tout de même de la dépister précocement et d’éviter son évolution vers les complications. Les consultations prénatales constituent donc un moyen privilégié pour réduire la survenue de ces complications. Le mauvais suivi constaté dans notre série pourrait s’expliquer par le fait que la moitié de nos patientes étant illétrée, ignore complètement l’existence de cette pathologie liée à la grossesse. La période de recrudescence de la pré-éclampsie observée dans notre étude correspond à la grande saison pluvieuse et chaude dans la région d’Abidjan [9]. Des résultats similaires ont été retrouvés par Harioly Nirina et al. en Antananarivo où ils trouvaient une recrudescence de la survenue de la prééclampsie et ses complications dans la période chaude de l’année [10]. Cependant, plusieurs auteurs constatent la recrudescence de la maladie pendant la saison froide [11-12]. Comme on le constate, la littérature avance des thèses contradictoires sur ce sujet ne permettant pas d’affirmer une influence du climat sur la survenue de la prééclampsie.
Le score de Glasgow moyen retrouvé dans notre série à l’admission (9 ± 6) est inferieur à celui retrouvé par Tchaou et al. au Bénin qui rapportaient un score de Glasgow moyen de 13,2 ± 1,3 à l’admission en réanimation [2]. Cette différence pourrait s’expliquer par le fait que l’admission des patientes dans notre service de réanimation était souvent retardée par une indisponibilité de place. Les patientes qui ont convulsé à l’admission étaient 42,5% contre 31,1% trouvés par Tchaou et al. au Bénin [2].
La prééclampsie a été révélée par les complications (70,8%) du fait du manque de suivi des patientes. Celles ci survenaient le plus souvent en prépartum (59,4%). Samaké et al. retrouvaient un taux plus élevé (69%) d’éclampsie survenue en prépartum [13]. La survenue de l’éclampsie est rare lorsque la grossesse est bien suivie. La pression artérielle contrôlée par des vasodilatateurs limitant le vasospasme cérébral, l’éclampsie est aussi rare lorsque l’accouchement se fait avant les signes prodromiques de la crise convulsive. Elle devient très fréquente lorsque toutes ces conditions ne sont pas respectées [4]. Ce fait est retrouvé dans notre étude par une fréquence élevée de l’éclampsie (94,3%), due au manque de suivi prénatal de nos patientes. Le delai moyen d’admission était allongé (49 ± 34,25 heures). Cela pourrait s’expliquer par les retards de consultation, l’indisponibilité du bloc opératoire et/ou de la place en réanimation. Le sulfate de magnésium ayant à la fois des propriétés anticonvulsivantes et hypotensives, est proposé en prémière intention dans le traitement de l’éclampsie [13]. Cependant, dans notre étude, seulement 38% de nos patientes avaient reçu du sulfate de magnésium. Ce faible taux est dû aux fréquentes ruptures de stocks du sulfate de magnésium dans nos officines. Nous avons
transfusé 35,8% de nos patientes avec des concentrés érythrocytaires ; 69,8% avec du plasma frais congelé ; 17,9% avec des concentrés plaquettaires et 8,5% avec de l’albumine humaine 20%. Sima et al. au Gabon avaient trouvé les proportions suivantes : 33,3% de concentrés érythrocytaires ; 44,4% du plasma frais congelé et 22,2% de concentrés plaquettaires [14]. Ces différents taux d’utilisation des produits sanguins montrent qu’ils sont beaucoup sollicités dans la prise en charge des complications de la prééclampsie. La durée moyenne de séjour était de 6 ± 6 jours. Cette durée était raccourcie par l’utilisation de sulfate de magnésium. Nos résultats sont superposables à ceux de Sima et al. au Gabon qui trouvaient une durée moyenne de séjour de 6,3 ± 3,9 jours [14]. Parcontre, Tchaou et al. au Bénin ont rapporté un séjour moyen plus long (7 ± 5,1 jours) [2]. La mortalité observée dans notre série était de 22,6%. Un score de Glasgow inferieur ou égale à 8 et l’association HELLP syndrome-éclampsie constituaient des facteurs de mauvais pronostic car ils étaient significativement liés aux décès. Le score de Glasgow ≤ 8 était également retenu comme facteur de mauvais pronostic par Tchaou [2]. Les taux de décès trouvés par ce dernier et Sima étaient inferieurs au notre avec respectivement 6,8% et 11,1% [14, 2]. Cette forte mortalité que nous avons observée dans notre série est due à l’état clinique de nos patientes à l’admission. En effet, 33% de nos patientes avaient un score de Glasgow ≤ 8 (facteur de gravité) à l’admission contre 19,4% chez Tchaou [2].
Conclusion
Le pronostic des complications de la prééclampsie est sombre dans cette étude où l’on note 22,6 % de mort maternelle. La prévention de ces complications constitue un moyen pour améliorer le pronostic. Elle passe par le dépistage des grossesses à risque, tout en ayant présent à l’esprit que la plupart des grossesses sont mal suivies. Ce qui implique une prise en charge appropriée de ces complications en milieu hospitalier avec un transfert rapide en réanimation. L’avenir pourrait être l’intensification des consultations prénatales de qualité par les membres de l’équipe de santé constitués en réseau de prise en charge de la grossesse jusqu’à l’accouchement.
Références
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2. Tchaou B. A, Salifou K, Hounkponou F M, Hountovo S, Chobli M. Prise en charge de la prééclampsie sévère dans l’hôpital universitaire de Parakou (Bénin). Rev Afr Anesth Med urgence. 2012 ; 17 10-7
3. Beye M-D, Diouf E, Kane O, Ndoye M-D, Seydi A, Ndiaye P. Prise en charge en charge de l’éclampsie grave en réanimation en milieu africain. An Fr. Anesth. Réanim. 2003 ; 22 : 25-30.
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8. Mayi-tsonga S, Akouo L, Ngou-mvengou JP, Meye JF. Facteurs de risques de l’éclampsie à Libreville (Gabon) : Etude cas-témoins. Cahier d’études et de recherches francophones/ santé 2006 ; 16 : 197-200.
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