Introduction
Le diabète insipide est un désordre de la balance hydrique se définissant comme une incapacité de l’organisme à retenir l’eau libre. [1]. Le diabète insipide central (DIC) est la forme la plus fréquente du diabète insipide et revêt un intérêt particulier du fait de sa survenue observée au cours de nombreuses pathologies neurologiques et neurochirurgicales. Le but de notre étude était d’évaluer les signes cliniques et paracliniques du DIC, d’analyser la prise en charge thérapeutique et les aspects évolutifs du DIC survenu chez des patients hospitalisés en neuro-réanimation.
Patients et méthode
Il s’agit d’une étude rétrospective menée au niveau de l’unité de neuro-réanimation du service de neurochirurgie du CHU de Fann de DAKAR, du 1er Janvier 2008 au 31 Décembre 2014. Tous les patients hospitalisés et ayant présenté un DIC ont été inclus dans l’étude. A partir des dossiers d’hospitalisation, nous avons recueilli les données portant sur la polyurie, la polydipsie, la biologie (ionogramme sanguin, glycémie, urée sanguine, créatininémie, osmolarité plasmatique), les modalités de la réhydratation hydro-électrolytique (solutés, volumes, voie d’administration), l’hormonothérapie avec la desmopressine (posologie, voie d’administration, durée d’administration), les complications et enfin sur l’évolution du DIC (transitoire ou définitif). Les résultats ont été exprimés en moyenne assortie de leur écart-type. Ont été exclus de l’étude, tous les patients qui avaient bénéficié d’une osmothérapie, et ceux qui présentaient des antécédents d’hypocalcémie et de diabète sucré.
Résultats
Au cours de la période d’étude de 84 mois, 1420 patients avaient été admis à l’unité de neuro-réanimation du service de neurochirurgie du CHU de Fann de Dakar. En cours d’hospitalisation 77 patients ont présenté un DIC, soit une incidence de 5,47%, et une fréquence annuelle de 11 cas / an. L’âge moyen de nos patients était de 43,37 ans ± 13,07 avec des extrêmes de 3 et 69 ans. (figure1).
Nous avons noté une nette prédominance masculine avec 54 hommes, contre 23 femmes, soit un sex-ratio de 1,02. Les étiologies du DIC étaient largement dominées par les exérèses d’adénomes hypophysaires (60cas), suivies des traumatismes crânio-encéphaliques (TCE) graves (5cas) et des hémorragies sous-arachnoïdiennes (4cas). (Tableau I)
La diurèse moyenne journalière était de 5,4L/j ± 1,56 [3,7-8L/j] (figure 2).
Le délai moyen de survenue de la polyurie était de 26 heures avec des extrêmes de 1 et 6 heures. La polydipsie était observée chez tous les patients conscients (65 cas). La natrémie moyenne était de 149 mmol/l ± 84,3 avec des extrêmes de 139 et 161mmol/l, la kaliémie moyenne de 3,2 mmol/l ± 0,8 avec des extrêmes de 2,1-3,9 mmol/l. La glycémie moyenne était de 1,87g/l ± 0,9 avec des extrêmes de 1,5-4g/l. L’osmolarité moyenne calculée était de 308 mosmol /l ± 245,63 avec des extrêmes de 294 et 318 mosmol/l. La densité urinaire n’a pu être évaluée que chez 3 patients (3,9%). La densité urinaire moyenne était de 1005,33 avec des extrêmes de 1004 et 1007. La compensation des pertes urinaires était horaire. Le tiers des pertes était uniquement restitué, avec du sérum glucosé 5% enrichi en potassium. Tous les patients conscients avaient un accès libre à l’eau de boisson. Chez les patients comateux, l’eau de boisson était, administrée par une sonde naso-gastrique. La desmopressine avait été administrée à tous les patients. La voie sublinguale avait été employée chez 76 patients (99 %) à la posologie de 240 à 600 µg/j. Pour un patient, la desmopressine avait été administrée par voie injectable à la posologie de 2µg x 2/j. Quel que soit la voie d’administration, les posologies de desmopressine étaient dégressives de moitié par jour en fonction de la baisse de la polyurie. En cours d’hospitalisation un tableau d’iléus paralytique lié à une hypokaliémie sévère était survenu chez un patient. Les complications survenues au cours de la prise en charge étaient représentées par un tableau d’œdème aigu du poumon (3cas), et une coagulopathie de dilution (1 cas). Le DIC avait été transitoire pour 68 patients (88,3 %) et définitif pour 6 patients (7,8%). Au cours de la prise en charge, nous avons noté 3 décès. Il s’agissait de 2 patients qui présentaient un TCE grave et d’un patient admis pour une hémorragie sous-arachnoïdienne.
Discussion
Le DIC se caractérise par une diminution de la capacité de concentration de l’urine avec excrétion d’une quantité excessive d’urine diluée et hypo-osmolaire. Dans notre série, 69% des cas de DIC faisaient suite à une exérèse d’un adénome hypophysaire. Le DIC demeure une complication fréquente des interventions chirurgicales portant sur la région hypophysaire [1]. La précocité, la sévérité et le caractère définitif ou transitoire du DIC dépendent essentiellement du niveau de l’atteinte traumatique chirurgicale de la tige pituitaire. Plus elle est haute, proche des noyaux supra-optiques et para-ventriculaires de l’hypothalamus, plus le DIC risque d’être sévère et définitif. Il est complet ou partiel en fonction de l’étendue de la lésion et par conséquent du nombre de neurones fonctionnels persistants. Un DIC ne survient qu’après une destruction de plus 85% des neurones secrétant de la vasopressine au niveau des noyaux supra-optiques et para-ventriculaires de l’hypothalamus [2]. Le DIC s’était manifesté chez 5 patients (6,5%) qui présentaient un TCE grave. La fréquence du DIC lors d’un TCE est de 20 à 22% [3,4]. Les mécanismes par lesquels survient un DIC sont : la constitution d’un hématome autour de la tige pituitaire entrainant sa compression, l’atteinte de l’artère hypophysaire avec trouble de la perfusion de la tige pituitaire ou alors un étirement de la tige pituitaire. Dans ces circonstances, le DIC est définitif. Mais le plus souvent le DIC est en relation avec un œdème inflammatoire de la région hypothalamo-hypophysaire qui disparaît au décours de l’évolution du traumatisme [4]. Lors d’un TCE, le DIC n’est pas immédiat. Il est précédé d’une période de latence correspondant à la libération de l’hormone antidiurétique (ADH) déjà présent dans la tige avant la lésion [5]. Le délai moyen de survenue du DIC chez les patients traumatisés cranio-encéphaliques graves était de 9j ± 2,6 avec des extrêmes de 7 et 13j. En dehors des situations postopératoires et traumatiques, le DIC peut se noter dans tous les états de souffrance neurologique profonde. C’est le cas lors des hémorragies sous-arachnoïdiennes et des infections neuro-méningées. Nos patients qui présentaient ces 2 affections cérébrales avaient une altération sévère de la conscience. La diurèse moyenne journalière était de 5,4L/j ± 1,56 avec des extrêmes de 3,7 et 8L/j. Ces chiffres étaient inférieurs à ceux observés par Labib et wout qui retrouvaient respectivement des diurèses moyennes journalières de
8,5 et 9 L/j [6,7]. Cette différence s’expliquerait par la précocité de la prise en charge de nos patients après la chirurgie hypophysaire. En effet, le DIC étant une complication attendue, la prise en charge thérapeutique était débutée dès que le diagnostic était confirmé cliniquement et biologiquement. Les troubles électrolytiques associés à la polyurie sont l’hypernatrémie et l’hypokaliémie. La sévérité de ces troubles est proportionnelle à l’importance de la polyurie. Dans notre série, la natrémie moyenne était de 149 mmol/l ± 84,3 avec des extrêmes de 139 et 161mmol/l. Elle était nettement inférieure à celle de la série d’Ewout qui était de 157 mmol/l. Cette hypernatrémie sévère était corrélée à la polyurie qu’il avait retrouvée dans sa série, à savoir 8L. Une hypokaliémie sévère à 2,1 mmol/l était survenue chez un patient. Cette hypokaliémie s’exprimait cliniquement sous la forme d’un iléus paralytique avec un important météorisme abdominal entravant la ventilation. La sévérité de ces troubles électrolytiques et leurs conséquences justifient la réalisation d’un ionogramme sanguin biquotidien. Dans nos résultats, le contexte neurochirurgical, la polyurie supérieure à 2ml/kg/h, le calcul de l’osmolarité plasmatique, nous avaient permis de poser le diagnostic du DIC. Les mesures de l’osmolarité urinaire et de la densité urinaire n’avaient pu être réalisées que chez 3 patients en dehors de notre structure hospitalière. La réalisation de ces examens et des tests de restriction hydrique dans un avenir proche, apportera en plus des arguments paracliniques supplémentaires pour le diagnostic du DIC.
La compensation des pertes urinaires était horaire. Pour éviter une polyurie d’entrainement et pour augmenter les possibilités de sécrétion endogène d’ADH, les pertes étaient compensées au tiers. En effet, les pertes urinaires étant supérieures aux apports, il y aura élévation de l’osmolarité plasmatique qui secondairement stimulera la sécrétion d’ADH permettant une réabsorption progressive d’eau par le tubule collecteur [8]. Le soluté de choix pour la correction des pertes urinaires et le sérum glucosé 2,5% ; mais n’étant pas commercialisé, du sérum glucosé 5% avait était administré. Chaque soluté de glucosé 5% de 500 ml était enrichi d’un gramme de chlorure de potassium. Au soluté de glucosé 5% était associée l’eau de boisson qui était d’accès libre aux patients conscients. Chez les patients comateux et lors d’hypernatrémies sévères, une partie des besoins hydriques journaliers était apportée sous forme d’eau de boisson par la sonde naso-gastrique. Le tableau d’œdème aigu du poumon survenu chez 3 patients (3,8%) était directement lié à la réhydratation hydrique. Il s’agissait de patients qui présentaient des volumes hydriques non négligeables à compenser. L’évolution était favorable après intubation orotrachéale et ventilation en pression positive pour 2 patients. Pour le troisième patient, l’évolution était défavorable vers le décès. Une coagulopathie de dilution avait été à l’origine d’un resaignement chez un patient qui présentait une hémorragie sous-arachnoïdienne. Le resaignement avait été objectivé à partir du drain de dérivation ventriculaire externe qui ramenait un LCR sanglant, et à partir des perturbations de la crase sanguine à savoir, un taux de plaquettes à 60000mm3/l et un TP à 41%. Cette coagulopathie de dilution était également directement liée à la compensation de pertes hydriques importantes. La transfusion de PFC avait permis une évolution favorable avec arrêt du saignement. L’administration de la desmopressine (DDAVP), analogue structural de synthèse de l’ADH, est un axe majeur de la prise en charge du DIC. Lors de la prise en charge de nos patients, il s’était posé le problème de la non disponibilité de la forme injectable du produit. Seules les formes comprimé-sublingual et spray-nasal étaient disponibles. Pour la quasi- totalité des patients (76 cas), la desmopressine avait été administrée par voie sublinguale à la posologie de 240 à 600 µg/j en 3 prises. La dose efficace moyenne de nos patients se situait aux alentours de 360 µg/j. Pour un patient l’administration avait été faite par voie intraveineuse à la posologie de 2µg x 2/j. La forme injectable de la desmopressine a l’avantage d’une biodisponibilité plus importante, d’un délai d’action plus rapide, et par conséquent, d’une baisse plus précoce de la polyurie. Le principe de l’administration de la desmopressine est de fixer la diurèse avec une dose déterminée et d’adapter les apports hydriques pour maintenir la balance hydrique. Quel que soit la voie d’administration, les posologies de la desmopressine doivent être progressivement dégressives en cas de rémission de la polyurie, car un surdosage expose le patient à une hyponatrémie de dilution.
Le DIC avait été transitoire chez 68 patients (88,3%), avec une durée moyenne d’hormonothérapie de 6j ± 2,7 avec des extrêmes de 3 et 12 j. Il était définitif pour 6 patients (7,8%). Il s’agissait tous de patients qui avaient subi une exérèse d’un adénome hypophysaire. L’atteinte traumatique chirurgicale de la tige pituitaire était étendue, haute et proche des noyaux supra-optiques et para-ventriculaires de l’hypothalamus [2]. La poursuite de la prise en charge de ces 6 patients s’est faite en endocrinologie.
Conclusion
Le DIC est une complication fréquente de la chirurgie portant sur la région hypophysaire, et des affections présentant une souffrance neurologique profonde. L’hypernatrémie et l’hypokaliémie sont les troubles électrolytiques associés à la polyurie, principal signe clinique. La réhydratation hydroélectrolytique et l’hormonothérapie à la desmopressine sont deux axes majeurs de la prise en charge thérapeutique qui doit être précoce pour prévenir les complications hydroélectrolytiques.
Références
1. Köbler B, Hernandez A, Ginzalez E, Meyer P. Diabète insipide central : Diagnostic et prise en charge. Revue Médicale Suisse 2012 ; 8 : 2158-216.
2. Lefebvre J., Vantyghem C. Le syndrome polyuro-polydipsique. La Revue du Praticien 2000 ; 50 : 791-97
3. Maggiore U, Picetti E, Antonucci E. The relation between the incidence of hypernatremia and mortality in patients with severe traumatic brain injury. Crit Care 2009 ; 13 : R 110
4. Agha A, Thornton E, O’kelly P, Torney W, Philips J, Thompson C. J. Posterior pituitary dysfunction after traumatic brain injury. J Clin Endocrinol Metab 2004 ; 89 : 5987-92
5. Napoli F, Di Iorgi N, Allegri A, Olivieri I, Bertelli F. Diabetes insipidus : Diagnosis and management. Hormone Research in Pediatric 2012 ; 77 : 69-83
6. Labib G, Phate M, Darrs V. Post-traumatic diabetes insipidus combined with primary polydipsia. Post Graduate Medical Journal UK 1987 ; 63 : 33-5
7. Ewout J, Rutse R. Water balance disorders after neurosurgery : triphasic response revisited. Nephrology dialysis transplantation plus, the Netherlands 2010 ; 3 : 42- 4
8. Deager S. Le diabète insipide central : Diagnostic et prise en charge.
Actualités Médecine Interne-Métabolisme-Hormones-Nutrition 1998 ; 2 : 19-24