Introduction
Les traumatismes crânio-cérébraux (TCC) de l’adulte constituent un problème de santé publique très important sur le plan mondial, en termes de mortalité, de morbidité et de répercussions économiques et sociales [1]. Les accidents de la circulation routière en sont les principales causes, tant dans les pays développés que dans ceux en développement [1, 2]. Le traumatisme crânien grave (TCG) est une urgence médico-chirurgicale. La tomodensitométrie cérébrale en a révolutionné la stratégie de prise en charge dans les pays à technologie médicale avancée. La demande d’une tomodensitométrie (TDM) cérébrale obéit de nos jours à des critères précis, unanimement admis [3,4]. Mais dans notre contexte de travail ce précieux outil d’aide à la décision n’est pas toujours disponible ou accessible. L’objectif de notre étude était d’évaluer le taux de réalisation de la TDM cérébrale chez les traumatisés crâniens graves admis au Centre Hospitalier Universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO) de Ouagadougou par rapport à sa prescription.
Matériels et méthodes
1. Type et durée de l’étude
Il s’est agi d’une étude prospective descriptive sur une période de 6 mois allant du 1er juillet au 31 décembre 2008.
2. Critères d’inclusion
Ont été inclus dans l’étude les patients victimes d’un traumatisme crânien grave isolé et admis dans l’unité d’urgences traumatologiques (UUT) ou dans l’unité de réanimation polyvalente (URP) dans les 24 premières heures du traumatisme durant la période de l’étude. Le traumatisme crânien grave a été défini par un score de Glasgow ≤ 8, après correction des fonctions vitales chez un patient dont les yeux étaient fermés. Chez tous les TCG, une TDM (initiale) était systématiquement demandée, conformément aux recommandations. Les TDM ont été effectués sur un scanner de marque GENERAL ELETRIC HiSpeed (4 barrettes).
3. Recueil et traitement des données
Les données ont été colligées à partir d’un interrogatoire des accompagnants et l’examen physique des patients victimes de TCG. Le support de collecte des données a été une fiche conçue à cet effet, testée et validée avant l’enquête. Nous avons utilisé en plus les registres d’admission aux urgences traumatologiques, d’hospitalisation en neurochirurgie et les clichés scanographiques des patients.
4. Variables de l’étude
Les paramètres pris en compte dans cette étude ont été les caractéristiques épidémiologiques, l’évaluation de l’état neurologique ((GCS) à l’admission à l’UUT. Les autres variables étudiés concernaient le délai entre l’arrivée du patient à l’UUT et la réalisation de la première TDM, la mise en condition éventuelle du patient avant la réalisation de la TDM, les indications de répétition de la TDM et le taux de réalisation. L’objectif de l’étude ayant été d’étudier les facteurs limitant la réalisation de la TDM cérébrale chez les traumatisés crâniens graves admis au Centre Hospitalier Universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO) de Ouagadougou, abstraction a été volontairement faite de la description des lésions scanographiques décelées et leurs implications thérapeutiques, qui feront l’objet d’un autre travail.
5. Analyse des données.
Les données ont été saisies et analysées avec le logiciel EPI-INFO Version 6.04 de CDC Atlanta (traduction française par EPI Concept et l’ENSP). Les textes et les tableaux ont été saisis à l’aide du logiciel MS Word et les graphiques ont été construits à l’aide du logiciel MS Excel 2003.
Le test de Chi 2 a été utilisé pour la comparaison des proportions avec un seuil de signification de 0,05.
Résultats
Aspects épidémiologiques
Incidence des TCG
Durant les 6 mois de l’étude, 53 TCG ont été admis à l’UUT. Dans le même temps on y a enregistré au total 3908 admissions, dont 1203 TCC toute gravité confondue. Les TCG représentaient donc 1,3% de l’ensemble des admissions à l’UUT et 4,4% de tous les TCC.
Répartition des TCG en fonction du sexe
Le sex- ratio a été de 6,57 (.46 hommes et 7 femmes).
Répartition des TCG en fonction de la classe d’âge
Cette répartition a été illustrée dans le tableau I.
Répartition des TCG selon les circonstances du traumatisme
Dans 49 cas (92%) le TCG était secondaire à un accident de la circulation routière. Les 4 autres patients avaient été victimes de coups et blessures.
Mortalité précoce des TCG
Vingt-et-un décès ont été enregistrés dans les 72 h suivant le traumatisme (39,6%). A fin de la première semaine suivant le traumatisme les patients décédés étaient au nombre de 26 (49%) ; ils avaient tous un score de Glasgow ≤ 6.
Score de Glasgow
La répartition des TCG en fonction du score de Glasgow été résumée dans le tableau II.
Aspects scanographiques
Taux global de réalisation de la TDM initiale
La TDM initiale a été réalisée chez 43 patients, soit 81% des cas.
Délai entre la prescription de la TDM initiale et sa réalisation
Le délai a été représenté dans le tableau III.
Indications d’une deuxième TDM
Une deuxième TDM a été demandée chez 17 patients. Dans 5 cas (29,4%) il s’agissait d’une absence d’amélioration clinique, tandis que dans les 12 autres cas l’indication était une détérioration clinique.
Taux de réalisation de la deuxième TDM
La deuxième TDM a été réalisée chez huit patients sur les 17 (47%)
Discussions
Limites de l’étude
La difficile accessibilité géographique et temporelle au scanner au cours des mois d’août, de septembre et d’octobre a été une limite majeure au bénéfice optimal de la tomodensitométrie pour certains de nos patients. En effet pendant ladite période, le scanner du CHUYO était en panne. Ainsi nos TCG devraient effectuer leur bilan dans un centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) privé confessionnel situé à deux kilomètres du CHUYO. Ce scanner aussi n’était fonctionnel que du lundi au samedi dans la journée et faisait face à une demande importante pendant cette période cruciale.
Aspects épidémiologiques
Prévalence
La population de 53 patients colligés en 6 mois dans notre étude, est quasi équivalente à celle de Ouédraogo [5] à Ouagadougou, qui s’est pourtant étalée sur 12 mois en 2007 au sujet de 54 TCG. Cette différence substantielle tirerait sa source des différences de services de collecte. En effet, nos patients ont été recrutés en traumatologie, en réanimation polyvalente et en neurochirurgie tandis que le travail de Ouédraogo [5] a concerné exclusivement les patients hospitalisés en réanimation polyvalente. Ainsi certains TCG décédés aux urgences traumatologiques et d’autres transférés directement en neurochirurgie n’ont pas été pris en compte par cet auteur. Par ailleurs notre échantillon ne représente certainement pas l’ensemble des traumatisés crâniens graves à Ouagadougou. En effet il s’est agi d’un recrutement des traumatises admis aux urgences traumatologiques toujours vivants. Les patients décédés sur les lieux de l’accident, au cours du transport ou à l’arrivée aux urgences n’ont pas été comptabilisés.
Age
La population jeune et active a été la plus concernée par les TCG, comme en témoignent l’âge moyen des traumatisés crâniens de notre série (37 ans), ainsi que la forte proportion des sujets de moins 45 ans (83%). Ceci est corroboré par de nombreuses études [1, 5-8]. Les conséquences sanitaires, économiques et sociales sont lourdes.
Sexe
La forte proportion (86,8%) des hommes retrouvée dans notre étude est partagée par plusieurs autres travaux sur les traumatismes en général et le traumatisme crânien en particulier. Cette prédominance masculine pourrait s’expliquer par nos valeurs socioculturelles où le genre masculin est habituellement mis au premier plan. De plus, dans notre contexte les hommes se déplacent plus proportionnellement au moyen de véhicules à moteur à deux roues que les femmes [1,7]. L’utilisation de ces engins est pourtant reconnue dans notre série et dans bien d’autres publications ouest- africaines comme étant le chef de file des causes des traumatismes.
Circonstances du traumatisme
Presque tous les TCG (92,45%) sont survenus à la suite d’un accident de la circulation routière. Cette caractéristique est un dénominateur commun à beaucoup d’autres études et met ainsi en exergue les violations flagrantes du code de la route [1, 2, 5-7]. Des actions vigoureuses de sensibilisation et au besoin de répression, ainsi que l’amélioration du réseau routier sont nécessaires pour contrôler ce fléau.
Score de Glasgow
Les scores de Glasgow de nos patients à leur admission à l’UUT s’échelonnaient entre 3 et 8. Il n’y avait pas de différence significative entre les sous-groupes selon la valeur de ce score. Ceci avait été déjà constaté par Ouédraogo en 2007 [5] et pourrait s’expliquer par la diversité des mécanismes lésionnels et du statut physiologique de chaque individu.
Aspects scanographiques
Délai de réalisation du scanner initial
Dans le groupe des patients ayant bénéficié de la TDM initiale, la réalisation a été effective dans 93% des cas dans les 24 premières heures Ceci approche les recommandations pour la bonne pratique clinique qui exigent la réalisation d’au moins un scanner chez le traumatisé crânien dans les 24 premières heures du traumatisme [8,9]. Dans notre travail et dans la plupart des séries ouest-africaines [2, 5, 6] des cas de scanners précoces (moins de 3 heures après le traumatisme) n’ont pas été enregistrés. Ces données rendent compte de l’absence d’une chaîne performante de prise en charge du traumatisé crânien depuis le lieu de l’accident jusqu’à son transfert dans un service plus approprié. Ainsi l’insuffisance en personnel qualifié et entraîné (urgentistes, anesthésistes-réanimateurs, neurochirurgiens, chirurgiens et radiologues) associée à la précarité en équipement de réanimation ne permettaient pas une stabilisation hémodynamique et ventilatoire rapide conditionnant le transfert dans les services de scannographie. A ces contraintes techniques, s’ajoutaient les difficultés socioéconomiques des patients. Une organisation efficace de la médecine préhospitalière, à l’instar des pays développés [10], prenant beaucoup plus en compte la spécificité de la traumatologie en général et du traumatisme crânien en particulier s’avère une nécessité urgente.
Réalisation du deuxième scanner
Lorsqu’elle s’est avérée nécessaire, une deuxième TDM a pu être réalisée dans moins de la moitié des cas (47%). L’épuisement financier des patients et de leurs proches a été sans doute la cause de ce faible taux de réalisation. L’indication de la répétition de la TDM a elle- même été probablement sous-estimée en raison de l’absence de monitorage continu de la pression intracrânienne pourtant indiqué dans la surveillance du TCG. En effet l’augmentation de la pression intracrânienne constitue aussi une indication de réalisation d’une nouvelle tomodensitométrie.
Conclusion
Notre étude a montré qu’au Burkina Faso comme dans le reste du monde les traumatismes crânio-encéphaliques sont la cause de la plupart des morts accidentelles surtout chez les jeunes. Par ailleurs, leurs séquelles sont fréquentes, et souvent graves. Mais parfois, la mort ou les séquelles peuvent être évitées par une prise en charge précoce et adaptée des blessés. Celle-ci est actuellement bien codifiée et ne s’improvise pas. La TDM cérébrale en constitue la pierre angulaire. En effet, elle est un outil formidable de diagnostic lésionnel et de surveillance dans les TCG. Associée à d’autres moyens d’investigations, comme le monitorage de la pression intracrânienne (PIC) et à des techniques de réanimation (sédation, ventilation mécanique) elle permet d’arrêter la stratégie thérapeutique la plus appropriée. .Ainsi, la prise en charge des TCG, bien que bien codifiée à travers les recommandations pour la bonne pratique clinique, reste dépendant du niveau de développement sanitaire global de chaque pays. Nos résultats ont apporté la preuve que l’avènement du scanner au CHU-YO a contribué à l’amélioration de la qualité de la prise en charge des TCG, malgré les nombreux dysfonctionnements et son inaccessibilité financière pour de nombreux patients qu’il faut s’attacher à résoudre. Des questions demeurent : quels ont été les différents types de lésions scanographiques décelées ? Quels ont été les impacts des résultats de la TDM sur la prise en charge de TCG ? Car le scanner, restant un maillon de la chaîne de soins, devrait s’intégrer dans une démarche de recherche de la qualité globale, incluant les ressources matérielles et humaines, ainsi qu’une bonne organisation du système de santé.
Références
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- The Brain Trauma Foundation. Guidelines for the management of severe head injury. J Neurotrauma 1996 ; 13 : 641-734.
- Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé. Prise en charge des traumatisés crâniens graves à la phase précoce. Recommandations pour la pratique clinique. Ann Fr Anesth Réanim 1999 ; 18 : 15-141.
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- : évaluation TDM de 297 cas. Médecine d’Afrique Noire 2004 ; 51 : 595-601
- Masson F, Thiocoipé M, Aye P, Mokni T, Senjean P, Schmitt V, Desasalles PH. Epidemiology of severe brain injuries. A prospective study. J Trauma 2001 ; 51 : 481-9
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- Société française d’anesthésie et de réanimation. Conférence d’experts. Modalités de la sédation et/ou de l’analgésie en situation extrahospitalière. Paris : Elsevier ; 2000. p..9-23.