Auteur correspondant : issou_fr chez yahoo.fr
Introduction
L’évaluation de la qualité des soins en anesthésie est l’ensemble des procédures permettant de mesurer le niveau de soins rendus par un département afin d’établir les besoins nécessaires à leur amélioration [1]. La césarienne est une modalité d’accouchement qui ne cesse d’augmenter à travers le monde notamment dans les pays en voie de développement. Elle contribue à une réduction de la mortalité maternelle et infantile. La conduite de l’anesthésie pour césarienne est une anesthésie à risque en raison des modifications physiologiques chez la femme enceinte [2].
Lors d’une enquête en Grande Bretagne, sur 161 décès maternels lors de césarienne 120 étaient en rapport avec l’anesthésie et le caractère urgent de sa réalisation était le facteur déterminant. La mortalité anesthésique pour césarienne est 17 fois supérieure sous anesthésie générale que sous anesthésie locorégionale [3,4]. La question posée en 1994 reste encore d’actualité : l’anesthésie générale obstétricale, est-elle devenue obsolète ? [5]. La pratique et les indications de l’anesthésie générale ont changé, cette technique reste appropriée à la prise en charge des césariennes d’extrême urgence. Cependant on y recourt de façon très variable selon les pays [3,6].
La morbimortalité néonatale après césarienne reste élevée dans les pays en voie de développement et constitue un problème de santé publique. Pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) la pratique de la césarienne est gratuite au Mali. Cette mesure entre dans la volonté de notre pays de réduire la mortalité maternelle et infantile. En pratique sa mise en oeuvre a permis un gain de temps en surmontant l’obstacle financier auquel les populations étaient confrontées. L’évaluation de la pratique anesthésique dans un hôpital de seconde référence pourrait permettre d’identifier les facteurs qui concourent à la mortalité néonatale élevée. Ce travail entre dans ce cadre avec comme objectif d’identifier les facteurs liés à la morbimortalité néonatale après anesthésie pour césarienne dans un hôpital de seconde référence au Mali.
Patientes et Méthodes
Nous avons entrepris une étude observationnelle à visée analytique de janvier à décembre 2009 au centre hospitalier de Ségou. Les parturientes admises pour une intervention programmée ou en urgence de césarienne avec foetus vivant étaient incluses dans cette étude. Les critères de non inclusion étaient les admissions pour pré éclampsie sévère et ou éclampsie.
En salle d’intervention, le monitorage utilisé comportait un électrocardioscope, la mesure de la pression artérielle non invasive (PANI) automatisée et l’oxymétrie de pouls (SPO2). Après l’induction de l’anesthésie, l’entretien était assuré par de l’halothane véhiculé par un mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote. L’antibioprophylaxie et le fentanyl étaient administrés après clampage du cordon ombilical. Pour la rachianesthésie, la ponction lombaire était effectuée en L3-L4 avec une aiguille 25 Gauge. En per opératoire la tachycardie était définie par une augmentation de 30% de la fréquence cardiaque de l’installation et l’hypertension artérielle pour les valeurs de pression artérielle systolique supérieure à 140 mm Hg. L’APGAR du nouveau-né était jugé bon quand il était supérieur à 7, moyen entre 5 et 7 et mauvais quand il était inférieur à 5. Les moyens de réanimation étaient instaurés à partir d’un score entre 5 et 7. Ils consistaient à une aspiration, une oxygénation et une ventilation manuelle au ballon auto gonflable.
Les données ont été collectées à partir de dossiers d’anesthésie et d’obstétrique. Les paramètres étudiés étaient le contexte de l’intervention, l’indication de l’intervention, le type d’anesthésie, l’induction anesthésique, le délai d’extraction foetale, l’hémodynamique (TAS et FC) à l’incision et à l’extraction, les incidents per opératoires et L’APGAR du nouveau-né à 1 et 5 minutes.
Les données ont été saisies avec le logiciel Epi Info version 2000 et analysées avec le logiciel R .Dans un premier temps la probabilité de bénéficier d’un type d’anesthésie était recherché. Les variables utilisées pour la construction du score de propension étaient les facteurs personnels (âge) et les facteurs liés aux structures (contexte de l’intervention, le moment de l’intervention et la qualification de l’anesthésiste). Le score de propension ainsi obtenu c’est-à-dire la probabilité conditionnelle de recevoir un type d’anesthésie , a permis l’appariement entre les parturientes de deux groupes avec un ratio 2 :1. L’équilibre a été recherché en observant la distribution de ces variables entre le groupe anesthésie générale (A) et le groupe rachianesthésie (B). Finalement une régression logistique conditionnelle a permis d’identifier les facteurs liés à la morbimortalité néonatale.
Résultats
Epidémiologie descriptive
Durant la période d’étude, 318 dossiers ont été colligés. La tranche d’âge 15-25 ans était la plus représentée avec 50,8% des cas. Les indications de césarienne étaient dominées par la disproportion foetopelvienne (27%), la présentation anormale (19%), l’utérus cicatriciel (15,6%), le bassin pathologique (14,4%) et la souffrance foetale (10,6%). La césarienne était réalisée en urgence dans 80,3% .Dans 52,4% des cas, elle était effectuée entre 8 et 16 heures.
L’anesthésie générale était utilisée chez 234 parturientes (groupe A) et la rachianesthésie chez 84 parturientes (groupe B). En urgence, l’anesthésie générale était réalisée dans 70% des cas et la rachianesthésie dans 73% des cas. La Ketamine était utilisée dans 100% des cas pour l’anesthésie générale. La bupivacaïne était l’anesthésique local pour la rachianesthésie. Les incidents per opératoires étaient repartis comme suite : 134 cas d’hypertension artérielle (42%), 113 cas de
tachycardie sinusale (35,4%), 31 cas d’hypotension artérielle (9,7%), 12 cas de vomissement (3,8%) et 2 cas d’arrêt cardiaque (0,6%).La tension artérielle moyenne était de 134,98±28,91 mmHg à l’incision et de 132,35±27,31 mmHg à l’extraction. La fréquence cardiaque moyenne était de 108±24,54 b.mn-1 à l’incision et de 105,88±24,54 b.mn-1 à l’extraction.
Durant l’étude, 340 nouveaux nés sont nés par césarienne. A la première minute L’APGAR du nouveau-né était supérieur à 7 dans 45,3% des cas. A la cinquième minute, 34,1% des nouveaux nés avaient un score inférieur à 7. La réanimation était effectuée chez 44,5% des nouveaux nés avec une mortinatalité de 5,8%.
Epidémiologie analytique
Le tableau I montre les caractéristiques générales de la cohorte avec un groupe hétérogène non comparable (P < 0,0001). Le tableau II montre les caractéristiques de la cohorte après appariement avec deux groupes homogènes (p=0,25).
La moyenne de la tension artérielle était plus élevée dans le groupe A que dans le groupe B à l’incision
(150 versus 110 mm Hg) et à l’extraction (144 versus 110 mm Hg). La fréquence cardiaque moyenne était supérieure dans le groupe A que dans le groupe B à l’incision (115 versus 98 b.mn-1) et à l’extraction (120 versus 90 b.mn-1) p< 0,00001. Les incidents per opératoires étaient plus fréquents dans le groupe A avec 234 versus 47 pour le groupe B (p=0,041).
A la première minute 135 nouveaux nés avaient un score D’APGAR inferieurs à 7 dans le groupe A versus 30 dans le groupe B (p< 0,0001). A la cinquième minute le score D’APGAR était inférieur à 7 chez 93 nouveaux nés dans le groupe A versus 2 dans le groupe B (p< 0,0001). On notait à la cinquième minute un meilleur score d’adaptation des nouveaux nés dans le groupe B (p<0,0001).
Le tableau III montre les facteurs liés à la morbimortalité néonatale après régression logistique conditionnelle. Le contexte d’urgence multipliait par 12,8[2,48-66,61] le risque de survenue de la morbimortalité néonatale. La rachianesthésie diminuait de 0,35[0,15-0,78] la survenue du risque
Discussion
Le centre hospitalier de Ségou est une structure hospitalière de deuxième référence dans la pyramide sanitaire au Mali. La distance moyenne parcourue est de 75 Km aucours des référence-évacuations dans notre région [7].Le but de notre travail a été atteint par l’identification des facteurs de risque de morbimortalité néonatale. Ces facteurs ont été identifiés après l’analyse par le score de propension. Cette procédure est une méthode statistique d’ajustement à postériori pertinente pour les situations cliniques où les essais randomisés sont difficilement réalisables du fait des contraintes liées à l’éthique médicale [8]. Elle consiste à dériver la probabilité conditionnelle de recevoir le traitement ou une intervention connaissant ces caractéristiques mesurées à l’inclusion. Les bénéfices de l’anesthésie locorégionale sont importants pour la mère et le foetus [2, 4, 9,10]. L’anesthésie générale est préconisée pour les contre-indications à l’anesthésie locorégionale [2-6]. La pratique et les indications de l’anesthésie générale ont changé. Elle est réalisée dans les extrêmes urgences pour un délai d’extraction foetale inférieur à 5 minutes [2-4]. Dans notre étude, elle était la modalité anesthésique la plus pratiquée dans 73,58% des cas. Cette situation pourrait s’expliquer par le délai long des références contribuant à rendre court le délai d’extraction foetale. La rachianesthésie occupe de plus en plus une place de choix en situation d’urgence en raison de sa rapidité de réalisation [2-4].
La kétamine était utilisée dans 100% des cas pour l’induction de l’anesthésie générale. Autrefois, elle était l’agent d’induction de référence pour la césarienne [11,12]. La kétamine a un délai d’action long, une narcose superficielle et traverse fortement la barrière foeto-placentaire [12]. De nos jours, le thiopental est l’anesthésique recommandé pour la césarienne [14]. D’autres agents comme le propofol sont proposés avec de meilleurs scores néonataux à la naissance [9, 13,14]. Comparé au thiopental ; le midazolam préserverai mieux le débit utéro-placentaire [14]. Une analgésie per opératoire de qualité contribue à une réduction des incidents en per opératoire. Il en est e même du choix de l’agent d’induction. Une stabilité hémodynamique per opératoire améliore les scores néonataux par son effet sur le débit utéro placentaire. En effet le débit utéro placentaire n’est pas régulé en fin de grossesse. Cette stabilité du débit utéro placentaire est un des impératifs de l’anesthésie pour la césarienne [15]. Pour cela les incidents per opératoires doivent être détectés et pris en charge précocement pour sauvegarder le devenir foetal. Les incidents per opératoires étaient dominés par l’hypertension artérielle (42%), la tachycardie (35,4%) et l’hypotension artérielle (9,7%). Dans l’étude de Beye MD et al, l’hypotension artérielle était l’incident le plus retrouvé et serait liée à la rachianesthésie [2,13].La fréquence de l’hypotension après rachianesthésie est estimée entre 55 à 90% si elle n’est pas prévenue [16]. Elle peut avoir des conséquences néfastes pour la mère et le foetus [16]. Dans notre étude, ces incidents étaient plus fréquents dans le groupe anesthésie générale. Pour réduire leur survenue en per opératoire, des auteurs recommandent l’administration de morphiniques à l’induction [3, 4,9 17,18].
Le score D’APGAR est un instrument d’évaluation des comportements du nouveau-né après un accouchement. Dans 34,1% des cas, les nouveaux nés avaient un score inférieur à 7. A la première minute, les scores étaient significativement plus bas dans le groupe anesthésie générale que le groupe rachianesthésie. Dans une étude comportant trois techniques anesthésiques, un abaissement des scores d’adaptation était observé dans le groupe anesthésie générale [5,10]. Dans le groupe rachianesthésie, les nouveaux nés réanimés avaient une amélioration du score avant la cinquième minute. Ce constat était observé chez ONG et al [18].
Les facteurs de risque de morbimortalité néonatale identifiés dans ce travail sont le contexte d’urgence de la césarienne et l’anesthésie générale. La rachianesthésie diminuait la survenue de ce risque. Ces facteurs sont retrouvés dans d’autres études [20,21]. Cette diminution du risque par la rachianesthésie s’explique par une absence d’exposition du foetus aux agents anesthésiques administrés par voie parentérale [10, 17, 18,19].
La survie du nouveau-né après accouchement dépend de la compétence et de la capacité de l’équipe médicochirurgicale à anticiper sur le besoin de réanimation après l’identification des facteurs de risque [20] L’identification de ces facteurs doit constituer des éléments d’alerte pour le professionnel de santé afin d’anticiper sur la réanimation du nouveau-né.
Conclusion
Les facteurs liés au taux élevé sont le caractère urgent de la césarienne et l’anesthésie générale. La rachianesthésie diminuait ce risque. La réduction de la morbimortalité néonatale passe par une bonne organisation du système de référence évacuation dans notre région. Ceci rendrait le délai de transport court et l’application des recommandations pour la pratique de l’anesthésie pour césarienne.
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