Introduction
Les urgences vitales sont représentées par la survenue d’une détresse pouvant conduire à tout instant à un arrêt cardiaque, dont l’incidence hospitalière varie selon les études de 1 à 5 pour mille admissions [1] [2]. En 2009, sa prévalence sur toute l’Europe était estimée à 700000 [3].
Les urgences vitales constituent un important problème de santé publique et représentent un défi thérapeutique. Leur prise en charge initiale nécessite une connaissance des gestes de premiers secours qui doivent être maîtrisés par tout agent de santé [4]. Ces gestes doivent être réalisés le plus précocement possible afin d’améliorer le pronostic [5]. En effet, la probabilité de survie après un ACR extra hospitalier diminue de 10% par minute écoulée sans réanimation cardio-pulmonaire [6]. Cependant, les connaissances et la maîtrise de ces gestes de premiers secours par les agents de santé sont parfois insuffisantes [6, 7, 8].
Le but de cette étude était d’évaluer les connaissances théoriques des étudiants de 7ème année de médecine de l’Unité de Formation et de Recherche en Sciences de la Santé (UFR/SDS) de Ouagadougou sur les gestes de premiers secours.
Matériels et méthodes
Il s’est agi d’une étude transversale à passage unique, conduite du 1er au 14 Août 2009 dans les deux centres hospitaliers universitaires (CHU) de Ouagadougou : le CHU Yalgado Ouédraogo (780 lits) et le CHU pédiatrique Charles de Gaulle (150 lits). Ces 2 CHU constituent les principaux sites de stage des étudiants en médecine de l’UFR/SDS de Ouagadougou. Le cursus des études de médecine comporte un module d’urgences médico-chirurgicales dispensé en 5ème année. La réanimation cardio-pulmonaire y est enseignée sous forme de cours magistral de 2 heures de temps. Les étudiants effectuent au cours de la 7ème année (la dernière du cursus) un stage clinique hospitalier à plein temps appelé stage interné. Les stagiaires internés constituent un maillon important dans la chaine de soins hospitaliers : ils sont en première ligne au cours de la prise en charge des patients et sont donc souvent amenés à réaliser des gestes d’urgence en cas de détresse vitale.
La population d’étude était constituée des étudiants inscrits en 7è année d’études médicales à l’université de Ouagadougou et effectuant leur stage interné dans un des deux CHU pendant la période de l’enquête.
Les données ont été recueillies par un questionnaire anonyme, auto-administré. La distribution des questionnaires était individuelle et a été précédée d’un bref entretien explicatif, et le recueil dès qu’ils étaient remplis.
Les variables étudiées concernaient :
– La connaissance des signes cliniques des urgences vitales suivantes à travers des questions ouvertes : perte de connaissance, arrêt ventilatoire, arrêt cardio-respiratoire (ACR), obstruction aiguë des voies aériennes par corps étranger (OAVACE) ;
– La connaissance des gestes de premiers secours à travers des questions à choix multiples : libération des voies aériennes supérieures (LVAS), position latérale de sécurité (PLS), ventilation artificielle (VA), massage cardiaque externe (MCE), manoeuvre de Heimlich (MH).
Les informations recueillies ont été analysées par le logiciel Epi Info version 3.5.1.
Résultats
Au total, sur 160 étudiants éligibles, 102 ont répondu au questionnaire, soit un taux de participation de 63,7%.
Six étudiants (5,8%) avaient bénéficié d’une formation théorique sur les gestes de premiers secours, en dehors du cursus médical. Aucun étudiant n’avait bénéficié de formation pratique.
Les signes cliniques permettant de faire le diagnostic de l’arrêt cardio-respiratoire étaient connus par 18,6% des étudiants.
La répartition des étudiants en fonction de leur connaissance des signes cliniques des principales urgences est donnée dans le tableau I
Les résultats concernant les gestes déjà pratiqués par les étudiants ainsi que leur niveau de connaissance théorique sur ces gestes sont résumés dans le tableau II
Aucun étudiant ne connaissait la séquence de la réanimation cardio-pulmonaire dans sa totalité. Dans leurs suggestions, les étudiants ont exprimé leur besoin d’être formés sur les gestes de premiers secours notamment sur la RCPB (45,1%), la manutention des blessés (18,6%), l’intubation trachéale (16,7%), la manoeuvre de Heimlich (14,7%). Pour 67,6% des étudiants, un module d’enseignement sur les gestes d’urgence, avec formation pratique, devrait être dispensé en 2ème ou 3ème année d’études médicales.
Discussion
Le but de cette étude était d’évaluer les connaissances théoriques des étudiants en fin de cursus médical sur les gestes d’urgence en les interrogeant sur des notions simples de premiers secours. Notre taux de participation a été de 63,7% et il ressort de cette enquête qu’une faible proportion des étudiants avait bénéficié d’une formation sur les gestes de premiers secours.
Dans la prise en charge des urgences vitales intra-hospitalières, le niveau de connaissance des agents de santé sur les gestes de premiers secours conditionne le pronostic des patients. La connaissance théorique mais surtout pratique des gestes de premier secours et leur réalisation sans délai et de manière adéquate est un des facteurs de bon pronostic [4].
Notre méthode d’évaluation qui est exclusivement théorique ne permet pas de juger du savoir faire des étudiants en matière de gestes d’urgence. Néanmoins, les résultats que nous avons obtenus nous permettent de juger le niveau de connaissance des étudiants en 7ème année de médecine sur les gestes d’urgence.
Dans le cursus de formation médicale à Ouagadougou, il n’y a pas de formation spécifique sur les gestes d’urgence à l’instar de certaines facultés de médecine [5, 9, 10, 11, 12]. Les étudiants en médecine chez nous comme ailleurs sont pourtant très souvent interpellés en cas d’urgence vitale intra hospitalière [13]. Dans certains pays, il existe même des formations dans les collèges et lycées, voire pour le grand public organisées régulièrement dans le but d’assurer une prise en charge initiale des urgences vitales avant l’arrivée des secours médicalisés [14, 15].
La prise en charge des urgences vitales commence par le diagnostic positif de la détresse vitale immédiatement suivi de la réalisation des gestes de premiers secours adaptés [4]. La précocité de réalisation de ces gestes de premiers secours conditionnera le pronostic du patient [10, 16, 17]. En effet, après un arrêt cardio-respiratoire, chaque minute perdue diminue les chances de survie de 7-10% [18]. Pourtant dans notre étude, seuls 18% des étudiants étaient capables de faire ce diagnostic, ce qui implique que les gestes d’urgence ne seront pas toujours réalisés à bon escient.
Plusieurs études ont permis de faire le même constat autant chez des étudiants que d’autres professionnels de la santé [4, 8, 13, 19]. Galinski et al dans une enquête sur les connaissances du personnel médical et paramédical sur la prise en charge de l’arrêt cardiaque intrahospitalier ont trouvé que devant une perte de connaissance 55% du personnel médical et 19% du personnel paramédical recherchaient explicitement l’absence de mouvements ventilatoires spontanés, en outre seuls 18% du personnel paramédical recherchaient un pouls carotidien ou fémoral [8].
Les gestes de premiers secours à réaliser devant les principales urgences vitales étaient aussi peu connus de nos étudiants. Les mêmes lacunes ont été mises en évidence ailleurs par d’autres auteurs [8, 20, 21, 12].Une étude réalisée chez des étudiants dentistes en fin d’études, a révélé qu’aucun d’entre eux n’était en mesure de poser correctement le diagnostic d’un arrêt cardiaque et de réaliser les gestes de réanimation cardio-pulmonaire [12].
Cependant un module sur les urgences médicales est enseigné aux étudiants de 5è année d’études médicales à Ouagadougou. Ce résultat pose donc la question de la pertinence des méthodes pédagogiques utilisées dans la formation médicale, pour l’acquisition des connaissances et leur pérennisation. A l’UFR/SD de Ouagadougou, il s’agit principalement de cours magistraux classiques [22]. Des techniques de pédagogie active seraient plus efficaces.
Le taux de survie d’un arrêt cardiaque à l’hôpital demeure très faible malgré les recommandations internationales qui ont permis d’organiser sa prise en charge autour du principe de la chaîne de survie [23, 8]. Dans la mise en oeuvre de cette chaîne de survie, la réalisation immédiate des gestes de premiers secours est un facteur important pour l’amélioration du pronostic des patients [24].
L’instauration de l’enseignement des gestes de premiers secours dans les études médicales initiales et dans la formation continue est une des solutions à ce problème [9, 11, 25]. Cette formation devrait être répétée régulièrement tout au long du cursus de formation afin d’obtenir au terme des études médicales un niveau de compétence satisfaisant [9]. Une formation spécifique aux étudiants en médecine de Ouagadougou sur les gestes d’urgence leur aurait permis d’acquérir des aptitudes indispensables pour mieux prendre en charge les urgences vitales intra-hospitalières.
Conclusion
Cette étude montre une sévère carence dans les connaissances théoriques des étudiants en fin de formation à l’UFR/SDS sur les gestes de premiers secours. Dans l’immédiat, la formation de tous les médecins et étudiants avancés dans le cursus s’avère indispensable afin d’améliorer le pronostic des patients. Il est donc souhaitable de mettre en oeuvre un programme de formation théorique et pratique sur mannequin, avec une évaluation et une actualisation périodiques des acquis.
Références
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