Des crises convulsives à distance d’une grossesse et d’un accouchement normal, faut-il toujours penser à l’éclampsie retardée du post partum ?

Convulsions distant of normal pregnancy and delivery. Cab we still think about late eclampsia ?

octobre 2011, par Pr. Coulibaly Y , Goita D , Dicko H , Diallo B , Diallo D , Keita M , Doumbia D , Camara B

Auteur correspondant : Coulibaly Y youssoufc chez hotmail.com

Résumé
L’éclampsie du post-partum est une entité encore fréquemment rencontrée dans les pays en voie de développement ou elle constitue un véritable problème de santé publique. Nous rapportons un cas d’éclampsie du post-partum survenu au 90e jour chez une patiente de 18 ans, 2e geste, 2e pare, sans antécédents pathologiques particuliers, après une grossesse et un accouchement non compliqués. Le diagnostic d’éclampsie retardée est rendu difficile en dehors du contexte de pré éclampsie et par la nécessité de rechercher d’autres pathologies cérébrales. Il faut donc identifier et sensibiliser les patientes à risque.

Summary
Post-partum eclampsia is still a frequent entity in developing countries where it represents a real public health. We report a case of late post-partum eclampsia which occurred 90 days after a normal pregnancy and delivery. The diagnosis of late eclampsia is difficult without the context of preeclampsia and the need to research others brain pathologies. So, it is necessary to identify and aware risky patients.

Introduction

L’éclampsie, complication grave de la grossesse est définie, chez une patiente présentant les signes de la pré-éclampsie, par la survenue de convulsions et/ou de troubles de la conscience ne pouvant être rapportés à un problème neurologique préexistant [1].

L’éclampsie peut survenir en ante-, per- ou post-partum. L’éclampsie du post-partum représenterait 11 à 44 % des éclampsies [2]. Lorsque les crises convulsives surviennent au-delà de 48 heures après l’accouchement, on parle de crise d’éclampsie retardée. La prise en charge de ces formes retardées est d’autant plus difficile qu’elles surviennent à distance d’un accouchement normal après une grossesse normale [3]. Nous rapportons le cas d’une patiente ayant présenté une crise d’éclampsie tardive à j90 du post-partum après une grossesse et un accouchement normaux.

Observation

Mme D K, âgée de 18 ans, deuxième geste, deuxième pare, sans antécédents pathologiques particuliers, admise en réanimation pour crises convulsives répétées, 90 jours après un accouchement par voie basse. Il s’agissait d’une grossesse bien suivie et menée à terme sans problème particulier. La patiente a consulté dans un centre de santé de référence (CS Réf) avant son admission en réanimation pour des crises tonico-cloniques généralisées avec morsure de la langue sans relâchement sphinctérien, suivies de perte de connaissance post critique. Elle se plaignait deux jours avant l’apparition des crises convulsives, de céphalées résistantes au paracétamol, de vertiges et de bourdonnements d’oreilles. Au CS Réf, la pression artérielle (PA) était à 170/110 mmHg, le pouls à 140 battements par minute, la température à 37,2°C. Elle a présenté 5 crises convulsives au total dont une à l’admission en réanimation.

Les constantes à l’admission étaient PA : 179/128, la fréquence cardiaque à 146 battements par minute, la FR à 17 cycles par mn, la température à 37,5°C et la SPO2 à 92 %. L’état général était conservé.

Elle était agitée avec à l’examen neurologique un score de Glasgow à 10 (E4 V1 M5), les pupilles normo dilatées, réactives à la lumière. Les réflexes plantaires et ostéotendineux étaient normaux. Il n’y avait pas de déficit sensitivomoteur.

Sur le plan biologique, le taux d’hémoglobine était à 9g/dl, les plaquettes à 270 000/mm3, les ASAT à 78 UI/l et les ALAT à 34 UI/l, une glycémie à 8,3 mmol/l, une créatininémie à 345 µmol/l. La protéinurie à la bandelette était à 3 croix sans glucosurie et celle recueillie sur 24h était à 2,46g.

L’électroencéphalogramme réalisé était évocateur d’une crise généralisée en mettant en évidence une bouffée, des pointes ondes et polypointes diffus.
La patiente reçut du sulfate de magnésium 4g sur 30 mn puis 1g/h à la seringue autopulsée (SAP). L’administration du sulfate de magnésium avait été précédée d’un bolus de 10mg de diazépam au moment de la crise convulsive à l’admission. Elle avait reçu également de la nicardipine à la SAP.
L’évolution a été favorable avec reprise de l’alimentation à J2, la maîtrise des chiffres tensionnels sous nicardipine, passage à la voie per os à J3. Elle était transférée à la maternité à J5.

3. Discussions

La crise d’éclampsie retardée se définit par des convulsions entre 48 heures et quatre semaines après un accouchement [3]. Dans les pays développés, on estime que 11 à 44 % des éclampsies surviendraient dans le post-partum [2]. La part de formes de survenue tardive, au-delà de la 48e heure, est difficile à estimer. Les taux rapportés varient de 13 à 26 % des éclampsies et de 47 à 79 % des éclampsies du post-partum [2]. Dans le cas que nous rapportons, la crise d’éclampsie est survenue 90 jours après l’accouchement. Nous n’avons pas retrouvé dans la littérature de cas d’éclampsie retardée excédant 30 jours [2-7].

L’éclampsie est responsable d’une lourde morbi-mortalité materno-fœtale. Si dans les pays industrialisés, son incidence diminue chaque année grâce à une prise en charge adaptée et précoce des pré-éclampsies [8, 9], dans les pays en voie de développement, elle demeure un problème majeur de santé publique [10]. L’éclampsie est responsable de 50000 décès par an dans le monde avec une mortalité maternelle variant entre 14 et 15,6% dans les pays en voie de développement [11].

Le diagnostic d’éclampsie retardée est rendu difficile en dehors du contexte de prééclampsie et par le fait que d’autres pathologies cérébrales (tumeurs, thrombophlébites, méningites) doivent toujours être recherchées [3,4]. En effet, les patientes présentant une éclampsie retardée n’ont en général aucun signe prémonitoire de prééclampsie [3-7]. Cependant, elles rapportent, dans les heures précédant la crise de violentes céphalées intenses résistantes aux antalgiques usuels, des troubles visuels, voire une cécité transitoire, des nausées et des vomissements, des douleurs épigastriques. Elles rapportent également qu’elles n’avaient pas consulté de médecin [7], ces symptômes étant rattachés à la fatigue de la période postnatale. Ce diagnostic d’éclampsie retardée est donc difficile à prévoir et à prévenir [3].
Dans le cas que nous rapportant, le diagnostic d’éclampsie retardée n’a pas été évoqué malgré les signes d’alertes (céphalées, vertiges et acouphènes) et par conséquent, le traitement inadapté. Plusieurs auteurs insistent sur l’importance d’éduquer les patientes, prééclamptiques connues ou non, de leur apprendre à consulter rapidement dans les quatre semaines suivant l’accouchement devant l’apparition de signes d’alerte [3,4].

Les complications maternelles sont significativement plus fréquentes dans les éclampsies du péripartum (HELLP syndrome, hématome rétroplacentaire [HRP], coagulation intra vasculaire disséminée [CIVD], insuffisance rénale aigue) [11]. Toutefois, la mortalité de l’éclampsie ne semble pas différente selon qu’elle survienne en ante- ou en post partum [4].

Pour certains auteurs, l’IRM cérébrale est l’examen de choix pour confirmer le diagnostic d’éclampsie tardive du post partum car l’IRM peut montrer des images pathologiques qui pourraient être strictement normales au scanner [2, 3, 4]. Les auteurs soulignent que ces images (des zones d’hypersignaux en T2 et des hypo- ou isosignaux en T1, le plus souvent au niveau des lobes occipitaux et pariétaux [3]) ne sont pas toujours retrouvées à l’IRM. Leur absence n’élimine donc pas le diagnostic d’éclampsie tardive du post-partum. Mais l’IRM permet la recherche des autres étiologies possibles de céphalées persistantes [3,4]. Dans notre cas, nous ne disposions pas de l’IRM.

La prise en charge thérapeutique de l’éclampsie en post partum tardif ne diffère pas de celle en anté-partum. Elle repose sur l’administration de sulfate de magnésium par voie intraveineuse pour réduire le risque de récidive [2, 3, 4, 12,13].

Conclusion

L’éclampsie tardive du post partum est une entité grave qui doit être connue de tout professionnel de santé pour une prise en charge rapide et efficace. Il faut toujours y penser en post partum chez une patiente qui présente des céphalées persistantes associées à d’autres signes prodromiques.
Un accent particulier doit être mis sur la prévention par une surveillance étroite des patientes ayant présenté une PE, le traitement prophylactique par le sulfate de magnésium et sur l’information de ces patientes à risque

Références

  1. Réanimation des formes graves de prééclampsie. Conférence d’experts de la Sfar. Paris : Elsevier, Paris ; 2000.
  2. Sibai BM. Diagnosis, Prevention and Management of Eclampsia. Obstet Gynecol 2005 ;105:402–10.
  3. Valentin M. et al. Eclampsie retardée : leçons à tirer d’un cas survenue à j11 post partum. Gynécologie Obstétrique & Fertilité 36 (2008) 641–643
  4. Bedel B. et al. A propos d’un cas d’éclampsie tardive du post partum. Gynécologie Obstétrique & Fertilité 38 (2010) 45–47
  5. Watson DL, Sibai BM, Shaver DC, Dacus JV, Anderson GD. Late postpartum eclampsia : an update. South Med J 1983 ;76:1487–9.
  6. Lubarsky SL, Barton JR, Friedman SA, Nasreddine S, Ramadan MK, Sibai BM. Late post-partum eclampsia revisited. Obstet Gynecol 1994 ;83:502–5.
  7. Chames MC, Livingston JC, Ivester TS, Barton JR, Sibai BM. Late postpartum eclampsia : A Preventable disease ? Am J Obstet Gynecol 2002 ; 186:1174–7
  8. Knight M on behalf of UKOSS. Eclampsia in the United Kingdom 2005. BJOG 2007 ; 114:1072–8.
  9. Khadra M, Cooper J, Singh J. Raising awareness of postpartum seizures. J Obst Gynecol 2003 ;23:201–2.
  10. M.D. Beye et al. Prise en charge de l’éclampsie grave en réanimation en milieu tropical africain. A propos de 28 cas. Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 22 (2003) 25–29.
  11. Duley L. Maternal mortality associated with hypertensive disorders of pregnancy in Africa, Asia, Latin America and the Caribbean. Br J Obstet Gynaecol 1992 ;99:547.
  12. Beucher G, Dreyfus M. Pour l’utilisation du sulfate de magnésium dans la prévention de la crise d’éclampsie en cas de prééclampsie. Gynécologie Obstétrique & Fertilité 38 (2010) 155–158.
  13. Rozenberg P. Intérêt du sulfate de magnésium dans la prise en charge de la prééclampsie. Gynécologie Obstétrique & Fertilité 34 (2006) 54–59

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