Introduction
Le jeûne consiste en une privation d’apport exogène d’aliments [1]. Selon la littérature [1] on distingue 3niveaux de jeûne en fonction de la durée : Le jeune court qui correspond à un jeûne de 3 à 5 jours ; le jeûne prolongé après 5 jours de jeûne, et le jeûne terminal qui est la phase terminale de cette privation d’aliments et qui n’a pu être étudiée que chez l’animal. C’est une pratique courante dans plusieurs religions. Il est également pratiqué en médecine où la forme la plus connue est le jeûne préopératoire [2]. Le jeûne s’accompagne de troubles métaboliques dont le premier est l’hypoglycémie [2,3]. Cependant les conséquences métaboliques du jeûne ont été mieux observées au cours de l’anorexie mentale qui est une forme sévère et prolongée de jeûne. Ce jeûne prolongé peut entrainer des troubles métaboliques divers notamment une hyponatrémie, une hypocalcémie, une hypophosphatémie et une baisse du taux d’urée [2, 3,4]. Dans nos conditions difficiles de travail, la réalisation des bilans biologiques n’est pas toujours aisée. Ainsi devant une hypoglycémie nous nous contentons le plus souvent de la corriger, sans chercher d’autres troubles métaboliques qui pourraient s’y associer. Nous présentons un cas d’hypoglycémie profonde associée à des troubles ioniques sévères ayant entraîné la mort chez un musulman, après dix jours de jeûne au cours du carême. L’objectif de ce travail est de montrer que devant un coma avec une hypoglycémie sévère, dans un contexte de jeûne prolongé, le médecin des urgences et de réanimation doit rechercher d’autres troubles métaboliques associés. En effet en l’absence d’une correction rapide et efficace, ces troubles associés pourraient grever lourdement le pronostic du patient.
Observation
Monsieur K.S. âgé de 60 ans est admis en réanimation, en provenance d’un hôpital périphérique, le 11-09-2010 à 16h 52 Min pour trouble de la conscience.
L’histoire de la maladie révèle que la symptomatologie aurait débuté le 07-09-2010. Après la rupture du jeûne, le patient aurait ressenti des poly arthralgies et une adynamie, sans fièvre. Il s’en suit quelques heures plus tard un trouble de la conscience d’installation brutale. Les parents entreprennent des traitements traditionnels pendant 3 jours. Devant la persistance du coma il est conduit à l’hôpital de son quartier le 10-09-10 où l’examen clinique réalisé retrouve un coma stade II. La glycémie était à 0,52 g/l. Il reçoit une perfusion de 500 ml de sérum glucosé isotonique, puis il est transféré au service de réanimation du chu de Yopougon.
Le patient n’avait pas d’antécédent pathologique connu.
L’examen à l’entrée dans le service a retrouvé une TA= 13/08 ; un pouls= 92 puls/Min ; une saturation du sang en oxygène à 89% sans oxygène ; une température à 37°5 ; des conjonctives colorées et une langue sèche ; un coma avec un score de Glasgow à 6 sans signe de focalisation ; des pupilles égales concentriques et réactives ; au plan pulmonaire des râles d’encombrement bronchique. L’examen des appareils cardiovasculaire et hépato- digestif n’a pas révélé d’anomalie. Par ailleurs le patient a présenté des vomissements bilieux en cours d’examen et il avait une voie veineuse périphérique avec un flacon de sérum glucosé isotonique. Devant ce tableau de coma grave non fébrile, sans signe de localisation, avec une glycémie capillaire à 0,52g/l nous avons évoqué une hypoglycémie. Toutefois nous n’avons pas écarté les autres causes métaboliques. La glycémie capillaire réalisée dans nôtre service a confirmé l’hypoglycémie avec un taux à 0,56g/l. Le patient a bénéficié d’un conditionnement ayant comporté : une intubation orotrachéale après sédation, suivie d’une aspiration trachéale ; une ventilation artificielle en mode contrôlé ; un monitorage non invasif de la PA, la FC, la FR, la saturation en oxygène du sang et de la T°. Nous avons procédé à la pose d’une voie veineuse centrale suivie d’une perfusion rapide d’un flacon de 500 ml de sérum glucosé à 10%, à défaut de sérum glucosé à 30%. Enfin nous avons mis en place une sonde nasogastrique et une sonde urinaire. La sédation a été poursuivie avec du Fentanyl 25γ/h et du Midazolam à 2mg/h à la seringue électrique.
Le bilan réalisé a mis en évidence : GB= 4,5 103/ml ; GR= 5,1106/ml ; Hb= 10,6 g/dl ; Plaquettes= 146 103/ml ; Hte = 30,60% ; Urée = 0,40g/l ; Créatinine =16 mg/ l ; Glycémie = 1,01g/l ; Na+ = 97 mEq/l ; K+= 2,40 mEq/l ; TGO = 10,15 UI/l ; TGP = 36,48 UI/ml. La tomodensitométrie cérébrale et les gaz du sang n’ont pu être réalisés car nous n’en disposons pas dans nôtre hôpital. Au vue de ces troubles marqués de la natrémie et de la kaliémie, le patient a bénéficié d’une rééquilibration hydro électrolytique avec : une charge potassique de 26 mEq en 2 heures, un apport de 12 g de Na+ en plus des apports de base. Il a reçu un apport hydrique de 3000 ml de sérum salé isotonique, et la perfusion de 500 ml de sérum glucosé à 10% sur 24heures. Enfin le patient a bénéficié d’une prophylaxie anti thrombotique à base d’Enoxaparine 4000UI en S/C par jour.
L’évolution immédiate a été favorable. En effet le score de Glasgow est passé de 6 à 10, avec des pupilles toujours normales et une hémodynamique stable. Cependant il a persisté une oligoanurie avec une diurèse horaire de 14ml jusqu’au 12-09-2010 matin. A 10 heures le patient a présenté une dégradation de l’état hémodynamique avec une bradycardie et une hypotension progressives, réfractaires au remplissage et aux amines vasoactives. A 14h40Min il a présenté un arrêt cardiaque. Nous avons réalisé une réanimation cardio-pulmonaire avec massage cardiaque externe, administration d’adrénaline et de sérum bicarbonaté, sans succès. Le décès a été déclaré le 12-09-10 à 17heures.
Discussion
Le jeûne s’accompagne de troubles métaboliques divers dont les plus fréquents sont l’hypoglycémie, l’hyponatrémie, l’hypocalcémie, l’hypophosphorémie et une baisse de l’urée témoin de la baisse du capital azoté [2,3,4]. Les troubles métaboliques du jeûne commencent à apparaître à partir de la sixième heure. Chez notre patient nous avons observé une hypoglycémie, une hyponatrémie et une hypokaliémie. L’hypoglycémie est liée à une restriction des apports glucidiques [5] et à une déplétion des stocks de glucose de l’organisme [2]. Cette hypoglycémie s’accompagne également d’une baisse de l’insulinémie ainsi que du peptide C [3] qui induirait une hyperkaliémie. Dans notre cas nous avons observé une hypokaliémie. Ceci pourrait s’expliquer par une entrée massive du potassium dans les cellules sous l’action du stock d’insuline du fait du déficit brutal de substrats glucidiques. Pour certains auteurs [6], cette hypokaliémie s’expliquerait par l’hyponatrémie sévère associée. Il s’agirait alors d’une hyponatrémie hypotonique avec perte de potassium. Dans notre cas l’osmolarité calculée est de 202 mos mol/l et serait en faveur de cette hypothèse. Charlier et al. [4] ont observé un cas d’hyponatrémie sévère par sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique au cours d’une anorexie mentale. Chez notre patient le taux d’urée était normal. Ceci pourrait s’expliquer par une adaptation de l’organisme pour maintenir une valeur normale de l’urée. Selon Daniel Rigaud [2] même au cours de l’anorexie mentale il existe une réadaptation du catabolisme protidique qui permet à l’organisme de maintenir un taux normal d’urée pendant longtemps. Le traitement a été axé
Cas clinique
essentiellement sur la correction des différents troubles métaboliques avec apport de glucose, de sodium et de potassium. Malgré ce traitement l’évolution a été défavorable et le patient est décédé. Ce décès pourrait s’expliquer par la sévérité des troubles observés. En effet l’hypoglycémie sévère est responsable d’un œdème cérébral cytotoxique [7] de même que l’hyponatrémie. Quant à l’hypokaliémie, elle est responsable de troubles du rythme cardiaque et d’arrêt cardiaque inopiné [8]. Dans notre cas nous n’avons pas observé de troubles du rythme sur le scope. Cependant la bradycardie suivie de l’arrêt cardiorespiratoire pourrait être liée à cette hypokaliémie sévère. Ainsi l’absence de certains arguments para cliniques ne permet pas d’attribuer ce décès à un trouble précis. Cependant leur association et leur durée pourrait bien expliquer cette évolution défavorable. Au vue de cette observation, il apparait que toute personne souhaitant se soumettre à un jeûne volontaire, surtout dans le cadre religieux devrait bénéficier au moins d’une visite médicale. Au cours de cette visite il pourrait au besoin bénéficier d’un bilan para clinique, afin de déterminer s’il peut entreprendre son jeûne en toute sécurité. D’autre part une attention particulière doit être portée aux sujets fragilisés comme les diabétiques et les hypertendus. A l’endroit des autorités hospitalières nous recommandons l’équipement des laboratoires de nos hôpitaux pour permettre la détection rapide de ces troubles métaboliques et la surveillance efficiente au cours de leur correction. Cette surveillance permettrait d’éviter des troubles métaboliques iatrogènes qui pourraient être aussi fatals pour le patient.
Conclusion
Le jeûne s’accompagne de troubles métaboliques dont la sévérité, la durée surtout l’absence de correction dans un bref délai pourrait conduire à une évolution défavorable. Ainsi toute personne devant se soumettre à un jeûne sur une longue durée doit bénéficier d’un suivi médical avec un accent particulier pour les sujets fragiles comme les diabétiques et les hypertendus.
Références
1. B. Beaufrère, X. Leverve, D. Attaix. Physiologie du jeûne. In réanimation médicale, 2ème édition, Elsevier Masson, 2009 pp 172- 173
2. Lionel Bouvert, Dan Benhamou. Les règles du jeûne préopératoire. Le praticien en anesthésie réanimation. 2008 ; 12 : 413-21
3. Daniel Rigaud. Conséquences métaboliques de l’anorexie mentale Nutrition clinique et métabolisme. 2007 ; 21 : 159-65
4. P. Challier, S. Cabrol Hyponatrémie sévère associée à une anorexie mentale : rôle d’une sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique ?
Arch. Pédiatr. 1995 ; 2 : 977-79
5. Daniel Rigaud Les troubles du comportement alimentaire : Quel retentissement nutritionnel ?
Rev. Franç. Laboratoires. 2001 ; 384
6. G. Offenstadt, J. Guglielminotti. Les dysnatrémies. In réanimation et urgences, 2è édition, Masson, Paris, 2005 pp 171 - 186
7. N. E. Gyr, R. A. Schoenenberger, W. E. Haefeli Les hypoglycémies : prise en charge immédiate et dans les 48 heures. In Urgences Médicales, 7ème éd Maloine, Paris, 2004 pp 495-98
8. D. Anglicheau, C. Legendre. Les dyskaliémies. In Réanimation et urgences, 2ème éd,Masson,Paris,2005pp187-93