Introduction
La spécificité de l’anesthésie pédiatrique résulte des particularités anatomiques, physiologiques et pharmacologiques. En effet, l’enfant n’est pas un adulte en miniature, mais un organisme en croissance qui a une physiologie et une psychologie propre [1]. L’anesthésie pédiatrique est l’anesthésie des situations extrêmes. Elle concerne, schématiquement, deux populations opposées sur le plan de la morbi-mortalité : d’une part, celle des enfants en excellente santé, aux organes “sains” et aux possibilités de récupération exceptionnellement élevées ; d’autre part, celles des patients en situation précaire, soit du fait d’une immaturité extrême, soit du fait de pathologies acquises ou constitutionnelles sévères [2]. L’urgence est un facteur de risque de complications connu en pédiatrie comme chez l’adulte [3]. L’évaluation et la maîtrise des risques font partie du cahier des charges de l’anesthésie moderne [4]. Elle nécessite donc de la précision et de la rigueur de la part de l’anesthésiste et du chirurgien du fait de la fréquence des incidents et accidents. L’objectif de cette étude est de faire l’état des lieux de la pratique de l’anesthésie pédiatrique en urgence au CHU de Cocody à Abidjan.
Patients et méthode
L’étude était rétrospective et descriptive menée aux blocs opératoires du CHU de Cocody sur une durée de 05 ans (2009-2013).
Tous les dossiers anesthésiques des enfants (0-15 ans) admis au bloc opératoire des urgences ont été inclus. Les dossiers incomplets n’étaient pas inclus. Le recueil des données a été effectué à partir d’une fiche d’enquête préétablie et la méthodologie a consisté à les remplir à partir des dossiers sélectionnés. Les paramètres étudiés étaient : l’évaluation du risque anesthésique, la conduite anesthésique, les pathologies prises en charge, le grade de l’anesthésiste, les accidents et incidents peranesthésiques et postanesthésiques immédiats. Les données ont été exploitées à l’aide du logiciel Epi info version 3.5.3. La comparaison des variables qualitatives était faite avec les tests statistiques avec une valeur de P inferieure à 0,05 retenue comme seuil de significativité des différences observées.
Résultats
Paramètres démographiques
Au cours de cette période, 549 enfants ont été opérés en urgence, soit 36,9 % de l’activité pédiatrique chirurgicale du CHU de Cocody (549/1487 interventions chirurgicales pédiatriques). L’âge moyen des enfants était de 08,6 ± 3 ans (extrêmes : 1 jour et 15 ans). La tranche d’âge de 6 à 15 ans prédominait avec 72,7% dont 44,3% avaient au moins 10 ans (figure 1). Le sex-ratio était de 0,93.
Pathologies et évaluation du risque anesthésique
En ce qui concerne l’évaluation préanesthésique ; la plupart des consultations préanesthésiques était réalisées par des médecins en cours de formation pour le diplôme d’études spécialisées d’anesthésie et réanimation (DESAR) soit 90 %.des consultations. Les classes ASA Iu et IIu prédominaient avec respectivement 42,8% et 35,2%. Les examens paracliniques les plus réalisés en urgence étaient l’hémogramme (53,5%) et le groupe sanguin et rhésus (55,2%).
Conduite de l’anesthésie
Les enfants prémédiqués représentaient 61,6 %. L’association benzodiazépine + atropine était utilisée à chez 49,3 % et l’atropine seul chez 12,3% d’entre eux. La plupart des inductions anesthésiques ont été réalisées par des infirmiers anesthésistes (63,7%). Deux types d’anesthésies étaient pratiqués : la rachianesthésie (12,7%) et l’anesthésie générale (87,3%) dont 75,8% en induction intraveineuse et 11,5% en induction au masque avec les halogénés. Les produits utilisés pour l’induction intraveineuse étaient la kétamine (30,8%) ; le propofol (35,3%) et le thiopental (33,9%). Toutes les inductions au masque ont été réalisées avec l’halothane. L’intubation trachéale a été réalisée chez 73,1% des patients sous anesthésie générale. Le vécuronium était utilisé à 70,4 % chez les enfants intubés. Les analgésiques au cours de l’anesthésie générale étaient le fentanyl (90,6%) et la morphine (09,4%). L’entretien de l’anesthésie générale était assuré par l’halothane (90%) et l’isoflurane (10%).
Evènements indésirables
Des évènements indésirables ont été observés en peropératoire ou à la phase postopératoire immédiate. Ces évènements étaient au nombre de 31 (5,6%) dont 29 au cours des anesthésies générales et 2 (des vomissements) au cours de l’anesthésie locorégionale. Le tableau II donne la répartition des évènements indésirables.
Les tranches d’âge les plus concernées par ces évènements étaient celles de 0 à 1 an (38,4%) et 6 à 15 (35,5%). Le bronchospasme était retrouvé à tout âge. Les vomissements et les arrêts cardiocirculatoires étaient plus observés chez les enfants de moins de 1 an avec respectivement 63,6% (p = 0,001) et 85,7% (p = 0,001). Cependant, les retards de réveil étaient plus retrouvés chez les enfants de plus de 5 ans avec 85,7% (p = 0,38). En anesthésie générale, les évènements indésirables survenaient aussi bien chez les patients intubés (51,7%) que chez les patients non intubés (48,3%). Cependant, le bronchospasme était plus retrouvé chez les patients intubés avec 83,3% (p = 0,049). Les vomissements étaient plus observés chez les patients non intubés avec 88,9% (p = 0,001). Il n’y a pas de lien statistique entre la survenue d’évènements indésirables et le type d’anesthésie (p = 0,25) (Tableau III).
Tous les patients qui ont présenté un arrêt cardiocirculatoire sont décédés (1,3). Deux patients décédés étaient ASA I, quatre ASA II et un de la classe ASA III
Discussion
Paramètres démographiques
Les enfants opérés en urgence représentaient 36,9% de l’ensemble de l’activité chirurgicale portant sur les enfants. Cette fréquenvce est supérieure à celle retrouvée par Essola au Gabon en 2013. En effet, sa elle trouvait une fréquence de 21,1% au CHU de Libreville [5]. L’âge moyen de 8,6 ans retrouvé dans notre étude est identique à celui relaté par Essola. Que ce soit chez elle [5] ou dans notre étude, les enfants de plus de 10 ans prédominaient (44,1% et 44,3%).
Pathologie et évaluation du risque anesthésique
La chirurgie traumatologique prédominait avec 39,7%. Nous avons observé 14 % de chirurgie gynéco-obstétrique en pédiatrie. Ces résultats montrent le problème posé par l’émergence des grossesses précoces. Nos résultats diffèrent de ceux d’Essola chez qui la chirurgie viscérale prédominait (25,9 %) et ne notait aucun cas de chirurgie gynéco-obstétrique. La plupart de nos patients étaient classés ASA Iu (42,8 %). Essola et Samaké trouvaient respectivement 76,8 % et 83,2 % d’enfants classés ASA I dans leurs études [5 ;6]. Parcontre, Modibo au Mali trouvait 22,1 % de patients ASA Iu [7]. Cette différence s’explique par le fait que les études de Samaké et d’Essola étaient conduites dans le cadre d’interventions programmées.
Conduite de l’anesthésie
L’urgence est un facteur de risque de complication connu en pédiatrie [3]. Pourtant, la plupart des évaluations préanesthésiques de nos patients ont été réalisées par des médecins en cours de formation (90 %) et 63,7% des inductions étaient réalisées par un infirmier anesthésique. Cela s’explique par le nombre insuffisant des médecins anesthésistes seniors spécialisés en anesthésie pédiatrique. La prémédication de nos patients était faite par l’association benzodiazépine + atropine (49,3%) et l’atropine seul (12,3%). Essola retrouvait 13% de prémédiqués par l’atropine seul et 16,7 % par l’association benzodiazépine + atropine [5]. Les techniques d’anesthésie pratiquée chez nos patients étaient l’anesthésie générale (87,3 %) et la rachianesthésie (12,7%). Au mali, tous les patients de la série de Samaké ont bénéficié d’une anesthésie générale [6]. Au Gabon, dans la série d’Essola les types d’anesthésie étaient l’anesthésie générale (96,8 %) et l’anesthésie générale associée ou pas à l’anesthésie locorégionale chez 3,2 % dont les blocs nerveux périphériques (2,4 %) et l’anesthésie péri-médullaire (0,8 %) [5]. Les blocs nerveux périphériques n’était pas utilisés dans notre série du fait surement de l’inexpérience des anesthésistes. Chez nos patients sous anesthésie générale, l’induction était soit en intraveineuse (74,5%) soit au masque avec l’halothane (11,5%). Samaké triuvait le contraire avec l’induction au masque à l’halothane chez 78,5%, l’induction associant la voie intraveineuse et inhalatrice chez 14 % et la voie intraveineuse (7,5%) [6]. Les anesthésiques intraveineux utilisés dans notre série étaient presqu’à proportions égales le propofol (35,3 %), et le thiopental (33,9 %) et la kétamine (30,8%). Cependant, Samaké dans sa série utilisait seulement la kétamine pour les inductions intraveineuses [6]. Chez Essola, la kétamine était la moins utilisée avec 9,7% et le thiopental le plus utilisé avec 68,5% suivi du propofol avec 21,8% [5]. Ces différences observées dans les trois séries seraient dues à la disponibilité de ces anesthésiques dans les hopitaux.
Evènements indésirables
L’incidence des arrêts cardiaques peranesthésiques est 10 fois plus élevée chez les enfants de moins de 1 an que chez les enfants de plus de 1 an [8,9]. Ces arrêts cardiaques pourraient le plus souvent être d’origine respiratoire ou en rapport avec un surdosage absolue ou relatif en halothane comme l’indiquaient Olsson GL et col. [9]. Murat I et col. Ont bien montré que les complications respiratoires sont plus fréquentes chez les nourrissons de moins de 1 an que chez ceux de qui sont plus âgésn et chez les patients intubés que chez les non intubés [10]. Notre étude a trouvé des résultats identiques avec 83,3% de bronchospasmes chez les patients intubés. Cependant, nous avons noté une discordance avec la survenue de ce bronchospasme à tout âge. Les infections des voies aériennes supérieures, l’inhalation du contenu gastrique et les anesthésies peu profondes avec excitation de la trachée sont en général en rapport avec la survenue des complications respiratoires [10].
Conclusion
Ce travail montre que l’anesthésie pédiatrique en urgence est fréquence pratiquée au CHU de Cocody. Bien que le caractère urgent soit un facteur de risque de survenue de complication, cette anesthésie est pratiquée par un personnel peu qualifié. C’est surement ce qui justifie que l’anesthésie générale est la technique la plus utilisée au détriment des autres techniques comme les blocs nerveux périphériques. Il est donc indispensable de renforcer la formation des infirmiers anesthésistes en anesthésie pédiatrique en attendant d’avoir un nombre suffisant de médecins anesthésistes spécialisés en pédiatrie
Références
1. Dalens B. In Anesthésie pédiatrique : considérations générales. 38p.
2. Dalens B, Veyckemans F. In Anesthésie générale de l’enfant et du nouveau-né ; tome II : 562p.
3. Murat I, Rigouzzo A. Les risques de l’anesthésie pédiatrique. In Sfar Ed. Conférences d’actualition, Paris : Elsevier ; 2005 : 11-28.
4. Lienhart A, Auroy Y, Pequignot F. et al. Premières leçons de l’enquête « mortalité » Sfar-Inserm. In : Sfar, Ed. Conférences d’actualisation. 45e Congrès national d’anesthésie et de réanimation. Paris : Elsevier ; 2003. p. 203-18.
5. Essola L, Sima Zué A, Obame R, Ngomas J. F, Kamel G, Bouanga M. C. Anesthésie pédiatrique en milieu africain : expérience d’un hôpital gabonais à vocation adulte. Rev Afr Anest Med Urgence. 2013 ; 18 : .20-5.
6. Samaké B, Keita M, Magalie I. M. C, Diallo G, Diallo A. Evenements indesirables de l’anesthésie en chirurgie pédiatrique programmée à l’hôpital gabriel touré. Mali médical ; 2009, XXIV : 1-4.
7. Modibo S. Incident et Accident liés a l’anesthésie en chirurgie pédiatrique au CHU Gabriel Touré : profil épidémiologique, clinique et pronostique. Thèse Méd. Bamako, 2009 ; 93 P.
8. Tiret L, Nivoche Y, Hatton F, et al. Complications related to anaesthesia in infants and children. A prospective survey of 40,240 anaesthetics. Br J Anaesth 1988 ; 61 : 263-9.
9. Olsson GL, Hallen B. Cardiac arrest during anaesthesia. A computer-aided study in 250,543 anaesthetics. Acta Anaesthesiol Scand 1988 ; 32 : 653-64.
10. Murat I, Constant I, Maud’huy H. Perioperative anaesthetic morbidity in children : a database of 24,165 anaesthetics over a 30-month period. Paediatr Anaesth 2004 ; 14 : 158-66