Introduction
L’intensité de la douleur post-césarienne est comparable à celle de l’hystérectomie par laparotomie. Elle est de type somatique (incision cutanée) et viscérale (contraction utérine) [1]. La douleur post-césarienne est classée intense dans 35 à 55% [2]. Elle persiste 24 à 48 heures [1, 2]. Le traitement antalgique post-césarienne vise à procurer un confort maternel avec le moins d’effet sédatif possible, ce qui permet de conserver la relation mère-enfant. La première levée est cruciale car très douloureuse. Depuis une décennie, les modalités thérapeutiques ont évolué [2]. Elles sont adaptées à la technique anesthésique utilisée [2]. L’analgésie est multimodale [2]. L’administration intraveineuse (IV) est recommandée [3]. La voie intra-rectale (IR) constitue une alternative. A la Maternité de Befelatanana (Centre Hospitalier Universitaire d’Antananarivo), le protocole antalgique IV post-césarienne était modulé et adapté aux contextes financiers et aux ressources humaines disponibles. Un traitement antalgique IV coûte en moyenne 29,5 US Dollars. La voie IR le réduit de 50%. Cette étude consiste à comparer la qualité analgésique post césarienne procurée par le paracétamol IV versus IR.
Matériels méthode
Nous avons réalisé une étude randomisée allant du mois d’Avril 2008 au mois d’Avril 2009. Toutes les césariennes opérées sous rachianesthésie étaient incluses. Nous avons exclu les patientes allergiques à l’un des médicaments antalgiques utilisés et celles ayant des antécédents d’épigastralgie ou d’ulcère gastroduodénal. Avant la rachianesthésie, chaque patiente recevait un pré remplissage vasculaire de 750 ml de cristalloïde. La rachianesthésie était réalisée avec de la bupivacaïne hyperbare 0,5% additionnée de 25 µg de fentanyl. La dose de la bupivacaine injectée était définie par l’abaque de Harten et al. [4]. L’analgésie post opératoire était débutée 2 heures après la rachianesthésie (temps noté H0). Chaque patiente recevait 1g de paracétamol et 100 mg de kétoprofène en perfusion. A H4, le relais antalgique était assuré par 1g de paracétamol toutes les 6 heures et 100 mg de kétoprofène IV toutes les 8heures. La modalité d’administration du paracétamol détermine le groupe de randomisation. Le groupe « IR » incluait les patientes ayant reçu du paracétamol IR en post opératoire. Le groupe « IV » incluait les patientes ayant reçu du paracétamol IV. L’intensité de la douleur était mesurée par l’échelle visuelle analogique (EVA). Les EVA étaient relevées à H0, H3, H6, H12 et H24 (heure du premier lever). Lorsqu’une patiente présentait un EVA supérieur à 30mm, 5mg de morphine lui était injectée en sous-cutanée. Par la suite, la même dose de morphine lui était réinjectée systématiquement toutes les 6 heures durant les 24 premières heures postopératoires. Le critère principal de jugement de l’efficacité du traitement antalgique correspond à l’observation de la plus faible proportion de patiente n’ayant pas eu recours à la morphine postopératoire. Les critères secondaires sont l’observation d’un EVA inférieur à 30mm à H24 (première levée de la patiente) ainsi que le délai d’apparition des pics maximaux des EVA durant les 24 premières heures post opératoire. Les paramètres relevés étaient démographiques (âge, poids, gestité, parité), EVA aux temps H0-H3-H6-H12-H24, recours à la morphine supplémentaire et délai d’administration de la morphine. Les données étaient informatisées sur logiciel Excel. L’analyse statistique était effectuée sur logiciel Epi Info version 6.0. Les résultats sont exprimés en pourcentages (Odds Ratio, Intervalle de Confiance à 95%) et en médiane (quartiles 25 et 75). Les évolutions des EVA sont représentées par les courbes de tendance. Le seuil de significativité correspond à un p bilatéral inférieur à 0.05 (Test du Khi2).
Résultats
Durant la période d’étude, 208 patientes étaient randomisées. Huit cas étaient exclus (quatre cas d’antécédents d’ulcère gastrique et un cas d’épigastralgie à la prise d’AINS). Le groupe « IV » comprenait 103 patientes. Le groupe « IR » comprenait 100 patientes.
Les caractéristiques démographiques ainsi que les EVA de la population d’étude sont rapportées dans les tableaux I et II
La proportion de patiente n’ayant pas eu besoin de morphine en postopératoire était de 60% dans le groupe « IR ». Cette proportion était de 82% dans le groupe « IV » (OR=1.70 [0.91-3.19] ; p=0.07). Dans les deux groupes, le délai d’administration de la morphine était de 4heures. Les courbes d’évolution des EVA dans les deux groupes sont illustrées dans la figure 1.
A H24, 93% des patientes du groupe « IV » avait un EVA inférieur à 30mm. Cette proportion était de 83% pour le groupe « IR » (OR=2.81 [1.03-7.90] ; p = 0.02).
Discussion
Notre étude consistait à comparer l’efficacité antalgique post opératoire procurée par le paracétamol intraveineux versus intra-rectal. Nos résultats ont montré que la proportion de patientes ayant recours à la morphine postopératoire ainsi que le délai d’apparition d’EVA supérieur à 30mm sont identiques entre les deux groupes. Par contre, la fréquence d’apparition des douleurs à la première levée est significativement plus élevée avec le paracétamol intra-rectal. Les courbes d’évolution des EVA (Figure.1) relatent trois pics. Ces pics d’EVA apparaissaient aux temps H3-H6-H24.
Des études ont été effectuées pour comparer l’effet du paracétamol IV versus IR [5] ou bien la voie IR versus voie orale [6]. La puissance analgésique procurée par la voie intra rectale était plus faible et s’installait plus lentement [6-9]. En effet, la concentration plasmatique maximale n’est atteinte que vers la 3ème heure d’administration IR à une dose unique, même à forte dose (1300 mg à 2000 mg). Alors qu’avec 1000 mg par voie IV, cette concentration plasmatique est atteinte en 15 minutes, puis elle diminue progressivement jusqu’à une concentration plasmatique maximale atteinte par la voie IR qu’au bout de 3 heures [5,6]. Dans notre série, les relais antalgique avec du paracétamol IV ou IR étaient débutés à partir de H4. Le pic d’EVA observé à H6 (figure.1) correspond à ces données pharmacocinétiques.
La durée d’une rachianesthésie est en moyenne de 2h30 min. La morphine intrathécale procure un effet analgésique post opératoire considérable avec une diminution des besoins antalgiques postopératoires. Par ailleurs, la douleur post césarienne est intense durant les 24 premières heures. Une EVA supérieur à 30 mm était constatée à H24 de la rachianesthésie car l’effet analgésique procuré par la morphine intrathécale commence à se dissiper [10]. L’association morphine intrathécale-paracétamol et kétoprofène IV a prouvé son efficacité [11]. Dans notre série, la morphine intrathécale n’était pas effectuée. Ce qui explique l’apparition précoce des pics d’EVA à H3 ainsi qu’à la 24ème heure (figure.1). L’association d’autres antalgiques non morphinique tel que le néfopam au paracétamol permet d’obtenir un EVA stable et plus bas durant les 24 premières Postopératoires. Le néfopam est un antalgique de palier 1. Ce médicament procure une puissance analgésique proche des opiacés, d’où sa co-administration avec le paracétamol et le kétoprofène en post opératoire. Il était démontré que 20mg de néfopam en intramusculaire équivaut à 10mg de morphine. Le ratio d’equi-analgésie était de 1 sur 3 à 1 sur 2 [12-14]. En obstétrique, le néfopam constitue le principal antalgique de secours lorsque l’analgésie multimodale associant morphine intrathécale/périmédullaire et paracétamol/kétoprofène par voie générale s’avère insuffisante. D’une part, le taux d’épargne morphinique est considérable. D’autre part, le néfopam est dépourvu d’effets respiratoires [15-18]. Par ailleurs, l’infiltration continue ou en injection unique sous-cutanée d’anesthésique local de longue durée d’action permet de baisser significativement les EVA aux 4èmes et 24ème heures [19, 20]. Le besoin antalgique supplémentaire en postopératoire est diminué [21]. Les résultats étaient similaires avec le TAP block en association avec du paracétamol par voie générale [22, 23].
Ces différentes techniques analgésiques visent à optimiser la qualité de l’analgésie post césarienne. L’objectif est de faciliter la réhabilitation post césarienne. La mise en place de ces protocoles dans notre Etablissement optimiserait l’épargne morphinique post opératoire. En effet, l’administration de morphine par voie générale implique l’établissement d’une fiche de surveillance rapprochée des paramètres vitaux. Ce qui augmente la charge de travail des personnels paramédicaux. Or, actuellement nous disposons d’un personnel paramédical pour 12 patientes de Soins Attentifs.
Conclusion
Cette étude randomisée consistait à déterminer les avantages procurés par le paracétamol IR dans le traitement des douleurs post-césariennes. Ce protocole procure un avantage financier. Cependant, la proportion de patientes ayant un EVA supérieur à 30 mm est significativement plus élevée avec l’administration IR. Ce qui nous amène à conclure que le paracétamol IR reste insuffisant pour assurer l’analgésie post césarienne. L’adjonction d’autre antalgique comme le nefopam permet de réduire l’intensité de la douleur.
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