Introduction
D’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le nombre de décès dû au paludisme est estimé à 655000 pour l’année 2010, dont 91% en Afrique. A l’échelle mondiale, 86% des décès imputables au paludisme ont frappé des enfants de moins de 5 ans [8]. Il existe plusieurs formes de paludisme grave dont l’accès pernicieux est la forme la plus sévère. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), il est caractérisé par des manifestations neurologiques conséquence de l’atteinte cérébrale au cours de l’accès palustre : troubles de la conscience, prostration et convulsions [11].
Une étude hospitalière faite dans le service de Pédiatrie du Centre National Hospitalier et Universitaire (CNHU) à Cotonou au Bénin en 1988 montrait que le neuropaludisme représentait 10% des admissions annuelles avec un taux de létalité de 8,6% surtout chez le nourrisson [1]. Plusieurs initiatives pour améliorer la prise en charge du paludisme ont été prises dont la gratuité de la prise en charge du paludisme chez les enfants de moins de 5 ans. Vingt cinq ans plus tard, la présente étude a pour but de déterminer les aspects épidémiologiques, cliniques, thérapeutiques et évolutifs du neuropaludisme chez les enfants et d’identifier les problèmes liés à sa prise en charge.
Patients et méthodes
Il s’agissait d’une étude rétrospective, descriptive et analytique menée du 1er Janvier au 31 Décembre 2012. Elle a porté sur les enfants hospitalisés pour neuropaludisme âgés de 0 à 15 ans dans le service de Pédiatrie du CNHU de Cotonou. L’OMS a défini des critères de gravité du paludisme. La présence d’un de ces critères cliniques ou biologiques, associé à la présence de Plasmodium falciparum dans le sang fait porter le diagnostic de paludisme grave. Certains signes de gravité ont été recherchés comme facteur de comorbidité du neuropaludisme à savoir l’anémie, la détresse respiratoire, l’hémoglobinurie macroscopique. Selon l’OMS, le neuropaludisme est un paludisme grave avec comme signe de gravité : un coma profond (coma avec Blantyre inférieur ou égal à 2 pour le petit enfant ou un score de Glasgow modifié inférieur ou égal à 9 chez l’enfant de plus de 5ans), des convulsions (deux ou plus par jour) ou une prostration (extrême faiblesse). Devant ce tableau, un ou plusieurs autres signes de gravité ont été recherchés à savoir : une hypoglycémie (glycémie < 2,2 mmol/l), une anémie (d’hémoglobine < 5 g/dl), une détresse respiratoire, une hémoglobinurie macroscopique. Un examen cytobactériologique du liquide céphalo-rachidien (LCR) était réalisé chez tout enfant présentant un coma profond pour faire le diagnostic différentiel avec une méningite bactérienne. Elle était évoquée devant une cellulorrachie supérieure à 10 globules blancs par mm3. Une antibiothérapie systématique était instituée en attendant les résultats de l’examen.
Le recrutement était exhaustif par exploitation des dossiers d’hospitalisation. Les données étaient collectées à l’aide d’une fiche d’enquête individuelle réalisée pour chaque patient. Les variables étudiées étaient : les données épidémiologiques (sexe, âge, provenance, période de survenue), les données cliniques (pâleur, détresse respiratoire, hémoglobinurie), les données biologiques (examen cytobactériologique du LCR, taux d’hémoglobine, glycémie), les données thérapeutiques (Quinine, Arthémeter, sérum glucosé hypertonique, antibiotique, transfusion) et l’évolution (durée du coma, durée d’hospitalisation et devenir des enfants).
Les données étaient gérées en toute confidentialité. Elles étaient traitées et analysées à l’aide du logiciel SPSS21. Les tests de Chi2, Chi2 corrigé de Yates et test de Fischer exact étaient utilisés pour comparer les rapports avec le seuil de signification p ˂ 0,05.
Résultats
Aspects épidémiologiques
Au cours de l’année 2012, 2632 enfants étaient hospitalisés dans le service de Pédiatrie du CNHU-HKM de Cotonou dont 653 pour paludisme grave soit 24,81%. Quatre vingt trois enfants parmi les cas de paludisme grave présentaient le neuropaludisme soit une fréquence hospitalière de 12,71%. Une prédominance féminine était observée (53%, n=44) et le sex ratio était de 0,9. Les enfants les plus touchés par le neuropaludisme étaient âgés de 6 à 59 mois (72,3%), avec un âge moyen de 44 mois. Les enfants étaient en grande majorité référés des centres de santé périphériques (85%).
Les mois de Juin, Juillet, Août étaient ceux d’une forte affluence de neuropaludisme avec un pic en Juillet comme indiqué dans la figure n°1.

Les aspects cliniques
La pâleur était le principal signe de gravité associé au coma (95%, n=79) suivi de la détresse respiratoire (31%, n=26) et de l’hémoglobinurie (30%, n=25).
NB : Un enfant peut présenter un ou plusieurs signes cliniques de gravité.
Caractéristiques biologiques
L’hémogramme était réalisé chez 53 enfants et 11 avaient un taux d’hémoglobine inférieur à 5 g/dl (0,2%). L’examen cytobactériologique du LCR réalisé chez 46 enfants avait noté une cellulorrachie inférieure à 10 globules blancs par mm3 chez 38 enfants (82,6%), modérément élevée (entre 10 et 15 globules blancs par mm3) chez huit enfants (17,4%). La protéinorrachie et la glycorrachie étaient normales chez les 46 enfants. La glycémie plasmatique était réalisée chez 10 enfants dont un avait une hypoglycémie à 0,40g/l.
Prise en charge thérapeutique
Soixante dix-huit enfants (94%) avaient été traités par la quinine. Les autres avaient reçu des dérivés d’artémisinine (6%). La transfusion de culot globulaire était réalisée chez 65 enfants (78%). Le sérum glucosé hypertonique à 10% était utilisé chez tous les enfants. Vingt-six enfants avaient reçu de l’oxygène (31%).
Evolution.
Plus de la moitié des enfants (54%, n=45) avaient présenté un coma de plus de 24 heures.
La durée moyenne d’hospitalisation était de sept jours avec des extrêmes allant de un à 21 jours.
Quatorze enfants étaient décédés (16,8%). Onze de ces décès étaient survenus dans les premières 48 heures. Les enfants de 6 mois à 5 ans étaient les plus concernés (64%, n=9)
La détresse respiratoire, l’absence d’utilisation de la quinine et de l’oxygène étaient les facteurs associés au décès (tableau I)

Discussion
Il ressort des résultats que la fréquence hospitalière du neuropaludisme dans le service n’a pas varié de façon significative (12% versus 10% en 1988 dans le même service). La prédominance du neuropaludisme chez les enfants de plus de six mois et de moins de cinq ans a été constatée par plusieurs auteurs [2-6]. Elle représente l’une des couches les plus vulnérables. L’absence de cas de neuropaludisme chez les moins de six mois s’explique par l’immunité passive materno-foetale. Par contre après cinq ans, la protection est liée à la prémunition acquise en région endémique [1].
La majorité des enfants (85%) admis pour neuropaludisme dans le service étaient référés de centres périphériques. Le CNHU de Cotonou est un hôpital universitaire disposant d’un plateau technique adéquat pour la prise en charge du paludisme grave.
Le taux de 95% d’anémie associée au neuropaludisme est semblable à ceux de plusieurs auteurs de la sous-région [4-6]. L’anémie est un facteur aggravant le neuropaludisme. Elle est liée à la lyse des globules rouges parasités mais aussi à la libération de toxines plasmatiques [3]. De plus il existerait une anémie carentielle en Afrique subsaharienne chez les enfants de moins de cinq ans sur laquelle vient se greffer le paludisme [12].
Le bilan biologique à savoir la glycémie, l’hémogramme et l’examen cytobactériologique du LCR doit être demandé de façon quasi-systématique. La ponction lombaire s’avère nécessaire devant tout coma fébrile car la méningite apparaît comme un diagnostic différentiel du neuropaludisme. L’hypoglycémie accompagne très souvent le neuropaludisme du fait de la consommation excessive du glucose par le cerveau et de l’action hypoglycémiante de la quinine. La létalité était plus élevée (17%) que celle retrouvée par AYIVI et coll. en 1988 dans le même service (9%) [1]. Les décès survenant surtout dans les 48 premières heures de vie, suggère des insuffisances dans la prise en charge initiale du neuropaludisme. La création d’une unité de réanimation pédiatrique aiderait à faire reculer ces décès précoces. La gravité du neuropaludisme peut s’expliquer par la séquestration des érythrocytes parasités au sein d’un tissu, ce qui induit des dysfonctionnements vitaux pour l’organe cible comme une sécrétion de cytokines (TNF, IFN) pouvant stimuler la production de monoxyde de carbone. Le monoxyde d’azote est une cause de vasodilatation, entraînant une hypertension intracrânienne associé au paludisme cérébral. La présence massive d’érythrocytes parasités au sein d’un tissu a pour conséquence une hypoxie tissulaire et métabolique, comme une hypoglycémie ou une acidose lactique [7,10].
Une étude portant sur 65 patients décédés de paludisme grave en Thaïlande et au Viêtnam a montré que le décès lié à un paludisme cérébral était directement associé à la séquestration massive des érythrocytes parasités dans les micro-vaisseaux cérébraux. Le nombre d’érythrocytes séquestrés était corrélé au coma pré-mortem [9]. Cela peut s’expliquer par le fait que le paludisme cérébral est, le plus souvent associé à une cytoadhérence importante des érythrocytes parasités au niveau des micro-vaisseaux cérébraux [9].
L’âge inférieur ou égal à 59 mois, la référence d’un centre périphérique, l’anémie et la détresse respiratoire ont été identifiés comme facteurs de mauvais pronostic ou de décès. Une vigilance particulière s’impose face à ces paramètres. L’anémie doit être traitée par la transfusion dès le moindre signe de décompensation et la détresse respiratoire après libération des voies aériennes supérieures par l’oxygène.
Avec les faibles taux de réalisation observés du bilan biologique, notre étude confirme les difficultés financières pour la prise en charge du neuropaludisme. En effet, le CNHU de Cotonou disposant d’un statut particulier de par son autonomie, la gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans ne s’y applique pas. L’absence d’assurance universelle pour la santé fait que les frais et soins médicaux reviennent exclusivement à la charge des parents.
Conclusion
La fréquence hospitalière et le taux de létalité du neuropaludisme restent encore élevés dans notre service. Les enfants de moins de cinq ans sont les plus exposés. L’anémie et la détresse respiratoire sont des facteurs de mauvais pronostic. La quinine est toujours le traitement de choix. La réduction de la mortalité liée au paludisme reposerait essentiellement sur la prise en charge correcte de ces facteurs de mauvais pronostic. L’application de la gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans au CNHU et la création d’une unité de réanimation pédiatrique aideront à réduire cette forte létalité.
Références
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