Introduction
<media1260|vignette|left>Les organophosphorés sont essentiellement utilisés comme des insecticides domestiques ou agricoles depuis 1935 en remplacement des organochlorés. Ce sont des toxiques létaux à action systémique par inhibition irréversible de l’acétylcholinestérase induisant une intoxication cholinomimétique [1,2]. D’autres mécanismes encore mal connus aggravent cette toxicité [3]. La prévalence des intoxications volontaires devient de plus en plus importante. Dans les pays en développement notamment au Sénégal, leur utilisation se fait essentiellement dans l’agriculture. L’absence d’encadrement, leur facilité d’accès, ainsi que l’absence de sensibilisation quant aux dangers de l’intoxication aigue ou chronique font que ces produits sont à l’origine d’accidents parfois très graves.
Patients et méthodes
Notre étude était rétrospective sur une période de cinq ans (1er janvier 2002- 31 décembre 2007) incluant tous les patients reçus à la réanimation médicale de l’hôpital principal de Dakar au décours d’une intoxication par des insecticides organo-phosphorés. Ont été étudiés, les données épidémiologiques, la nature du produit incriminé, les délais de prise en charge, les signes cliniques et biologiques, le traitement et l’évolution.
Résultats
Durant la période couvrant notre étude, les intoxications tous produits confondus concernaient 1,73% des hospitalisations en réanimation. Les organophosphorés représentaient 11,6% des produits incriminés. Tous nos patients venaient de Dakar et de sa banlieue avec un sex-ratio de 1,5. L’âge moyen était de 29,6 ans avec des extrêmes de 4 et 48 ans.
Les circonstances étaient : une prise accidentelle chez 3 patients dont 02 cas sur terrain psychiatrique et un cas chez un enfant. Pour les 02 cas restants, il s’agissait d’une tentative de suicide. Le délai de prise en charge n’avait été précisé que chez deux de nos patients. L’un avait été reçu 04 heures après la prise et pour l’autre 48 heures après.
Trois types de produits ont été retrouvés : Insecticide « Baygon » (deux patients), poudre anti-cafard (deux patients), « Malathion » (un patient).
Au plan clinique, tous nos patients avaient présenté un syndrome muscarinique à type de troubles digestifs, de myosis, d’hypersécrétions lacrymales, d’hypotension, de bradycardie, d’hypersialorrhée et d’hypersudation à l’entrée. Ces signes étaient associés de façon variable chez les patients. Deux patients avaient présenté un syndrome nicotinique à type de fasciculation et de tachycardie. Un syndrome central à type de crises convulsives et de coma a été retrouvé chez deux patients. Quatre jours après son hospitalisation, un patient avait présenté un syndrome retardé avec hyper-sialorrhée, hypersudation, myosis serré et état de choc d’évolution fatale.
Aucun patient n’avait bénéficié du dosage de l’activité cholinestérasique plasmatique, ni de la recherche des dérivés des organophosphorés dans les urines ou dans le sang. Au plan thérapeutique, aucun patient n’avait bénéficié d’un lavage gastrique.
Seul un de nos patients n’avait pas bénéficié du traitement par l’atropine. La dose moyenne utilisée était de 0,78 mg/heure avec des extrêmes de 0,25 mg/heure et 2 mg/heure. La durée moyenne était de 60 heures avec des extrêmes entre 24 et 120 heures. Les signes recherchés étaient : la sécheresse des muqueuses, la présence d’une tachycardie, la disparition du myosis. La dose totale d’atropine utilisée a été en moyenne de 18 mg avec des extrêmes de 6mg et 24 mg. Le traitement était maintenu pendant 24 heures au moins après l’apparition des signes d’atropinisation et la disparition des signes cliniques d’admission. Chez un des patients, il a été nécessaire de réintroduire le traitement par l’atropine du fait de la survenue du syndrome retardé sans succès.
Une assistance ventilatoire a été effectuée chez deux patients pour altération de la conscience. L’évolution était favorable chez 04 patients avec un retour au domicile pour l’un et un transfert vers d’autres services de l’hôpital pour les 03 restants (02 en psychiatrie et 01 en pédiatrie).. La durée moyenne du séjour a été de 4,4 jours avec des extrêmes de 2 et 11 jours. Un seul cas de décès a été noté à la suite de la survenue d’un syndrome retardé et l’apparition d’un coma qui avait motivé une assistance ventilatoire compliqué de pneumopathie nosocomiale à klebsiella pneumoniae avec choc septique réfractaire.
Discussions
Notre étude connaît quelques faiblesses du fait du nombre restreint de cas, ceci ne veut pas dire que cet accident est rare. En fait, l’incidence pourrait être sous-estimée du fait que la plupart des cas surviennent en zones rurales et pourraient être méconnus. Certains décès qui surviennent mystérieusement dans les zones agricoles devraient susciter beaucoup de réflexions quant à l’incrimination de ces produits, mais la relation de cause à effet est souvent difficile en post mortem. La survenue de cas d’intoxications aux insecticides organophosphorés dans la capitale, même si cette dernière ne’est pas une zone agricole pourrait s’expliquer par le fait que ces produits sont facilement accessibles et certains, surtout les poudres anti cafards, qui sont vendus en détail dans des sachets en plastique par des marchands ambulants. Dans la littérature, les accidents domestiques et les tentatives sont plus fréquents. En effet, comme rapporté par Gwladys Dabon en Martinique, sur un total de 223 cas entre 1997 et 2006, seuls 7,6% étaient d’origine professionnelle contre 45,3% d’accidents domestiques, et 39,5% d’intoxication volontaire à visée d’autolyse [4]. Cette même tendance a été retrouvée par Ali Derkaoui et coll. [5]. Ceci expliquerait que la voie orale soit le mode de contamination le plus fréquent selon le centre antipoison du Maroc [6]. Les produits à l’origine de l’intoxication sont tous très accessibles sur le marché.
Le « baygon », insecticide sous forme liquide huileux qui est du chlorpyrifos est très largement utilisé au Sénégal. C’est un organophosphoré modérément toxique [7]. Il est incriminé dans 02 cas de même que la poudre anti-cafard qui est aussi du chlorpyrifos sous forme de poudre blanchâtre. Un seul cas d’intoxication au « malathion » a été noté. Il s’agit d’un insecticide sous forme liquide qui est souvent utilisé comme un anti poux au Sénégal. Il est confondu avec le lait à cause sa couleur blanche. Du fait de sa toxicité importante, il est interdit d’utilisation en France depuis décembre 2008 en application de la directive 98/8/CE qui instaure une procédure européenne d’inscription de substances actives sur des listes positives et un dispositif national d’autorisation de mise sur le marché des produits [8]. Au Maroc, les OP représentent 66,22% des intoxications par les pesticides avec comme produits incriminés dans 78,4% des cas, le Dichlorvos, le Malathion et le Parathion Methyl [6].
Le mécanisme d’action des IOP repose sur une inhibition des cholinestérases des insectes cibles. Ceci constitue également leur mode d’action chez l’homme [9]. L’accumulation d’acétylcholine qui en résulte va être responsable de l’apparition des trois syndromes (muscarinique, nicotinique et central) qui surviennent quelques minutes à quelques heures après l’intoxication.
Un syndrome retardé peut survenir 01 à 04 jours après la phase aiguë [10,11]. Ce syndrome n’a été retrouvé que chez une patiente après ingestion de baygon à visé d’autolyse. Le Baygon est du chlorpyrifos qui est très lipophile donc peut persister plusieurs jours voire des semaines et après une guérison apparente [7].
Aucun denos patients n’avait bénéficié d’un dosage de l’activité cholinestérasique ni du dosage des OP dans les urines ou dans le sang du fait de leur indisponibilité dans notre structure et dans le pays. Le dosage de l’activité cholinestérasique dans le sang est un test sensible et spécifique qui revêt une importance capitale pour confirmer le diagnostic et déterminer la gravité de l’intoxication [12, 13].
Au plan thérapeutique, du fait de leur absorption rapide, le lavement évacuateur dans les IOP est recommandé dans les 30 minutes après l’ingestion [14]. Cependant, le lavage gastrique tardif au delà de 12 heures voire répété serait utile pour certains auteurs [15], mais son intérêt reste controversé [16,17]. L’assistance respiratoire s’avère parfois nécessaire, des taux de 50% ont été rapportés dans la littérature [1, 18]. L’atropine, antagoniste compétitif de l’acétyl choline par sa liaison aux récepteurs muscariniques reste un volet important dans la prise en charge. Dans la mesure où tous nos patients présentaient un syndrome muscarinique, l’atropine a été utilisée chez tous à l’exception d’un malade chez qui les signes étaient peu importants. Ce traitement peut aller de 2 à 7 jours avec de fortes doses pouvant aller jusqu’à 100 mg/jour [14]. Il ne serait pas nécessaire pour certains auteurs de chercher des signes cholinergiques qui seraient plutôt des signes de surdosage [19].
Les oximes n’ont pas été utilisées dans la prise en charge de nos patients. En effet, une étude de Da Silva et al. avait montré que la mortalité n’est pas significativement différente avec ou sans sulfate de pralidoxime [20]. De plus, le coût important de ce traitement fait même discuter son intérêt dans certains pays en voie de développement. Une étude réalisée au Sri Lanka en 1991 lors d’une pénurie en pralidoxime avait montré que le traitement des cas d’’intoxications modérées à sévères par l’atropine seule avait la même efficacité en termes de mortalité, de durée de ventilation ou d’hospitalisation que le traitement classique par l’association atropine-pralidoxime [21]. Au plan de l’évolution, les résultats de notre étude sont comparables à ceux de la littérature. En effet, la plupart des études faites en extrême orient et en Afrique du sud montre une mortalité de 10 à 20% [18,22]. La présence d’une défaillance hémodynamique ou la nécessité de ventiler augmenterait cette mortalité jusqu’à environ 50% [18,23].
Conclusion
La facilité d’accès des produits contenant des organophosphorés dans les pays en voie de développement est à l’origine des intoxications croissantes liées à ces composés.
Les auteurs insistent sur la nécessité d’une réglementation de l’accessibilité de ces produits à l’instar des pays développés. Ceci devrait passer par le retrait des marchés de certains produits hautement toxique comme le malathion et le respect des conditionnements. Mais aussi la nécessité de renseigner les centre anti-poison pour centraliser toutes les données afin d’avoir des chiffres fiables des cas d’intoxication
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