Auteur correspondant : papatoure chez hotmail.fr
Introduction
La médecine d’urgence est un centre d’intérêt majeur en médecine curative aussi bien dans les pays développés que dans les pays en voie de développement. En zone tropicale les urgences surviennent presque toujours dans un contexte socio-économique défavorable et dans un sous équipement médical important [1]. En banlieue, des problèmes spécifiques peuvent se poser en plus de ceux déjà énumérés, notamment : la surpopulation, l’insuffisance d’éducation des masses, l’enclavement de certaines zones qui sont difficiles d’accès et peut être également des spécificités pour certaines pathologies.
Le but de ce travail était de déterminer à travers une analyse des activités, le profil épidémiologique et clinique des urgences médicales dans un centre hospitalier national (CHN) de la banlieue de Dakar.
Patients et méthodes
Il s’agissait d’une étude transversale rétrospective à visée descriptive allant du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2008, réalisée dans le service d’accueil et des urgences médico-chirurgicales du CHN de Pikine de Dakar. Nous avons analysé les registres ainsi que les dossiers pendant cette période. Etaient inclus, tous les malades ayant consulté pour une affection médicale durant la période d’étude. Etaient exclus, tous les patients qui présentaient une urgence chirurgicale ou obstétricale.
Les paramètres analysés ont été : l’âge, le sexe, l’origine géographique, la symptomatologie, les données des explorations complémentaires (biologie, examens radiologiques, électrocardiogramme, endoscopie), le traitement reçu, le diagnostic retenu (en séparant les infections quel que soit l’appareil atteint, des affections non infectieuses), la durée de séjour et le devenir des patients (retour à domicile le même jour, mise en observation de plus de 24 heures, hospitalisation dans les services cliniques ou en réanimation, transfert dans une autre structure sanitaire et la mortalité).
Résultats
Profil épidémiologique
Sur une période de 12 mois, 3115 patients avaient consulté au SAU pour une urgence médicale. Cette proportion représentait 37,45 % du nombre total de patients reçus dans le service durant l’année 2008, qui s’élevait à 8317 patients.
L’âge moyen était de 32 ± 20,7 ans, avec des extrêmes entre 1 mois et 92 ans. La répartition selon le sexe a montré un sex-ratio de 0,98.Les patients provenaient de la banlieue Dakaroise dans 97,1 % des cas, du centre-ville dans 2,3 % et des autres régions dans 0,6 % des cas.
Nous avons enregistré au premier trimestre 679 patients (21,8%) et au troisième trimestre 885 patients (28,4%). Nous avons recensé au deuxième et quatrième trimestre respectivement : 758 (24,3%) et 793 (25,5%) patients.
Profil clinique
Les urgences infectieuses représentaient 55,24 % des cas. Les principaux groupes étiologiques des urgences médicales sont répertoriés dans le tableau I.
Les urgences infectieuses
Le paludisme occupait la première place des consultations avec 52.3%, suivis des gastro-entérites, des pneumopathies aigues, des infections urinaires et oto-rhino-laryngologiques. Ces différentes urgences sont représentées sur le tableau II.
Les urgences hépato-digestives
Elles étaient dominées par les gastrites aigues et les ulcères gastroduodénaux à hauteur de 54.3%. Les troubles digestifs mineurs
d’étiologie non précisée venaient en deuxième position. Ces différentes urgences sont indiquées sur le tableau III.
Les urgences respiratoires
Les crises d’asthme représentaient 66.6% (190 cas) des consultations des urgences respiratoires. Elles étaient suivies des décompensations aigues de BPCO pour 69 cas (24.2%). Les pleurésies non infectieuses et les tumeurs broncho-pulmonaires étaient retrouvées respectivement chez 23 (8.1%) et 3 (1.1%) patients, comme résumé au tableau IV
Les urgences cardiovasculaires
Elles étaient dominées par les crises hypertensives. Elles sont listées sur le tableau V.
Les urgences neurologiques
Les AVC en étaient les plus fréquentes. Elles sont représentées sur le tableau VI.
Les urgences métaboliques
Elles se répartissaient en 58 cas (63%) d’acidocétoses diabétiques, de 21cas (22.9%) de décompensations hypoglycémiques et 13cas (14.1%) d’hypoglycémies.
Evolution Après leur passage au SAU, 82,1 % des patients étaient retournés à domicile le même jour avec une prescription d’ordonnance. Soixante-neuf cas de décès (2.2%) sont survenus au SAU pendant notre période d’étude. Les différentes modalités évolutives sont indiquées dans le tableau VII.
Discussion
Le nombre élevé de patients (8317) vus en 2008 au SAU de l’hôpital de Pikine, témoigne de la forte fréquentation du premier SAU de la banlieue dakaroise. Cette fréquence est essentiellement liée au fait que l’agglomération dakaroise, qui représente 0,3 % du territoire national, concentre 25 % de la population sénégalaise. Les unités d’urgences à Dakar sont de plus en plus surchargées et les hôpitaux deviennent insuffisants. Malgré la disposition de la pyramide sanitaire, qui est telle que les besoinsen soins non programmés sont en partie couverts par le système de santé communautaire, dont l’efficacité est démontrée [2].
Au Cameroun, une étude prospective réalisée en 2001[3] montrait que les urgences médicales représentaient 36,2% des patients reçus contre 63,8 % de cas de pathologies chirurgicales, avec en particulier les traumatismes (37,6 %).
La répartition des types d’urgences dans un SAU est également fonction de la structuration du système de santé d’une région, des disponibilités et de l’orientation des autres centres qui y sont implantés [4].
Dans notre population d’étude la moyenne d’âge était de 32± 20,7 ans. La population sénégalaise se caractérise par sa grande jeunesse, en effet 56% % des sénégalais ont moins de 20 ans [1]. Les deux sexes étaient équitablement représentés dans notre échantillon. En 2001, une étude réalisée aux urgences médico-chirurgicales de l’hôpital Aristide Le Dantec de Dakar avait retrouvé une moyenne d’âge de 23± 7 ans. Dans cette étude la prédominance masculine était nette avec un sex-ratio à 3,4. Elle était en partie liée à la prévalence de la traumatologie en urgence [1].
Le troisième trimestre a enregistré plus de consultations (28,4 %). Cela est sans doute corrélé au fait que la période hivernale voit augmenter le nombre de cas de paludisme dans la banlieue par la prolifération des gites larvaires. Les pathologies infectieuses et parasitaires occupaient le devant des tableaux cliniques au niveau du SAU de Pikine. Cela peut s’expliquer par l’absence d’assainissement, ainsi que le bas niveau socio-économique des populations de la banlieue. Au Congo, sur une étude réalisée à Pointe Noire, les urgences neurologiques (52%), représentaient la première cause de détresse aux urgences ; le paludisme grave en était l’étiologie dans 83 % des cas [5].
Les urgences hépato-digestives (13%) étaient dominées par les gastrites et ulcères gastroduodénaux qui en représentaient quasiment les 60%. Cette importante prévalence est sans doute liée à la fréquence de l’infection à Hélicobacter pylori. Plus de 80% de la population sénégalaise est infestée, avec une tendance à la hausse en milieu socio-économique défavorisé [6].
A côté des poussées d’hypertension artérielle, les insuffisances cardiaques étaient les urgences cardio-vasculaires les plus représentées (37,05%) suivies des syndromes coronariens (4,46%). L’indisponibilité du dosage de la troponine en urgence pour confirmer le diagnostic de certaines ischémies myocardiques, en l’absence de signes électrocardiographiques spécifiques pouvait expliquer cette faible prévalence. Le diagnostic des syndromes coronaires aigus dans les conditions d’exercice en Afrique sub-saharienne est difficile à poser, car reposant le plus souvent sur la clinique et l’électrocardiogramme. La biologie spécifique, et les autres moyens d’investigations radiologiques les plus fiables sont souvent inexistants [7].
Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) représentaient plus du tiers des urgences neurologiques (43,3%). L’absence de scanner à l’hôpital de Pikine est un handicap pour le diagnostic de certitude des AVC. Seuls 62 cas d’AVC ont été confirmés. Les patients qui en bénéficiaient, étaient transférés par ambulance vers des services de radiologie des CHU de Dakar ou le plus souvent dans des cabinets privés disposant d’un scanner. Ce qui rallongeait considérablement le délai de prise en charge, grevant ainsi le pronostic des malades [8].
La majeure partie des patients (82,1%) retournait chez elle après la consultation. Ce qui témoigne que le SAU ressemblait à un service de consultation de médecine générale, où la plupart des patients venait d’elle même. Ce qui se rapproche du taux de 80% retrouvé à l’hôpital Principal de Dakar (HPD) en 2007-2008 [2].Le phénomène des consultations « non urgentes » au sein des SAU constitue la base de plusieurs problèmes dans nos services d’urgences actuels. Ce qui engendre un manque de place pour certaines « vraies urgences » qui font le tour des hôpitaux de Dakar pour être prises en charge. Il s’y ajoute le surplus de travail pour le personnel soignant, source de pression qui se répercute sur leur efficacité, ainsi que la justesse de leur jugement ; causant à la longue une insatisfaction générale. En occident, c’est une problématique tout aussi présente [9,10].
Gentile S. et al rapportaient que « la surpopulation des services d’urgence est en partie due à l’utilisation des services d’urgence par les patients non urgents… » [11]. Les principales raisons à l’utilisation des urgences, décrites par Gentille étaient la difficulté à obtenir un rendez-vous avec un médecin généraliste, les sensations de la douleur, la disponibilité des services médicaux en urgence 24 heures/24heures ; ainsi que les examens d’imagerie et les tests de laboratoire. Le renvoi de tels patients vers des structures de soins ambulatoires pourrait être une solution.
La mortalité dans notre service d’urgence de banlieue (2,2%), était plus élevée que celle notée en 2008 à l’HPD (0,7%) [2]. Les 50% des décès de notre étude l’ont été pour paludisme grave. Ceci pourrait être dû à un retard de consultation des patients. Il s’y ajoute l’état d’indigence des patients qui les poussait à attendre le dernier stade pour être amenés par la famille. Les cas d’insuffisances cardiaques (10% de décès) reçus pour une décompensation à des stades avancés de leurs cardiopathies posaient surtout des problèmes de prise en charge ; alors que la réanimation était surtout occupée par les malades en post-opératoires.
Soulignons durant cette étude aussi la part non négligeable de patients référés (4,2%) dans d’autres structures pour une meilleure prise en charge. Cela s’explique par l’inadéquation entre les besoins des patients et les moyens de diagnostic et de traitement dont disposait l’hôpital de Pikine.
Conclusion
Les urgences médicales restent une réalité quotidienne, véritable préoccupation à laquelle tout personnel médical est confronté. Les pathologies rencontrées en urgence au SAU de l’hôpital de Pikine sont très variées et les maladies infectieuses occupent la première place. C’est pourquoi la connaissance des principaux groupes étiologiques constitue la clé de voûte pour leur prévention dans certains cas.
Références
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- Séne Diouf F, Mapoure N Y, NdiayeM, Mbatchou NgahaneH B, Touré K, Thiam AB et al. Survie des accidents vasculaires cérébraux à Dakar. Rev Neurol 2008 ; 164:452-8.
- Sentilhes-Monkam A. Les services d’accueil des urgences ont-ils un avenir en Afrique de l’Ouest ? Exemple à l’hôpital principal de Dakar Santé Publique 2011 ; 1 (23) : 7-17.
- Hugli O W, Potin M, Schreyer N, Yersin B. Engorgement des centres d’urgences : une raison légitime de refuser l’accès aux patients non urgents ? Revmedch 2006 n˚ 75
- HaddyR I, Schmaler M E, Epting RJ. Non-emergency room use in patients with and without primary care physicians. J Fam Pract 1987 ; 24 : 389-92.
- Gentile S, Durand A C, Vignally P, Sambuc R, Gerbeaux P. Les patients « non urgents » se présentant dans les services d’urgence sont-ils favorables à une réorientation vers une structure de soins alternative ? Rev Epidemiol Sante Publique 2009 ; 57 : 3-9.