Introduction
L’inversion utérine puerpérale (IUP) est une complication obstétricale qui se définit comme l’invagination du fond utérin en doigt de gant, jusqu’à pouvoir au maximum s’extérioriser à la vulve [1,2]. La fréquence rapportée dans la littérature est très variable. Elle serait de 1/20 000 en Europe et de 1/2000 aux États-Unis [1,2,3]. L’aspect le plus important de cette pathologie reste le diagnostic précoce et une prise en charge rapide et méthodique. Une réduction manuelle est tentée en première intention, menée de façon conjointe aux mesures de réanimation, les moyens chirurgicaux sont réservés aux échecs de cette réduction. Son pronostic est fortement lié à la reconnaissance immédiate de l’inversion, ceci permettant d’éviter l’hystérectomie, voire le décès maternel [1]. A partir d’un cas d’inversion utérine puerpérale aiguë et d’une revue de la littérature. Nous discutons la place de l’hystérectomie comme traitement chirurgical de dernier recours dans l’IUP.
Observation
Madame T.S, âgée de 31 ans, primigeste primipare, n’ayant pas d’antécédent particulier a été admise aux urgences obstétricales du CHU de Cocody (Abidjan) pour une hémorragie du post partum immédiat de grande abondance et des douleurs pelviennes. L’anamnèse a retrouvé un accouchement par voie basse remontant à plus de 3 heures, d’un nouveau-né de sexe masculin pesant 3100 g, d’Apgar 8-9 en cinq minutes, sans anomalie décelée, dans une maternité de niveau I avec notion d’expression utérine excessive. L’accouchement est survenu au bout de 7 heures de travail, il s’en est suivi une hémorragie abondante après la délivrance.
A l’admission, la patiente était en état de choc, agitée avec une TA= 80 /60 mmHg, un pouls filant. La palpation sus pubienne a objectivé l’absence d’utérus dans la région hypogastrique, l’examen sous valve montrait une masse molle volumineuse à grosse extrémité inférieure correspondant au fond utérin. Le diagnostic d’inversion utérine puerpérale de 2è degré a été retenu à l’issue de l’examen clinique.
Après la mise en route de mesures de réanimation appropriées, par remplissage vasculaire et transfusion de culots globulaires, la patiente a été transférée au bloc opératoire pour tentative de réduction manuelle sous anesthésie générale ; ce qui s’est soldé par un échec. Il a été aussitôt décidé d’une réduction au cours d’une laparotomie d’urgence (figure 1).
Figure 1 : Utérus après tentative de réduction manuelle de l’inversion
La technique de réduction progressive par pinces atraumatiques selon la technique de Huntington a été pratiquée, mais n’a pu être efficace. Les saignements ont persisté en per opératoire malgré une perfusion de 20 UI d’ocytocine et la pose intra rectale de 5 comprimés de misoprostol (Cytotec) 200 microgrammes. Une hystérectomie d’hémostase a donc été décidée, et réalisée en dernier recours pour sauvetage maternel. La patiente a bénéficié de 3 culots globulaires pour stabiliser l’hémodynamique.
L’examen anatomopathologique de la pièce opératoire a objectivé quelques zones d’infarcissement. La patiente n’a pas présenté de troubles de l’hémostase, ni de troubles urinaires, les suites opératoires ont été marquées par une anémie modérée à 7,2g/dl. La sortie de la patiente a été décidée au 10è jour d’hospitalisation. Elle a été revue 15 jours après la sortie de l’hôpital, pour un contrôle, avoir des informations concernant la nature de l’intervention et, pour une prise en charge psychologique.
Discussion
L’inversion utérine puerpérale est une pathologie rare mais grave. Elle nécessite une prise en charge rapide car engage le pronostic vital maternel. Il est décrit 4 stades anatomiques [4] : le stade I dans lequel on trouve le fond utérin en cupule sans atteindre l’orifice cervical ; le stade II lorsque le fond utérin franchit l’orifice cervical ; le stade III dès qu’il s’extériorise hors du vagin et le stade IV lorsque les parois vaginales participent au retournement. Certains auteurs distinguent des formes selon le délai de survenue par rapport à l’accouchement : on parle d’inversion aiguë lorsqu’elle est découverte dans les 30 minutes, c’est le cas de notre observation. Au-delà, un œdème cervical se constitue formant un anneau gênant la réintégration du corps utérin : il s’agit alors d’une inversion subaiguë. L’inversion chronique se définie par sa découverte au minimum 30 jours après l’accouchement. La fréquence de l’IUP rapportée dans la littérature est très variable de 1/20 000 pour Bunke [5] à 1/740 pour Harer [6]. Les éléments pouvant expliquer des résultats aussi disparates sont des séries plus ou moins grandes avec une fluctuation statistique importante comme dans toutes les pathologies rares, les chiffres avancés étant d’autant moins significatifs que la série est faible. L’IUP est d’origine obstétricale dans 85 à 95 % des cas [1,7,8]. Il est classique de dire que l’inversion utérine survient principalement chez les primipares et les femmes jeunes [9]. La grande étude de Das [10] retrouve 52 % de primipares sur les 297 inversions puerpérales réunies. La plupart des autres auteurs rapportent des chiffres allant de 50 % à 60%. Dans notre observation, il s’agissait également d’une primipare jeune. Les hypothèses avancées pour expliquer cette prédominance des primipares sont très variées. Certains auteurs comme Furst cité par Ramanah et al. [2] estiment que, chez les primipares, l’atonie est plus fréquente en raison d’un travail plus long. Selon lui le site d’insertion placentaire fundique est plus fréquent. Des anciens auteurs comme Crampton expliquent cette prépondérance par une excitation neurogénique ou émotionnelle augmentée chez la primipare [11]. Kitchin et al. [12] évoquent une éventuelle immaturité de l’innervation ou de la musculature des primipares. Dans notre observation, des manœuvres à risques telle que la traction excessive sur le cordon et/ou l’expression utérine exagérée ont pu contribuer à la survenue de l’IUP [1]. Dans la littérature, d’autres facteurs de risque sont retrouvés tels qu’un accouchement rapide (femme debout par exemple), un cordon court, une adhérence placentaire anormale, un myome sous-muqueux fundique ou une inertie utérine [13].
Le diagnostic des inversions utérines puerpérales est clinique, effectué lors de la délivrance ou rapidement après, devant trois principaux signes qui sont l’hémorragie, le choc et les douleurs pelviennes. L’intensité de ce choc n’est pas proportionnelle à l’intensité de l’hémorragie et il peut même la précéder, en raison d’une étiopathogénie pas seulement hypovolémique mais aussi neurogénique. En effet, l’aspiration du fond utérin à travers l’anneau cervical entraine un étirement des filets nerveux du péritoine et des ligaments larges, ainsi qu’une compression des ovaires. De cette physiopathogénie découle un des principes clés du traitement de l’IUP qui veut que la correction du choc nécessite la réduction de l’inversion associée au déchoquage médical. L’IUP est rarement de découverte tardive [8,9].
Dans le deuxième degré, la symptomatologie conduit l’accoucheur à pratiquer une palpation sus-pubienne qui objective l’absence d’utérus dans la région hypogastrique. L’examen vaginal sous valves, montre une masse, et recherche aussi un bourrelet que forme le col à la partie supérieure de la masse. Ce bourrelet sépare le cul-de sac vaginal du cul-de-sac cervico-corporéal créé par le retournement de l’utérus [1]. La prise en charge de l’IUP est multidisciplinaire, impliquant l’obstétricien et l’anesthésiste-réanimateur, et doit se faire en urgence ; ceci permet d’améliorer considérablement le pronostic maternel. Elle associe une réanimation médicale visant à corriger le choc, une réduction manuelle rapide et une antibiothérapie [14,15]. L’importance de l’hémorragie est directement liée à la durée de l’inversion, elle est massive dans plus de 70% des cas et est plus abondante quand le placenta est décollé [16].
La réduction manuelle par voie basse est la méthode idéale. Qu’elle soit faite par un taxis simple ou par la manœuvre de Johnson, la main doit être gardée en place un certain temps, et des utérotoniques doivent être administrés concomitamment pour lutter contre une réinversion immédiate ; cette réduction doit être suivie par une révision utérine et d’un examen sous valves [17]. Cette manœuvre est facilitée par l’obtention d’un bon relâchement utérin obtenu par une anesthésie générale ou par l’utilisation de drogues myorelaxantes telles que les bêta-mimétiques, les dérivés nitrés ou le sulfate de magnésie [2,4].
En cas d’échec de tous les moyens de réduction manuelle, le recours à la chirurgie s’impose et différentes techniques ont été décrites [1,2,18,19]. Oboro [20] rapporte quatre techniques chirurgicales : l’intervention par voie vaginale dite « de Spinelli » qui consiste en une colpohystérotomie médiane antérieure totale ; l’intervention par voie abdominale dite « de Huntington » qui consiste en une traction légère et continue sur les ligaments ronds pendant qu’un aide tente une réduction manuelle par voie basse ; la procédure de Hautain qui consiste en une hystérotomie médiane postérieure, facilitant le replacement de l’utérus par la méthode de Huntington et l’hystérectomie en dernier recours. Cette dernière intervention chirurgicale demeure exceptionnelle dans l’IUP. Morini [21] rapporte, après revue et analyse de la littérature internationale sur une période de 50 ans, de 1939 à 1989, 14 cas d’IUP, ayant subi une hystérectomie sur un total de 358 IUP, soit 4,24 % des cas. Plusieurs auteurs [22, 23] ne constatent aucun cas d’hystérectomie dans leur série. Dans notre cas, une hystérectomie pour IUP a été effectuée après échec des tentatives de réduction manuelle et chirurgicale, et devant le choc hypovolémique sévère difficilement compensé par les 3 poches de culots globulaires. L’examen anatomopathologique a révélé plus tard un infarcissement partiel de l’utérus. L’hystérectomie peut être effectuée par voie basse ou par voie haute selon les habitudes de l’opérateur,
mais aussi selon les conditions chirurgicales [1,24]. Hussain [25] a eu recours à une hystérectomie abdominale dans sa série de 36 cas d’IUP aigue, devant des métrorragies rebelles au traitement médical. Dans notre cas, nous avons eu recours à une hystérectomie d’hémostase par voie abdominale après échec de tentative de réduction. Le pronostic maternel lié à l’hystérectomie est difficile à évaluer du fait du faible nombre de cas rapporté dans la littérature [1].Les inversions utérines puerpérales sont associées à une morbidité et une mortalité maternelles parfois importantes. En effet, la morbidité est surtout transfusionnelle, 83 % des cas dans la série de Dali [13], mais également infectieuse faite d’endométrite du post-partum [26]. La mortalité maternelle est variable selon les populations étudiées. Dali dans une revue de littérature de 1975 à 1995 en Inde, a recensé 229 cas d’inversion utérine puerpérale, et a noté 8 décès maternels. Il explique ce résultat par le fait que plus de 90 % des accouchements dans ce pays se font à domicile. Le pronostic de l’IUP aigue dépend du facteur temps. Un diagnostic immédiat puis un traitement rapide permettent d’éviter l’hystérectomie [1,4].
Conclusion
L’inversion utérine est un accident rare, qui survient le plus souvent pendant ou après le troisième stade du travail. Le diagnostic n’est pas toujours aisé, et le pronostic maternel est mis en jeu, d’où la nécessité d’une prise en charge multidisciplinaire, précoce et adéquate. Le traitement préventif repose sur le respect de la physiologie du travail d’accouchement. L’hystérectomie reste un traitement de dernier recours après l’échec des méthodes conservatrices
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