Auteur correspondant :Asse Kouadio Vincent. E.mail :assevinc chez yahoo.fr
Introduction
L’hypertension artérielle (HTA) est un problème de santé publique considérable affectant environ 20% des adultes dans le monde [1]. Chez l’enfant, la prévalence globale de cette affection est beaucoup plus faible de l’ordre de 1 à 5% [2,3].A l’opposé de l’adulte, l’hypertension artérielle de l’enfant est souvent secondaire à une cause identifiable dont la plus fréquente est la maladie rénale [4]. Elle est à l’origine de nombreuses lésions organiques chez l’enfant dont les plus fréquentes sont l’athérosclérose, [5], l’hypertrophie ventriculaire gauche, [6,7] la protéinurie, [8] et l’altération neurologique [9]. A cause de la gravité de l’HTA, le 4e rapport américain sur le diagnostic, l’évaluation et le traitement de l’HTA de l’enfant et de l’adolescent recommande un diagnostic précoce par la prise systématique de la tension artérielle lors de toute consultation de l’enfant [2]. En Côte d’Ivoire, les activités des programmes nationaux qui ont en charge la santé de l’enfant sont ciblées sur les maladies infectieuses et parasitaires. L’HTA ne semble pas être une priorité sanitaire pédiatrique. Par ailleurs, la prise de la tension artérielle n’est pas un geste systématique lors des consultations pédiatriques. Il en résulte que le profil réel de l’HTA n’est pas connu en milieu pédiatrique. Notre étude avait pour objectif de décrire les aspects diagnostiques, thérapeutiques et évolutifs de l’HTA de l’enfant.
Patients et méthodes
Il s’agit d’une étude rétrospective descriptive et analytique menée du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2007 dans le service de pédiatrie médicale du CHU de Yopougon. Pendant la période de l’étude, les tensions artérielles étaient prises par des professionnels de santé entraînés à la mesure de la pression artérielle à l’aide d’un tensiomètre à brassard avec coussinet gonflable. Quatre tailles différentes de brassards étaient utilisées selon la tranche d’âge de l’enfant : 0 - 1 an (L : 10 cm x l : 2,5 cm) ; 1-4 ans (L : 10 cm x l : 5 cm) ; 5 - 9 ans (L :15 cm x l : 7,5 cm) ; 10-14 ans (L :25 cm x l : 14,5 cm).
Pour l’étude, étaient inclus, les enfants hospitalisés dans le service pour une hypertension artérielle sans préjuger de l’étiologie. Nous avons utilisé les courbes de références de la société française de néphrologie pédiatrique [10] pour diagnostiquer et classer l’HTA. N’étaient pas inclus dans l’étude, tous les enfants qui répondaient à la définition de l’HTA dont les dossiers médicaux ne comportaient pas l’ensemble des paramètres étudiés. Pour chaque dossier médical retenu, nous avions à partir d’une fiche d’enquête préétablie, identifié les paramètres d’études suivants : l’âge, le sexe, les signes cliniques associés à l’HTA, les principaux examens para cliniques, l’étiologie, le traitement et l’évolution. Dans la présente étude, était considérée comme hypertendu, tout enfant dont la tension artérielle selon l’âge dépassait la moyenne tensionnelle de plus de 2 déviations standards [11]. L’HTA est dite « limite » : tension artérielle (TA) comprise entre le 97,5e percentile et le 97,5e percentile + 10 mm Hg. L’HTA est dite « confirmée » : TA dépassant de plus de 10 mm Hg le 97,5e percentile. L’HTA est dite « menaçante » : TA dépassant de plus de 30 mm Hg le 97,5e percentile [12].
Les données recueillies étaient saisies sur le logiciel Excel et analysées sur logiciel informatique SPSS 12.0. L’analyse consistait à calculer des effectifs et des proportions. Pour la comparaison des proportions, le test de KHI deux était utilisé avec un seuil de signification de 5%.
Résultats
Aspects diagnostiques
Caractéristiques sociodémographiques
La fréquence hospitalière de l’hypertension artérielle était de 0,22% (30/13199). Il y avait 20 filles et 10 garçons, soit un sex ratio de 0,5. La moyenne d’âge était de 9,3 ans (extrême 4 mois et 14 ans). Dans 83,3% des cas l’enfant avait plus de 5 ans. Cinq enfants avaient un âge compris entre 4 mois et 5 ans ; 12 enfants entre 6 et 10 ans et 13 enfants entre 10 et 15 ans. Les antécédents pathologiques n’étaient pas précisés dans 80,6% des cas. Une notion d’angine à répétition a été retrouvée chez 2 patients.
Caractéristiques cliniques
Les principaux signes fonctionnels d’admission étaient l’oedème (36,6%), l’oligurie (30%), les convulsions (30%) et la dyspnée (26,7%) (Tableau n° I).
L’oedème constituait également le principal signe physique retrouvé à l’examen (93,3%), le second signe physique étant le coma (53,3%) (Tableau n° II). A l’examen physique, l’HTA était menaçante,
confirmée, limite dans respectivement 60% (18/30), 16,7% (5/30) et 23,3% (7/30). La répartition du sexe des enfants selon la sévérité de l’HTA est présentée dans le tableau n° II.
Les autres signes physiques associés à l’HTA sont présentés dans le Tableau n° III.
Caractéristiques para cliniques
Les examens complémentaires réalisés étaient au nombre de 151 soit une moyenne de 5 examens par enfant. Il s’agissait d’examens biologiques et radiologiques dans respectivement 89% et 11%. Concernant la biologie, la créatinine (90%), l’urée (83,3%), l’hémogramme (73,3%), les bandelettes urinaires (56,6%), l’ionogramme sanguin (46,6%), la protidémie (40%), la protéinurie de 24 heures (26,6%) étaient les principaux examens demandés. La bandelette urinaire, la protéinurie, l’urée, la créatinine, la protidémie et l’ionogramme sanguin étaient anormaux respectivement dans 94,1%, 75%, 60%, 59,3%, 41,7% et 35,7% des cas. L’hémogramme montrait une anémie et une hyperleucocytose respectivement dans 50% et 41% des cas. L’analyse histologique du prélèvement de l’unique cytoponction de la masse rénale réalisée montrait des cellules de Burkitt. L’antistreptolysine O (ASLO) recherchée chez 4 enfants est revenue positive dans un cas. Les échographies abdominale (5 cas) et cardiaque (2 cas) étaient anormales dans tous les cas. La radiographie pulmonaire (7 cas) montrait des anomalies dans 85,7% des cas.
Principales étiologies
Les principales étiologies de l’HTA étaient dominées par les maladies rénales dans76,6% des cas (Tableau n° IV). La glomérulonéphrite aiguë (47,8%) et l’insuffisance rénale (30,4%) représentaient 78,2% des affections rénales.
Aspects thérapeutiques
Les mesure hygiéno-diététiques comportaient le régime sans sel (86,7%), le repos (63,3%), la restriction hydrique (56,7%), le régime hypo protidique (53, 3%), le régime hypokaliémiant (46,7%). Les deux dernières prescriptions étaient indiquées chez des enfants qui avaient une insuffisance rénale. Dans 29 cas, un traitement antihypertenseur avait été administré en première intention. L’antihypertenseur était prescrit en monothérapie (46,6%), en bithérapie (46,7%) et en trithérapie (3,3%). La Nicardipine était la molécule prescrite dans la majorité des cas en monothérapie (71,4%). La répartition du traitement antihypertenseur est donnée dans le tableau V.
Quinze enfants ont bénéficié d’un traitement antihypertenseur d’entretien. Il s’agissait d’une monothérapie (7 cas), bithérapie (7 cas), trithérapie (1 cas). L’Enalapril en mono ou bithérapie était la molécule utilisée dans la majorité des cas de traitement d’entretien. Treize patients ont bénéficié d’un traitement étiologique : corticothérapie à base de prednisone (2 cas), antibiothérapie (11 cas). L’antibiothérapie reposait sur l’amoxicilline (9 cas), l’association amoxicilline-acide clavulanique (3 cas) et la pénicilline V (1 cas).
Aspects évolutifs
Sous traitement d’attaque, les chiffres tensionnelles s’étaient normalisés dans 23 cas (76,7%), étaient stationnaire dans 5 cas (16,7%) et s’étaient aggravés dans 2 cas (6,6%). Le délai de normalisation de la tension artérielle était inférieur ou égal à 5 jours dans 72%, compris entre 5 et 10 jours dans 17% et supérieur à 10 jours dans 11% des cas. L’évolution globale était favorable dans 13 cas soit 43,3%. Sept patients étaient référés dans d’autres services (5 en néphrologie et 2 en cardiologie), 8 autres sortis contre avis médical et 2 décès ont été notés soit une mortalité de 6,6%. Parmi les 13 enfants sortis, 9 ont été revus en consultation de contrôle dans un délai variable de 15 à 30 jours. Les chiffres de tension étaient normaux dans tous les cas.
Discussion
Ce travail rétrospectif avait pour objectif de décrire les aspects diagnostiques, thérapeutiques et évolutifs de l’HTA de l’enfant. Il ressort de l’étude que la prévalence de l’HTA est de 0,22%. Cette proportion varie entre 1 et 5 % dans la littérature [2,3]. La faible proportion d’HTA de notre série s’explique par le fait que la prise de la tension artérielle n’est pas systématique dans notre contexte, de sorte que la découverte de cette affection se fait souvent à l’occasion de la survenue de signes de gravité. Dans notre série en effet, l’HTA était menaçante dans 60% des cas. Cette situation explique la fréquence des complications neurologiques et cardiovasculaires à l’admission. En outre, la sévérité de l’hypertension artérielle était significativement plus élevée chez les filles que chez les garçons. Selon le quatrième rapport de l’étude américaine [2] les chiffres de tension élevés témoignent d’une hypertension artérielle secondaire alors que les chiffres modérés sont le fait d’une HTA essentielle. Nous avons noté que l’HTA concernait davantage l’enfant de plus de 10 ans et demeurait rare avant 5 ans. Ce constat se retrouve dans d’autres études dans la littérature [12,13]. En présence d’une hypertension artérielle, l’exploration para clinique de base repose sur les examens de routine notamment l’hémogramme, l’urée, la créatinine, l’acide urique, l’ionogramme sanguin, la glycémie, la lipidémie, le fond d’oeil, l’échographie rénale, l’échocardiographie [14] et la microalbuminurie [15]. Pour notre part, l’échographie rénale et cardiaque ainsi que la microalbuminémie n’étaient pas réalisées couramment à cause de l’insuffisance du plateau technique et de l’indigence des parents. Dans notre étude, la protéinurie à la bandelette urinaire est anormale dans la quasi totalité des cas d’examens réalisés. Cet examen de réalisation simple et accessible constitue pour nous une bonne alternative à la protéinurie de 24 heures plus coûteuse et de réalisation difficile. Nous avons noté une insuffisance rénale dans 60%. Une proportion identique a été trouvée en Côte d’Ivoire par Bouazi [16] en 2005. Nous avons pu identifier la cause de l’HTA dans 93,3%. Il s’agissait d’une maladie rénale dans 76,6%. La prédominance des affections rénales comme principales causes de l’hypertension artérielle de l’enfant est confirmée par d’autres auteurs dans la littérature [4, 17,18]. Cependant, la proportion relative de ces causes rénales varie selon les études. Dans notre cas, comme celles de Bouazi [16], la glomérulonéphrite aiguë et l’insuffisance rénale isolée représentent les deux principales causes d’HTA de l’enfant ; et pourtant ces affections sont considérées rares aux Etats Unis par Grinsell et coll. [19]. Pour ces auteurs, les principales affections rénales pourvoyeuses d’HTA sont les maladies rénales parenchymateuses, les maladies rénales vasculaires et les malformations congénitales rénales. La rareté des autres maladies rénales comme cause d’hypertension artérielle dans notre étude, nous fait dire avec Bourrillon [20] et coll. que la glomérulonéphrite aiguë est la plus fréquente des néphropathies pourvoyeuses d’HTA de l’enfant. En guinée, Bah [21] et collaborateurs ont noté chez 34 des 43 enfants admis pour glomérulonéphrites aiguës post infectieuses une hypertension artérielle soit 79%.
Concernant les autres causes de l’HTA, nous avons noté 4 cas d’insuffisance cardiaque et 1 cas de maladie rhumatismale. Concernant les enfants qui présentaient une insuffisance cardiaque, les contraintes techniques ne nous ont pas permis d’identifier la lésion cardiaque incriminée. cependant dans la littérature [17] la principale cause cardiovasculaire de l’hypertension artérielle est la coarctation de l’aorte. Pour ce qui est du traitement, des mesures hygiéno-diététiques comportant un régime hyposodé, une restriction hydrique et le repos ont été prescrites à tous les patients, conformément aux recommandations internationales ; mais en pratique il est difficile d’appliquer avec succès ces mesures chez l’enfant [22]. Dans notre étude, un régime hypo protidique et hypokaliémiant ont été associé en cas d’insuffisance rénale. La quasi-totalité des enfants (96,6%) de notre série avaient reçu un antihypertenseur ; le seul enfant qui n’en avait pas eu présentait une maladie de Burkitt à localisation rénale et maxillo-faciale. La nicardipine en intraveineuse et la nifédipine en sublinguale ont été les plus utilisées en monothérapie dans notre étude au regard de leur efficacité et de leur sécurité d’utilisation comme cela a été rapporté dans la littérature [23, 24]. Cependant la sécurité de l’utilisation de la nifédipine pour traiter la crise hypertensive est mise en cause chez l’adulte [25]. Cette molécule ne fait d’ailleurs plus partie des médicaments de choix du traitement de l’hypertension artérielle sévère recommandés par le 4e rapport américain [2] sur le diagnostic, l’évaluation et le traitement de l’hypertension artérielle chez l’enfant. La normalisation de la tension artérielle en traitement d’attaque a été obtenu chez plus de trois quart de nos patients contre 53% dans l’étude de Pety [26] à Abidjan. Cette différence pourrait s’expliquer par l’utilisation de la nicardipine en intraveineuse à la seringue électrique dans notre étude. En effet [27] aux Etats Unis, il a été démontré que l’utilisation de la nicardipine en intraveineuse à la seringue électrique en urgence permet une baisse importante de la pression artérielle de l’ordre de 26% au bout d’une heure.
L’évolution globale sous traitement est favorable dans 43,3% avec une durée moyenne de séjour de 5 jours. L’évolution de l’HTA de l’enfant dépend de plusieurs facteurs dont l’observance du traitement, l’efficience de la prise en charge et la lésion causale. Notre travail, montre comme celui de Pety [26] que l’HTA de l’enfant est une affection grave et dont la prise en charge est difficile en pédiatrie.
Dans notre cas, les principales difficultés de la prise en charge étaient dues à l’insuffisance du plateau technique, l’insuffisance des moyens de réanimation et le fait que les parents n’arrivaient pas toujours à honorer les ordonnances. Les deux de décès de notre série illustrent parfaitement cette situation. Il s’agissait de deux cas d’HTA menaçantes avec une insuffisance rénale sévère qui n’ont pas pu être dialysé en urgence à cause de l’insuffisance du plateau technique.
Nos résultats méritent cependant d’être nuancés car il s’agit de l’expérience d’un seul service pédiatrique de niveau tertiaire de la pyramide de soins avec tout ce que cela comporte comme biais de recrutement. Nous avons exclu de l’échantillon, les cas d’hypertension artérielle non documenté ce qui a contribué à diminuer la taille de notre effectif. En outre, la norme de classification de l’HTA basée sur l’âge et le poids que nous avons utilisé est moins précise que celle des recommandations internationales [4] fondées sur le sexe, l’âge et la taille. L’absence de donnée sur la taille des enfants ne nous a pas permis de calculer l’indice de masse corporelle utile au diagnostic des états d’obésité rendant ainsi difficile la détermination des cas d’HTA essentielle dans notre étude.
Malgré ces insuffisances, notre étude retrouve les principales caractéristiques de l’HTA de l’enfant telles que rapportées dans la littérature [16, 26,29]. Un travail prospectif multicentrique permettrait de corriger ces imperfections pour une meilleure caractérisation de l’hypertension artérielle de l’enfant en Côte d’Ivoire.
Conclusion
L’HTA de l’enfant est grave et sa prise en charge difficile à cause des contraintes liées à l’insuffisance du plateau technique, l’insuffisance des moyens de réanimation et l’indigence des parents. C’est pourquoi, l’agent de santé doit prendre la tension artérielle de tout enfant examiné en consultation dans le but de détecter l’HTA et initier précocement sa prise en charge. Ceci ne sera réalisable que si les services de pédiatrie disposent de tensiomètres avec des brassards adaptés à l’âge des enfants.
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