Introduction :
Le diabète est une affection qui se développe de façon épidémique depuis quelques décennies, et sa prévalence augmente fortement et rapidement dans tous les pays [1]. La cétoacidose diabétique, est une complication aiguë du diabète qui survient le plus souvent chez les patients diabétiques de type 1, mais peut également survenir chez les diabétiques de type 2, notamment chez les noirs africains [1]. Elle se définit habituellement par une acidose métabolique à trou anionique élevé, associant une hyperglycémie > 16 mmol/l (3g/l), une cétonémie positive ou une cétonurie supérieure ou égale à ++, un pH artériel < 7,3 et un taux de bicarbonates plasmatiques < 15 mmol/l [2].
I. L’objectif de l’étude :
Il s’agissait pour nous de décrire les aspects épidémiologiques, étiopathogéniques, thérapeutiques et pronostiques de la céto-acidose diabétique dans le service de réanimation médicale de l’hôpital Principal de Dakar.
II. Patients et méthodes :
Il s’agissait d’une étude rétrospective réalisée sur une période de 18 mois (1er janvier 2006 au 30 juin 2007). Ont été inclus tous les patients admis dans le service de réanimation médicale avec le trépied : glycémie supérieure ou égale à 16 mmol/l, cétonurie supérieure ou égale à 2 croix et pH artériel < 7,3 ou taux de bicarbonates plasmatiques < 15 mmol/l. Nous avions étudié les données épidémiologiques, le terrain, les données cliniques, paracliniques, la gravité des patients avec l’indice de gravité simplifié (IGS II), la mortalité prédite, le score de défaillances d’organes selon Fagon, les modalités thérapeutiques, la charge de travail infirmier et les modalités évolutives. L’analyse statistique a été possible grâce au logiciel SSPS Windows et Microsoft Excel. Nous avions étudié le tableau des fréquences avec les moyennes des différents paramètres sous forme de pourcentage ou de nombre de cas pour les données qualitatives et en valeur moyenne plus ou moins écart-type pour
les données quantitatives. Le test du chi 2 a été utilisé pour les variables qualitatifs et une valeur de
P<0,05 a été considérée comme significative.
III. Résultats :
Aspects épidémiologiques
Durant notre période d’étude, 892 patients ont été hospitalisés dans le service de réanimation médicale dont 75 (8,4%) pour décompensation d’un diabète selon le mode cétoacidosique. Le sex-ratio était de 0,41 en faveur des femmes avec une moyenne d’âge de 38,69 +/- 16,4 (13 Ŕ 79 ans). La majeure partie (64%) venait de la banlieue dakaroise, 40% étaient admis dans les 48 heures suivant la décompensation du diabète. La durée moyenne d’hospitalisation était de 7,36 +/- 5,05 jours.
Le terrain
Parmi nos patients, 65,3% étaient connus diabétiques dont un peu plus de la moitié étiquetée du type 1. Chez les autres (34,7%), la céto-acidose était inaugurale constituant le mode de révélation du diabète. Une hypertension artérielle a été retrouvée dans 17,3% et une obésité dans 6,7% des cas.
Aspects cliniques}}
L’installation était progressive dans la majorité des cas, dans 44% des cas, le mode de survenue était brutal marqué par la survenue de troubles de la conscience. Une déshydratation supérieure à 10% était notée chez 51% des patients. Une hypotension était retrouvée dans 20% des cas, on notait également une tachycardie supérieure à 100/min dans 63% des cas, une polypnée chez la quasi-totalité des patients, une fièvre avec température supérieure à 37,5°C chez 48% des patients, le score de Glasgow moyen était de 13 +/- 2 (3-15). La totalité des patients avait une glycosurie et une cétonurie supérieures ou égales à deux croix.*Aspects paracliniques
Les valeurs moyennes de glycémie étaient élevées chez nos patients, une glycosurie et une cétonurie supérieure à deux croix étaient retrouvées chez tous les patients, il en était de même pour l’acidose métabolique (tableau I).
Une hyperleucocytose supérieure à 12 000/mm3 était retrouvée chez 62% des patients, et une leucopénie inférieure à 4000/mm3 chez 1,3% des cas. Dans le cadre d’une recherche étiologique de facteurs déclenchant, une goutte épaisse, une radiographie du poumon, un ECBU, des hémocultures, un ECG, une sérologie de Widal et Félix, une consultation dentaire, ORL, stomatologique et gynécologique étaient systématiquement demandées (tableau II).
Gravité des patients et charge de travail
La gravité de nos patients évaluée par le score d’indice de gravité simplifié (IGS II) et le score de défaillance d’organe selon Fagon et al avaient retrouvé un IGS moyen de 27,09 +/- 8,91 (6 -50) avec une mortalité prédite prévisible de 8%. Le nombre de défaillance d’organe était de 0,2 +/- 0,4 (0 Ŕ 2) à l’admission et de 0,5 +/- 1,1 (0 Ŕ 5) durant l séjour. La charge de travail infirmier était de 33,03 +/- 32,86 (4 Ŕ 253).
Aspects thérapeutiques
Tous nos patients avaient bénéficié des mesures générales de réanimation, mise en condition et monitorage des fonctions vitales, sondage urinaire. La quantité de soluté administrée en moyenne était de 4953,33 +/- 1598,50 ml (2000-9000). Elle était faite avec essentiellement du sérum salé isotonique au début et ou associée à de l’eau plate par la sonde gastrique. Les apports de base en glucosé était assurés par du sérum glucosé 5% dès que la glycémie capillaire était inférieure ou égale 13 mmol/l. l’insuline était administrée au début à tous les patients par voie intraveineuse au moyen d’un pousse seringue électrique avec une vitesse moyenne de 4 +/- 1,72 UI/h (1-10). Quatre pourcent des patients avaient reçu du chlorure de potassium en perfusion directe au pousse seringue électrique avec une moyenne de 1g/h, 37,3% en perfusion lente de 5,93 +/- 2,89 g/24 h (2-14). Une antibiothérapie était administrée chez 89,33% des patients, elle était probabiliste au début associant de l’amoxicilline et de l’acide clavulanique puis réadaptée en fonction des résultats de prélèvements et des antibiogrammes. Une intubation orotrachéale suivie d’une ventilation mécanique était nécessaire chez 08 patients (10,7%), dont 01 à l’admission sur un CGS à 3/15 et 07 au cours de l’évolution sur altération neurologique et/ou instabilité hémodynamique.
Aspects évolutifs
L’évolution était favorable chez 40 patients (53,3%) marquée par une correction de la glycémie, de l’acidose métabolique, de l’osmolarité et de la disparition de la glycosurie et de la cétonurie en 48 heures.
Au cours de l’hospitalisation, 22 patients (29,3%) avaient présenté des complications, dont 2,7% étaient directement liées à la céto-acidose et les 26,6% liées à la réanimation. Treize décès (17,3%) étaient enregistrés (tableau III).
Corrélation entre les différents paramètres étudiés et l’évolution
Il y’avait une forte corrélation avant l’admission, entre le taux de bicarbonates donc la sévérité de l’acidose à l’entrée, la kaliémie, la gravité évaluée par l’IGS II, le nombre de défaillance d’organe et la charge de travail infirmier d’une part et l’évolution de nos patients d’autre part (tableau IV).
IV. Discussions
La prévalence de la cétoacidose diabétique dans notre étude n’était pas trop loin des autres séries africaines [3,4], elle est beaucoup plus faible dans les pays européennes entre 0,3 à 1,3% [2,5]. Cette différence pourrait être expliquée par le niveau de dépistage beaucoup plus bas dans nos pays. Le diabète n’est souvent découvert qu’au stade de complication. Le sexe n’interviendrait pas dans la survenue de cette complication, les résultats retrouvés dans la littérature sont discordants. L’âge de survenue serait autour de la quarantaine chez les populations noires [6] alors que dans les pays occidentaux, elle surviendrait un peu plus tôt vers l’âge de 30 ans [1]. Ce qui confirme que c’est une affection qui est plus fréquente au cours du diabète de type 1 donc insulinodépendant qui touche surtout l’enfant et l’adulte jeune [7,8]. Le mode d’installation est variable d’un sujet à l’autre, mais le syndrome cardinal reste fréquemment retrouvé dans les séries [1, 3, 4, 8, 9]. Classiquement, les taux de glycémie sont en deçà de 38 mmol/l [8] ; des taux plus élevés sont souvent retrouvés en Afrique comme c’est le cas de notre série probablement en rapport avec un retard de prise en charge aggravant la déshydratation, il s’y associe souvent la prise de médicaments traditionnels à effets diurétique contribuant ainsi à augmenter l’osmolarité plasmatique. D’une manière générale, les valeurs de pH retrouvés dans notre étude étaient superposables à ceux de la littérature exception faite pour certains patients qui avaient des valeurs anecdotiques avec parfois une acidémie allant jusqu’à 6,77 et un taux de bicarbonate à 1,1 mmol/l, presque à la limite inférieure compatible avec la vie cellulaire. Ceci pourrait être due à l’association très fréquente d’une insuffisance rénale qui pourrait aggraver l’acidose métabolique. Dans la céto-acidose diabétique, il existe très souvent une hyperkaliémie au début [1, 8, 10]. Toutefois, cette hyperkaliémie a rapidement tendance à baisser au cours du traitement comme nous l’avions retrouvée. En réalité, il existe un déficit en potassium dont les causes sont multiples selon les auteurs (vomissements, fuite urinaire) [11,12]. L’infection reste le facteur déclenchant le plus fréquent, ceci a été retrouvée dans plusieurs séries africaines [3, 6, 4], cependant son taux était faible dans la série de T BASHIR, au Pakistan [9]. Dans les pays occidentaux, l’écart thérapeutique serait le facteur le plus important [1]. Le traitement de la cétoacidose diabétique associe classiquement une insulinothérapie intraveineuse [2, 13, 14] à la réhydratation hydro-électrolytique avec des protocoles variant en fonction des équipes et des moyens disponibles. La mortalité n’est pas très élevée, 17,3% dans notre série, 11% au Gabon [5] et 5 à 10% en Europe [1, 10]. La mortalité prédite de 8% plus faible que celle réellement observée (17,3%) pourrait être expliquée par la place importante qu’occupe le choc septique (23,1%) dans les causes de décès. Ils s’agissaient très souvent de patients qui avaient été victime des complications infectieuses de la réanimation.
Conclusion
La cétoacidose diabétique est l’une des complications majeures du diabète surtout de type 1. Il peut être le plus souvent évitable par une bonne campagne de prévention. Ceci passe chez le non diabétique par un dépistage systématique. Chez le diabétique par le respect du régime, la pratique d’activités sportives régulières et modérées, le respect du traitement anti-diabétique prescrit, la reconnaissance des situations à risque telle que les infections et les traumatismes, la reconnaissance des manifestations cliniques précoces afin de ne pas retarder la prise en charge
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