Introduction
« La rachianesthésie a acquis la réputation d’être pourvoyeuse de complications graves, probablement parce que son apparente simplicité a fait négliger certaines précautions élémentaires » [1]. Les progrès de la pharmacologie, des dispositifs et des techniques sont autant de facteurs, qui ont contribué à accroitre la sureté de l’anesthésie. La période post-opératoire d’une anesthésie générale ou rachidienne est caractérisée par l’association variable de nombreux symptômes, que l’on pourrait rassembler sous la dénomination de « syndrome de mal-être » (SME) [2]. Du fait de la rareté de travaux africains sur ce syndrome en rachianesthésie, notre étude se propose d’analyser le SME post-rachianesthésie dans notre pratique quotidienne.
Matériels et méthode
Le cadre d’étude est le bloc des urgences du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Cocody. Il s’agit d’une étude prospective analytique, effectuée dans la période allant du 1er juillet au 15 novembre 2008. Etaient inclus tous les patients âgés d’au moins 15 ans, qui avaient bénéficié d’une rachianesthésie. Etaient exclus, les échecs et les contre-indications de la rachianesthésie, les patients ayant des difficultés de communication. Les données ont été recueillies sur une fiche d’enquête pré-établie, à partir d’un interrogatoire au lit du malade et de la consultation conjointe des fiches d’anesthésie. Les patients étaient interrogés, en hospitalisation, au cours des 48 premières heures, qui suivaient la sortie du bloc opératoire. Les paramètres étudiés concernaient les aspects épidémiologiques, les données anesthésiques, les effets secondaires de la rachianesthésie et la satisfaction du patient (par oui ou non). Les tests statistiques ont été analysés à l’aide du test du khi deux avec p significatif. Les valeurs quantitatives
ont été exprimées en valeurs moyennes assorties de leur indice de dispersion.
Résultats
Pour 789 actes anesthésiques, 518 rachianesthésies (65.57 % de l’activité) ont été pratiquées au bloc opératoire des urgences. L’âge moyen était de 28.16 ± 7.16 ans (extrêmes 15 et 76 ans). Le sexe féminin était prédominant : 96.14 p.100 des patients avec p 0.001. L’indice de masse corporelle moyen était compris entre 26 et 31 kg/m2 dans 36.49 p.100 des cas. Les ménagères et les commerçantes représentaient 53,86 p.100 des patients. 138 patients avaient bénéficié ultérieurement d’une anesthésie dont 77.54 p.100 d’une anesthésie générale et 22.46 p.100 d’une rachianesthésie. La césarienne était réalisée dans 94.98 p.100 des cas. Les patients étaient classés ASA I (68.73%), ASA II (25.09%), et ASA III (6.18%). Le consentement éclairé était obtenu avant la rachianesthésie dans 60.04 p.100 des cas. L’aiguille de rachianesthésie utilisée était de type Whitacre Gauge 26. La rachianesthésie isobare associait la bupivacaïne 0.5 % à la morphine dans 93.24 p.100 des cas et au fentanyl pour 6.76 p.100 des cas. La dose moyenne de bupivacaïne était de 10.04 ± 2.02 mg (extrêmes 7.5 et 20 mg). La dose moyenne de la morphine était de 0.219 ± 0.397 mg (extrêmes 0.125 et 0.400 mg). La dose de fentanyl était de 25 g. Le temps moyen d’intervention était de 50.70 ± 22.18 minutes (extrêmes 20 et 180 minutes).
Au cours des 48 premières heures d’hospitalisation, l’interrogatoire de 29.73 p.100 des patients n’a retrouvé aucune symptomatologie clinique en rapport avec la rachianesthésie. Par contre, 70.27 p.100 des patients (364 cas) présentaient un syndrome de mal-être post-rachianesthésie. Le SME était prédominant dans la tranche d’âge de 25 à 35 ans. Mais le test statistique est non significatif, montrant que le SME n’est pas lié à l’âge. (Tableau I).
A des doses égales de bupivacaine, les complications étaient plus fréquemment retrouvées pour des doses de morphine ≥ 0.200 mg (tableau II).
Pour des doses variables de bupivacaine et une dose à 0.025 mg de fentanyl, les complications concernaient 28.57 p.100 des patients. Les signes cliniques observés chez les patients présentant un mal-être, ont été recensés par ordre décroissant, dans le (tableau III).
La durée d’hospitalisation était en moyenne de 3.40 ± 1.50 jours (extrêmes 2 et 8 jours). 98.84 p.100 des patients étaient satisfaits de la pratique de cette technique d’anesthésie. Ils avaient exprimé le voeu de se soumettre à la rachianesthésie, s’ils devraient subir une autre intervention chirurgicale.
Discussions
Notre activité anesthésique était dominée par la pratique de la rachianesthésie. Notre taux est superposable à celui de l’hôpital régional de Ziguinchor au Sénégal [3]. Dans certains pays africains (Sénégal, Madagascar, Niger, République Centrafricaine, Tchad), la rachianesthésie est pratiquée dans une proportion de 48.9 p.100 à 68.7 p.100 dans des centres peu équipés contre 14.7 p.100 dans des centres bien équipés [4]. Malgré ces taux, les études africaines n’ont pas porté d’intérêt au SME post-rachianesthésie. La grande activité de la salle d’accouchement expliquerait la prédominance des adultes jeunes de sexe féminin. Le bas niveau scolarisation des patients n’était pas un obstacle à l’élaboration de notre étude. Les indications de la rachianesthésie était la chirurgie viscérale et sous ombilicale avec plus de 50 p.100 de d’indications en obstétrique. Les aiguilles de rachianesthésie de type Whitacre 26 Gauge en bout « pointe crayon », recommandées par la littérature [5] semble entrainer moins de céphalées. La rachianesthésie, associant la bupivacaïne isobare à des adjuvants (morphine ou fentanyl), permettait d’obtenir une anesthésie de courte durée (1.5 à 3 heures) et une analgésie de 12 à 48 heures avec la morphine [10].
Le SME post-rachianesthésie est une réalité clinique car il était présent chez plus de la moitié de nos patients. Il est plus fréquent chez les adultes jeunes de 20 à 35 ans. Mais il semblerait que l’âge n’aurait pas une influence sur l’apparition de ce syndrome [6]. L’adjonction de la morphine (dose moyenne 200μg) augmente l’incidence des effets indésirables dans notre série. Pour une balance bénéfice/risque favorable, Murphy et al. proposent de limiter à 0.1mg la dose de morphine en intrathécale. De plus, de faibles doses de morphine (≤ 100μg) administrées chez un sujet jeune ne justifient pas de surveillance spécifique en secteur de soins intensifs [11].
Le syndrome post-ponction durale, principale complication du SME, était fréquent entre 20 à 35 ans dans notre série. Nos chiffres de céphalées (12.91%) correspondaient à ceux de certains auteurs (1.2 à 46 %) [6]. Deux (2) cas de céphalées intenses, avec l’impossibilité de pratiquer les besoins élémentaires, ont été recensés. Un cas de cervicalgie intense, isolée, à type de tension avec une limitation des besoins quotidiens, a été retrouvé dans notre série. La plupart des études ont confirmé que le syndrome post-ponction durale est dans la majorité des cas, spontanément résolutif. L’abstention thérapeutique semble judicieuse avant le 5è jour [7]. Pour céphalées modérées, l’administration d’antalgiques de pallier I était systématique. En association au paracétamol, le tramadol était utilisé pour les céphalées intenses. L’association d’une hydratation et le respect du décubitus dorsal aux antalgiques, amélioraient le confort des malades ; ces consignes n’étaient pas toujours respecter par les patients dans notre série. Le Blood-Patch, traitement de référence de ces céphalées, n’a pas été utilisé dans notre série. Les nausées et vomissements post-opératoires (NVPO), dus au choc hypovolémique et aux effets indésirables de la morphine [6], disparaissaient spontanément. Très fréquent, le prurit, se localisait à la face, à l’abdomen et au dos. Nos pourcentages de NVPO et de prurit étaient supérieures à ceux retrouvés dans les séries de Tetchi [9, 10] et de Murphy et al. [11]. Un cas de rétention urinaire, imputable à la morphine, a été enregistré : ce chiffre n’est pas significatif car la majorité des patients étaient porteuses d’une sonde urinaire à la sortie du bloc opératoire. Dans d’autres séries, la rétention d’urine a atteint 22 à 39 p.100 des sujets [6]. Deux cas d’iléus intestinal étaient observés et avaient disparu spontanément en 5 jours. Chez l’animal, l’administration de morphine par voie intrathécale, semble ralentir la vidange gastrique et freiner le transit intestinal [6]. La douleur au point de ponction, à type de piqûre, serait due à une difficulté de ponction, surtout chez les parturientes présentant un indice de masse corporelle (IMC) supérieure à 30 p.100 dans notre série. Le choix d’une position adéquate du patient et la ponction d’un espace plus bas permettent de contourner fréquemment cette difficulté [6]. Les lombalgies, soulagées par le décubitus dorsal, serait dues à une lésion inflammatoire bénigne de type pachyméningite [8]. Le syndrome neurologique transitoire résulterait du contact de l’aiguille avec une racine rachidienne [6]. Il se traduit par des paresthésies des membres inférieurs, qui, disparaissent spontanément sans séquelle souvent en un à sept jours [7]. Leur incidence de l’ordre de 1 à 2 p.100 dans quelques études [7], est inférieure à celle retrouvée dans notre série. Le SME avait eu un impact sur la durée d’hospitalisation des trois patientes, qui présentaient des céphalées intenses et une cervicalgie isolée. L’information du patient est la clé de la sécurité dans le domaine de la rachianesthésie. Une explication simple de la technique et de ses avantages par rapport à l’anesthésie générale, au cours de la consultation pré-anesthésique, permet le plus souvent, d’obtenir le consentement du malade, dont il faut se garder de « forcer la main ». Malgré la présence du SME, la majorité des patients préféraient la rachianesthésie à cause de la hantise de la perte de connaissance de l’anesthésie générale. En obstétrique, le fait de participer à la naissance était considéré comme un point très positif [12]. La satisfaction est attestée par le souhait de bénéficier ultérieurement d’une même anesthésie pour le même geste chirurgical [13] pour la grande majorité de nos patients. L’éveil au cours d’une intervention est un facteur de stress pour une minorité d’opérés, d’où l’option pour une anesthésie générale pour une même chirurgie.
Conclusion
Le bénéfice de la rachianesthésie en Afrique tropicale repose sur la prise en charge de ces complications, sur le respect des règles de sécurité de l’anesthésie locorégionale et sur les moyens de prévention tels que la réduction des doses des morphiniques. Hormis le déficit budgétaire important dans nos hôpitaux, les avantages de cette technique seront aussi utiles en urologie, en traumatologie et dans d’autres types de chirurgie
Références
1 Lienhart L. Les accidents des rachianesthésies et des anesthésies péridurales utilisant des anesthésiques locaux. In anesthésie loco-régionale. Paris : éd Arnette, 1989, 805-38.
2 Diemunsch P. Le mal-être postopératoire. Ann Fr Anesth Réanimation. Paris : Elsevier, 1999, 18 (6), 617-8.
3 Guegen G. La rachianesthésie en Afrique : risques, précautions à prendre. Méd d’Afrique Noire. 1994, 41 (2), 121-8.
4 Maillard M, Denis R. La place actuelle de l’anesthésie loco-régionale : les règles qui la régissent. In anesthésie loco regionale et traitement de la douleur. Paris :Masson, 1996, 75-9.
5 Diemusch P, Gros H, Straja A. Rachianesthésie In anesthésie loco regionale et traitement de la douleur. Ann Fr Anesth Réanimation. Paris : éd Masson, 1996, 213-68.
6 Eledjam JJ, Viel E, de la Cousaye JE et al. Rachianesthésie. Ed techniques. Encycl Med Chir (paris-france) anesthésie réanimation, 36 - 324 - A - 10. 1993 ; 18p.
7 Malinnovsky JM. Anesthésie intrathécale. Conférences d’actualisation SFAR. Paris : Elsevier, 2006, 351-64.
8 Montenegro A, Pourtalés MC, Greib N et al. Evaluation de la satisfaction des patients ayant bénéficié d’une anesthésie locorégionale par blocs nerveux périphériques. Ann Fr Anesth Réanimation. Paris : Elsevier, 2006, 25 (7), 679-800.
9 Tetchi YD, Ndjeundo PG, Boua N et al. Effets de l’adjonction de morphine à la bupivacaine en intrathécale sur l’analgésie post-opératoire en chirurgie orthopédique des membres inférieurs. J. Magh. A. Réa Tunis : Publipresse, 2006, 13 (53), 79-81.
10 Tetchi Y, Brouh Y, Assa L et al. La rachianesthésie avec l’association marcaïne/morphine : Intérêt dans le contrôle de la douleur post - opératoire dans les pays en voie de développement. A propos de 250 cas colligés à Abidjan (RCI). J. Magh. A. Réa Tunis : Publipresse, 2004, 11 (47), 217- 9.
11 congrès national d’anesthésie et réanimation (49 ; 2007 ; France) conférences d’actualisation, les essentiels, médecine d’urgence, évaluation et traitement de la douleur. SFAR société française d’anesthésie et réanimation. Paris : Elsevier, 2007, 787p.
12 Kettani A, Tachinaute R, Tazi A. Evaluation de la crete iliaque comme repère anatomique de l’anesthésie rachidienne chez la femme enceinte à terme. Ann Fr Anesth Réanim. Paris : Elsevier, 2006, 25 (5), 501-4.
13 Schug SA. Patient satisfaction : politically correct fashion of the nineties or avaluable measure of outcome ? Reg Anesth Pain Med, 2001, 26, 193-5.