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Introduction
Les infections du site opératoire représentent en termes de fréquence la première complication de la chirurgie et une proportion non négligeable des infections nosocomiales [1]. Elles sont une cause importante de morbidité, et augmentent la mortalité post opératoire et la durée du séjour hospitalier [1]. L’antibioprophylaxie qui consiste à prévenir ces infections vient en appoint à une technique chirurgicale aseptique pour réduire l’incidence des infections postopératoires. Bien que les principes de l’antibioprophylaxie aient été bien codifiés, une utilisation inappropriée est encore fréquemment observée [2-3]. Le but de cette étude était d’évaluer les connaissances et les pratiques dans le domaine de l’antibioprophylaxie chirurgicale à Bobo-Dioulasso afin d’améliorer la qualité des soins.
Materiel et methode
Il s’agissait d’une étude prospective par questionnaire qui s’est déroulée sur 3 mois de Janvier à Mars 2012. Un questionnaire anonyme a été adressé aux différents établissements publics de soins de la ville de Bobo-Dioulasso qui pratiquent une activité chirurgicale. Il s’agit du centre hospitalier universitaire (CHU) Souro Sanou et des centres médicaux avec antenne chirurgicale (CMA) de Do et de Dafra. Etaient concernés par l’étude tout le personnel médical et paramédical exerçant dans les services chirurgicaux suivant : Anesthésie, chirurgie viscérale, orthopédie-traumatologie, ORL, urologie, gynécologie obstétrique. Le questionnaire a été distribué à tous les praticiens présents dans ces différents services durant la période d’étude. Il leur a été demandé qui prescrivait l’antibioprophylaxie, ses buts, les modalités de prescription, l’antibiotique le plus utilisé, l’horaire de la première injection, la durée de l’antibioprophylaxie et enfin s’ils avaient bénéficié d’une formation continue sur l’antibioprophylaxie. Les données ont été saisies sur le logiciel epidata dans sa version 3.1 et analysées par epi info 3.2. Le test du Chi deux (X2) a servi pour la comparaison des proportions. Le seuil de signification de ce test a été fixé à 5%.
Resultats
Au total 148 questionnaires ont été remis avec 81 réponses soit un taux de remplissage de 54,7%.
1. Répartition des praticiens selon la fonction et le taux de réponse.
Les gynécologues (87,5%) étaient ceux qui avaient le taux de réponse le plus élevé (Tableau I).
2. Répartition selon les connaissances sur l’antibioprophylaxie
2.1. Quel est le but de l’antibioprophylaxie
Pour soixante praticiens soit 74,1%, le but de l’antibioprophylaxie était de prévenir l’infection alors que pour 25,9% il était de lutter contre l’infection.
2.2. Qui doit prescrire l’antibioprophylaxie
Pour 56,8% des praticiens, la prescription de l’antibioprophylaxie devait être faite par le chirurgien, tandis que 23,2% ont déclaré que c’est le médecin-anesthésiste qui devait le faire. Vingt pour cent (20%) des praticiens étaient quant à eux favorables à une prescription conjointe entre chirurgien et anesthésiste.
2.3. Quel est la durée maximale d’une antibioprophylaxie
Pour 75% de nos praticiens la durée maximale d’une antibioprophylaxie était de 96 heures.
2.4. Avez-vous déjà reçu une formation continue sur l’antibioprophylaxie ?
Seul 2 praticiens soit 2,5% ont déclaré avoir reçu une formation continue sur l’antibioprophylaxie chirurgicale.
3. Répartition selon la pratique de l’antibioprophylaxie
3.1. L’antibioprophylaxie est-elle systématique dans votre pratique
Cinquante-cinq virgule six pour cent (55,6%) des praticiens n’administraient pas systématiquement des antibiotiques tandis que 44,4% pratiquaient une antibioprophylaxie systématique.
3.2. Quand administrez-vous l’antibioprophylaxie
La majorité des praticiens (50,6%) ont déclaré que l’antibioprophylaxie était administrée avant l’incision chirurgicale. Toutefois, 49,4% l’administraient après l’incision chirurgicale.
3.3. Modalités d’administration de l’antibioprophylaxie
Pour 13 praticiens soit 16%, l’administration se faisait selon un protocole standard, tandis que pour 84 % elle se faisait selon les habitudes.
3.4. Quel type d’antibiotique prescrivez-vous le plus souvent pour la prophylaxie ?
Les céphalosporines de 3è génération (69,1%) étaient les plus prescrit pour l’antibioprophylaxie chirurgicale (Figure 1).
4. Répartition des réponses selon la fonction
4.1. Administration et but de l’antibioprophylaxie
Parmi les praticiens, les chirurgiens connaissaient le mieux le but de l’antibioprophylaxie (100%) mais aussi le moment d’administration de l’antibioprophylaxie (100%). Les tableaux II et III représentent respectivement les réponses des praticiens sur le moment et le but de l’administration de l’antibioprophylaxie selon la fonction.
4.2. Administration systématique de l’antibioprophylaxie
Parmi le personnel, les aides chirurgiens (44,4%) étaient ceux qui pensaient que l’administration des antibiotiques était systématiquement dans tout type de chirurgie. Les aides anesthésistes (42,2%) n’étaient également pas en reste (P= 0,0280).
4.3. Modalités de prescription
Les aides anesthésistes disposaient d’un protocole standard d’antibioprophylaxie dans 53,8% alors que 32,4% des aides chirurgiens et 16,2 % des internes prescrivaient selon les habitudes (P= 0,4093).
Discussion
La réduction du risque infectieux lié à la chirurgie est un objectif en termes de santé individuelle pour le patient et de santé publique pour la collectivité. Elle permet de diminuer le risque d’infections nosocomiales et partant la durée et le coût du séjour hospitalier. Les infections liées au geste chirurgical constituent un problème de santé publique car représentant un quart des infections nosocomiales [4, 5]. L’antibioprophylaxie est une des armes essentielles de la réduction de ce risque infectieux. Elle doit être associée aux autres mesures d’asepsie chirurgicale dans lesquelles elle doit s’intégrer. Les modalités du choix des molécules et de leur administration font l’objet de recommandations validées [6, 7]. Toutefois, une pratique inappropriée de l’antibioprophylaxie reste fréquemment observée d’où la nécessité de faire une évaluation des connaissances et des pratiques de l’antibioprophylaxie pour optimiser l’effet des antibiotiques, limiter les phénomènes de résistances, réduire le coût de leur emploi massif et améliorer l’application des consensus en impliquant les acteurs concernés [8]. Dans notre étude, même si 50,6% des praticiens ont déclaré que l’antibioprophylaxie devait être administré avant l’incision chirurgicale, un grand nombre (44 ,5%) trouvaient qu’elle devait être administrée après l’incision chirurgicale. Ce constat n’est pas anodin car l’heure d’administration de l’antibiotique influence fortement la concentration plasmatique d’antibiotiques au moment de l’incision et pendant toute la durée de l’acte [9]. Il est bien établi que l’antibioprophylaxie doit être débutée avant le début de l’acte chirurgical de manière à obtenir des concentrations tissulaires efficaces au moment de l’incision [10]. Pour cela, un délai d’une demi-heure à une heure avant l’incision est requis. Classen et al. [11] confirmaient ces notions en montrant dans une série de plus de 2800 interventions, que l’administration préopératoire immédiate d’antibiotique (dans les deux heures précédant l’incision) entraîne la meilleure efficacité de l’antibioprophylaxie, avec 0,59% d’infections alors que l’injection peropératoire ou postopératoire, ou une injection trop précoce (précédant de plus de deux heures l’intervention) se montrent moins efficaces : respectivement 1,4%, 3,3% et 3,8% d’infections. Ce problème d’horaire d’administration est lié essentiellement dans notre étude à une méconnaissance des recommandations, à un problème d’organisation du programme opératoire, de délai de prise en charge du patient au sein du bloc opératoire, et à une mauvaise coordination des différents acteurs prenant en charge le patient. Le nombre de prescriptions de C3G et de quinolones est un reflet de la qualité de l’antibioprophylaxie.
Ces molécules sont en effet peu adaptées à cette indication car elles sont chères, agissent sur des germes rarement rencontrés en chirurgie réglée et leur utilisation entraîne l’émergence de mutants résistants à ces médicaments utiles pour les traitements curatifs [12]. Dans notre étude, 69,1% des praticiens utilisaient les C3G dans l’antibioprophylaxie. Notre pourcentage élevé de prescription de C3G pourrait s’expliquer par la méconnaissance des recommandations sur l’antibioprophylaxie mais surtout par l’indisponibilité au Burkina-Faso de certaines molécules recommandées dans l’antibioprophylaxie notamment les céphalosporines de première et de deuxième génération
La forte prescription de C3G ne répond à aucun critère scientifique et des efforts considérables doivent être faits pour la modifier.
L’antibioprophylaxie allait au-delà de 48 heures chez 75% de nos praticiens tandis qu’elle a été inférieur à 48 heures dans 99% des cas en Tunisie dans l’étude de Naijar et al [15]. La durée totale de l’antibioprophylaxie doit être le plus souvent limitée à la période per opératoire, sans jamais être supérieure à 48 heures. De nombreuses études [13-14] montrent l’absence de supériorité d’une prolongation de l’antibioprophylaxie, alors que l’émergence de bactéries ayant acquis des résistances lors des traitements prophylactiques est démontrée [15]. Les conditions précaires d’asepsie dans nos blocs opératoire pourraient expliquer cette différence. Outre la sélection de germes résistants, l’utilisation d’une antibioprophylaxie comporte d’autres risques, propres à l’utilisation des antibiotiques en général. Il existe des risques de toxicité, soit directe, soit par l’intermédiaire de mécanismes immunoallergiques et la flore microbienne peut être altérée. Ceci est d’autant plus inquiétant que 44,4 % des praticiens de notre étude pratiquaient systématiquement une antibioprophylaxie. L’interprétation de ce résultat est toutefois à relativiser, du fait de nos conditions précaires d’asepsie pré-per et postopératoires qui ont pu motiver la prescription systématique d’antibiotique.
Conclusion
Cette étude a mis en évidence d’énormes insuffisances sur l’utilisation préventive des antibiotiques dans les établissements chirurgicaux publics de la ville de Bobo-Dioulasso. Ces insuffisances qui sont aussi bien théoriques que pratiques ont pour dénominateur commun l’absence de formation continue sur l’antibioprophylaxie, l’absence de protocoles locaux d’antibioprophylaxie, et l’indisponibilité de certains antibiotiques recommandés dans la prophylaxie. Il est donc nécessaire de former les praticiens, de créer des comités de lutte contre les infections nosocomiales qui seront chargés d’évaluer régulièrement les pratiques en matière d’antibioprophylaxie, enfin de s’assurer de la présence d’antibiotique recommandé pour la prophylaxie dans les « kits » de chirurgie. Il serait également utile de mener une étude sur l’écologie bactérienne dans nos blocs opératoires afin d’identifier le profil de sensibilité des bactéries et de proposer des protocoles adaptés à notre contexte.
References
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