Introduction
La rachianesthésie constitue l’anesthésie locorégionale de référence lors des césariennes programmées ou semi-urgentes [1]. L’adjonction d’opioïdes aux anesthésiques locaux améliore la qualité analgésique per et postopératoire [2]. Le fentanyl constitue l’opioïde constamment disponible à Madagascar. L’Hôpital Universitaire de Gynécologie et Obstétrique de Befelatanana Antananarivo dispose de deux modalités d’administration de fentanyl intrathécale. Ainsi, nous avons comparé ces protocoles par rapport à un groupe placebo afin de déterminer leur qualité analgésique per et post opératoire.
Méthode
Il s’agit d’une étude rétrospective comparative. Elle couvre la période de décembre 2007 à juillet 2012. Nous avons réparti les patientes sélectionnées suivant les doses de fentanyl intrathécale injectées. Le premier groupe concerne les patientes ayant reçu 25μg d’opioïde. Le second groupe inclut celles ayant reçu une dose de 50μg. Le troisième groupe constitue le groupe placebo. L’objectif principal de cette étude est de déterminer la dose de fentanyl intrathécale procurant de meilleures qualités analgésiques per et postopératoire. Les objectifs spécifiques sont de comparer leurs qualités analgésiques. La qualité analgésique per opératoire est appréciée par la fréquence d’apparition de conversion de cette technique en anesthésie générale. La qualité analgésique en postopératoire est évaluée à partir des taux de recours à la morphine et leurs délais moyens d’administration. La modalité de recrutement est exhaustive. Les critères d’inclusion sont les césariennes indiquées au cours du travail et opérées sous rachianesthésie, laquelle anesthésie a été réalisée par un anesthésiste expérimenté. Le protocole anesthésique étant identique. Il comprend 500ml de pré-remplissage vasculaire avec du cristalloïde, ponction unique en position assise, utilisation de bupivacaïne hyperbare 0,5% dont la dose injectée correspondait à la taille de la patiente [3] (tableau I),
Pour cette étude, nous avons relevé des paramètres hémodynamiques avant la rachianesthésie, puis durant les 15 premières minutes suivant la rachianesthésie. De même, un protocole antalgique postopératoire a été utilisé. Ce dernier associait 1g de paracétamol et 100mg de kétoprofène en intraveineuse. Ces médicaments sont injectés deux heures après la rachianesthésie. Le relais antalgique était assuré par 1g de paracétamol intra-rectal toutes les 6 heures. L’intensité de la douleur était évaluée par l’échelle numérique (EN) toutes les 2 heures. Quand l’EN était supérieur à 3, une titration de morphine était administrée. La dose cumulée de morphine était par la suite réinjectée toutes les 6 heures durant les 24 premières heures post opératoires. La dose maximale de morphine était de 10mg par 24 heures. Nous avions exclus les dossiers dont un des paramètres sus-cités manquait, de même que les prééclampsies et les hémorragies de la délivrance per ou postopératoire immédiate Le critère principal de jugement a été défini par la fréquence d’apparition de conversion de la technique en anesthésie générale. Les paramètres secondaires sont représentés par la fréquence de recours à la morphine en postopératoire et son délai moyen d’administration. Les données ont été recueillies à partir des registres du bloc opératoire et des dossiers d’anesthésie archivés, après accord des chefs de service. L’anonymat des données était assuré L’analyse statistique a été effectuée sur logiciel XLSTAT-Pro 7.0. Les données quantitatives sont exprimées en moyenne assortie de leurécart-type. Une différence entre les groupes a été recherchée par le test ANOVA. Les données qualitatives sont exprimées en pourcentages. Une différence entre les groupes a été recherchée par le test de Khi2. Un p bilatéral inférieur ou égal à 0.05 était considéré comme statistiquement significatif.
Résultats
Au total, 270 dossiers répondaient à nos critères d’inclusion. Le groupe fentanyl 25μg comprenait 91 patientes. Le groupe fentanyl 50μg 90 patientes et le groupe placebo 89. Les caractéristiques de la population d’étude sont représentées dans le tableau II.
Par rapport à notre critère principal de jugement, la conversion en anesthésie générale était observée dans 8% des rachianesthésies pour insuffisance d’analgésie. Ces cas d’échec ont été retrouvés exclusivement dans le groupe fentanyl 50μg. Dans ce groupe, l’échec concernait 24,5% des cas (p < 0.0001).
Le recours à la morphine en postopératoire a été observé dans les trois groupes. Le tableau III relate la proportion des patientes par groupe d’étude suivant le besoin ou non de morphine en postopératoire. Les comparaisons intra-groupes ne montrent pas de différence significative dans les groupes fentanyl 25μg et fentanyl 50μg (p respectifs de 0.06 et 0.70). Par contre, dans le groupe placebo, le recours à la morphine postopératoire est significativement plus élevé (p = 0.001). La comparaison inter-groupe montre une différence significative entre les trois groupes (p = 0.05).
Les délais de demande de morphine supplémentaire sont identiques dans les trois groupes (tableau IV).
Discussion
Par rapport à notre critère principal de jugement, nos résultats font apparaître que la co-administration de 25μg de fentanyl avec la bupivacaïne a permis d’éviter le risque d’échec de la rachianesthésie. Les cas d’échecs n’ont été rencontrés que dans le groupe fentanyl 50μg. Il apparaît alors qu’à forte dose, le fentanyl intrathécale augmente le risque d’échec de la rachianesthésie. En effet, le recours à l’anesthésie générale correspond à une insuffisance de l’effet analgésique procuré par la rachianesthésie [4]. Sur le plan pharmacologique, des études ont démontré que l’adjonction de molécules telles que les morphiniques liposolubles diminue le taux de fraction libre des anesthésiques locaux [5]. Cet effet a été rapporté d’autant plus marqué avec l’augmentation de la dose de fentanyl intrathécale. La plupart des auteurs ont rapporté un plus faible risque à la dose de 10 à 25μg [6]. Ce qui corrobore nos résultats. D’autres études rapportent qu’à dose faible de fentanyl (10 à 15μg), les cas d’échec de la rachianesthésie étaient rattachés à leurs associations à moins de 10mg de bupivacaïne [2,7]. Dans notre série les trois groupes étaient comparables en termes de dose de bupivacaïne injecté.
Par rapport à la qualité analgésique postopératoire, nous avons retrouvé que la proportion de patiente ayant recours à la morphine augmente de façon significative en absence d’opioïde intrathécale (tableau III). La dose de 50μg réduit significativement le recours à la morphine (tableau III). De nombreuses études ont rapporté que les opioïdes améliorent l’analgésie per et postopératoire [8,9,10]. Le fentanyl est un morphinomimétique très puissant. Il est doté d’effet analgésique d’installation rapide. Sa demi-vie d’élimination est de 3 à 7 heures. Sa grande liposolubilité explique ces propriétés pharmacocinétiques. A une dose supérieure à 25μg, sa durée d’action est allongée, sans augmenter sa qualité analgésique [11]. A faibles doses il a été démontré que le fentanyl procure une meilleure analgésie peropératoire mais une moins longue durée de l’analgésie postopératoire [12]. Ce résultat a été observé dans notre série. Des études se sont alors orientées vers l’exploration de l’intérêt de l’ajout de morphine intrathécale [6]. Pour des doses de morphine comprises entre 0,1 et 0,6mg, son effet analgésique postopératoire peut durer de 17 à 44 heures [13]. Il a été démontré que la dose optimale de 0,1mg procure moins d’effets indésirables [14,15].
Conclusion
Nous avons réalisée une étude rétrospective portant sur les césariennes opérées sous rachianesthésie. Le but est de comparer les effets analgésiques procurés par deux modalités d’administration de fentanyl intrathécale versus placebo. Nos résultats amènent à conclure que la dose de 25μg améliore considérablement la qualité analgésique per opératoire. Par contre son effet sur la douleur postopératoire est faible par rapport à la dose de 50μg.
References
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