Introduction
La cataracte est la première cause de cécité dans le Tiers monde. Elle est responsable de près de 40% des 37 millions de malvoyants dans le monde. C’est une cécité réversible et 97% des opérés récupèrent une acuité visuelle supérieure à 3/10, en l’absence de lésion du segment postérieur. Il s’agit donc d’un problème de santé publique majeur dans ces pays. Le traitement est connu et son application n’est limitée que par les problèmes de coût, d’approvisionnement en consommables et de ressources humaines [1].
Plusieurs techniques d’anesthésie locorégionale permettent de pratiquer la chirurgie de la cataracte dont l’anesthésie péribulbaire réactualisée par Davis et Mandel en 1986 [2]. Cette technique procurerait une excellente analgésie et une akinésie des globes oculaires. Dans notre milieu elle est généralement pratiquée par le médecin ophtalmologiste, contrairement aux pays occidentaux où elle est du ressort du médecin anesthésiste [3,4]. Le but de notre étude était d’apprécier la faisabilité et la sécurité de l’anesthésie péribulbaire réalisée par un médecin anesthésiste au cours de la chirurgie de la cataracte dans le service d’ophtalmologie du CHU de Treichville.
Patients et méthode
Il s’agit d’une étude prospective descriptive portant sur les patients admis pour une chirurgie de la cataracte au bloc opératoire du service d’ophtalmologie du CHU de Treichville durant la période de Novembre 2008 à Avril 2009. Ont été inclus tous les patients devant être opérés sous anesthésie péribulbaire après consultation de l’ophtalmologiste et du médecin anesthésiste. Les patients pour lesquels une anesthésie générale ou rétrobulbaire était nécessaire n’ont pas été retenus pour l’étude. Tous les patients ont été opérés par le même chirurgien. La technique chirurgicale a été l’extraction extracapsulaire manuelle avec implantation en chambre postérieure sous anesthésie locale péribulbaire. L’anesthésie était réalisée par le même médecin anesthésiste. Elle a consisté en deux injections percutanées, une inférolatérale et une superonasale d’une solution anesthésiqueavec une aiguille de 23 gauges et 30 mm de longueur ou d’une aiguille de 25 gauges et 32 mm de longueur. L’acte était associé ou non à une sédation au propofol. La solution anesthésique se composait d’un mélange de bupivacaine 0,5 %) et de chlorhydrate de lidocaïne à 2 % sans conservateur) à une proportion de 50 % chacune au volume de 8 ml. La sédation était pratiquée pour faciliter la ponction et minimiser son désagrément pour le patient. La dose moyenne de Propofol administrée était de 0,5 mg/Kg. La ponction était suivie d’une compression extrinsèque du globe à l’aide « d’un poids » de 200 grammes pendant une période de 10 à 20 minutes pour permettre une diffusion harmonieuse du produit anesthésique.
Les données épidémiologiques et les antécédents des patients ainsi que l’analgésie post injection et per opératoire évaluée par l’échelle verbale simple (EVS) ont été notées sur une fiche d’enquête anonyme. Sur cette échelle, la douleur est évaluée selon son intensité de 0 à 4 ; les scores élevés traduisent une douleur de plus en plus intense. La satisfaction du chirurgien et des patients ainsi que les complications liées à l’anesthésie péribulbaire ont été aussi mentionnées. La satisfaction était cotée de 1 à 10 selon le niveau de confort, d’analgésie et d’akinésie peropératoire et était satisfaisante pour une note supérieure à 7. L’analyse statistique était faite avec le logiciel EPI Info 2000. Les moyennes ont été comparées par un test t de Student.
Résultats
La population d’étude était composée de 31 femmes (51,7 %) et de 29 hommes. L’âge moyen était 69 ans avec (extrêmes 27 et 81 ans). Trente-trois patients soit 55,1 % avaient plus de 65 ans. Les patients qui n’avaient pas d’antécédents médicaux représentaient 38,3% de l’effectif. Vingt-quatre patients (40 %) étaient hypertendus. L’association hypertension artérielle (HTA) et diabète a été retrouvée chez 15 % des patients. Trente-sept patients (61,7 %) étaient de classe ASA II et 23 patients de classe ASA I. La moitié des patients à bénéficié d’une sédation au propofol avant l’injection des produits anesthésiques. L’akinésie était totale chez 81,6 % des patients, subtotale chez 6,7 % et partielle chez 11,7 % d’entre eux. Le délai moyen d’obtention de cette akinésie était de 11 minutes (extrêmes 6 et 25 minutes). L’évaluation de la douleur juste après l’injection par l’EVS a noté un score moyen de 2 ± 0,87 qui correspondait à une douleur modérée. Cinq patients (8,3 %) ont présenté une douleur intense de score 4. Il n’y avait pas de différence significative concernant cette douleur entre les patients ayant reçu une sédation et ceux qui n’en avaient pas reçu (p = 0,55). Six patients ont présenté une complication dont 5 cas de chémosis (8,3 %) et un cas de bradycardie (1,7 %) juste après l’injection des drogues anesthésiques, traitéparl’administration d’atropine
Un cas de complication chirurgicale peropératoire à type d’issue du vitré a été noté.Cinquante-neuf patients soit 98,3 % n’ont présenté aucune complication peropératoire. Tous les patients étaient satisfaits à la fin de l’intervention. Le chirurgien était satisfait pour 88.3 % des patients opérés et non satisfait de l’akinésie pour 11.7 % d’entre eux. Le temps opératoire moyen était de 27±3 minutes (extrêmes de 22 et 33 minutes). Deux patients ont présenté des douleurs postopératoires de score 2 chacun à des délais postopératoires respectifs de 30 minutes et 2 heures
Discussions
L’anesthésie péribulbaire réalisée par un médecin anesthésiste pour la chirurgie de la cataracte est sure et sans danger pour nos patients. Ce constat explique le fait que cette technique soit largement réalisée dans les pays occidentaux par les médecins anesthésistes et non par le chirurgien ophtalmologue [4,5]. Elle est généralement associée à une sédation afin d’améliorer le confort du patient et de réduire l’anxiété selon Clausel et al [6]. Dans notre étude, la sédation était surtout pratiquée chez les patients très anxieux, et qui présentaient une pression artérielle élevée le matin de l’intervention. Le propofol a été préféré, comme dans la majorité des travaux, en raison de sa cinétique (délai d’action courte et brève durée d’action) et de l’absence d’effet secondaire à type d’hypoventilation, d’hypoxie, et d’hypotension artérielle à faible dose. Aucun patient n’a présenté ni mouvements anormaux ni agitation après administration du propofol à faible dose comme rapporté dans la littérature [3].
Nous avions opté pour la technique à deux injections, l’une inféro-latérale et l’autre en supéro- nasale. Cette technique reste celle du consensus. Elle permettrait une grande diffusion des drogues anesthésiques à l’ensemble de l’orbite [7]. Elle fait place de plus en plus à d’autres variantes dont l’injection unique. Le site préférentiel de cette injection unique est soit inféro-latéral soit dans le canthus médial [8,9]. Le volume d’anesthésique local nécessaire n’est pas parfaitement déterminé. La plupart des auteurs recommande un petit volume afin de limiter la toxicité musculaire de l’anesthésique locale et l’augmentation de la pression intraoculaire dont la stabilité est importante chez les personnes atteintes d’hypertension artérielle [5, 8,10]. Ce petit volume permet également d’obtenir une anesthésie suffisante et satisfaisante selon l’équipe chirurgicale. En effet, dans notre étude une akinésie
Totale était obtenue chez 81,6 % des patients avec un volume de 8 ml après un délai de 11 minutes. Clausel et al [6] obtenaient une Akinésie de 94 % dans un délai de 10 minutes avec un volume d’injection de 5,4±0,9 ml. Hendrick et al[8] avec un volume fixe de 6,65 ml obtenaient une akinésie à 74,1% semblable à notre étude. Les différences observées pourraient provenir essentiellement des produits anesthésiques utilisés. Les anesthésiques locaux de type amide (lidocaïne, prilocaïne, mépivacaïne, bupivacaïne et ropivacaïne) sont régulièrement utilisés seuls ou en association. Le mélange bupivacaïne 0,5%/lidocaïne 2% très utilisé dans notre établissement est progressivement remplacé ailleurs par l’association mépivacaïne 2% / ropivacaïne 0,75% ou mépivacaïne 2% / levobupivacaïne 0,5%. Ces associations d’agents anesthésiques de cinétique différente permettent d’accélérer l’installation de l’anesthésie et d’avoir une durée d’action prolongée. Elles assurent une anesthésie d’une durée moyenne de 90 minutes et une analgésie postopératoire d’environ 4 heures [3,7].
Aucune complication liée à la ponction ou à l’utilisation des anesthésiques locaux n’a été constatée au cours de cette étude. Une revue de la littérature permet de noter la survenue possible de fistule artério-veineuse, d’une issue du vitré et surtout d’une anesthésie du tronc cérébral. Cette dernière complication, quoique rare, justifie à elle seule la nécessité de l’implication des anesthésistes réanimateurs dans la réalisation de l’anesthésie locorégionale en ophtalmologie. En outre, l’intervention des anesthésistes permettrait de réduire considérablement les délais entre les interventions et donc de pouvoir prendre en charge un nombre plus important de patients qui attendent depuis des années. Cependant ceux-ci devraient au préalable bénéficier d’une solide formation et disposer du matériel nécessaire à la prise en charge des complications. [10,11].
La douleur induite par la ponction était négligeable au cours de cette étude. Comme Smith et al. [12], nous notons aussi l’absence d’influence de la sédation sur cette douleur per opératoire qui est celle généralement retenue par le patient. L’impact de cette douleur semble également contrebalancé par la qualité de l’analgésie postopératoire, ce qui contribue à la satisfaction des patients.
Conclusion
L’anesthésie péribulbaire réalisée par l’anesthésiste au CHU de Treichville offre une akinésie et une anesthésie satisfaisante pour la chirurgie de la cataracte, sans complication majeure. Elle n’entraîne pas de douleur insupportable qu’elle soit précédée ou non d’une sédation au propofol.
Elle permet la prise en charge d’un plus grand nombre de patients et une gestion plus correcte d’éventuelle complication grave.
Reférences
1. Rotchford AP, Rotchford KM, Mthethwa LP, Johnson GJ. Reasons for poor cataract surgery uptake : a qualitative study in rural South Africa. Trop Med Int Health, 2002 ; 7 : 288-92.
2. Davis DB, Mandel MR. Peribulbar anesthesia. A review of technique and complications Ophthalmo Clin North Am 1990 ; 3 : 101-10.
3. Haberer J.P Anesthésie en ophtalmologie In Gautier-Lafaye, Muller A, Gaertner E : Anesthésie locorégionale et traitement de la douleur, Masson, Paris, 2009 ; p122-42.
4. Gemma M, Gioia L, Dedola E, Basta B, Bianchi I, Fasce F, Beretta L.. Anesthesiologist intervention during cataract surgery under topical or peribulbar anesthesia : a propensity model comparison. Eur J Ophthalmol. 2010 ; 20 : 687-93.
5. Chandradeva K, Nangalia V, Hugkulstone CE.Role of the anaesthetist during cataract surgery under local anaesthesia in the UK : a national survey. Br J Anaesth. 2010 ; 104 : 577-81.
6. Clausel H, Touffe L, Havaux M, Lamard M, Savean J, Cochener B, Arvieux AC, Gueret G. Anesthésie
péribulbaire : efficacité d’une seule injection et d’un volume d’anesthésiques locaux limité. J.fr ophtalmol. 2008 ; 31 : 781-785.
7. Ripart J, Nouvellon E, Ben Babaali M.Anesthésie en ophtalmologie Conférences d’actualisation Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS, et SFAR. 2002, p. 323-43.
8. Hendrick SW, Roseenberg MK, Lebenbom-Mansour MH. Efficacy and safety of single injection peribulbar block performed by anesthesiologists prior to cataract surgery. J Clin Anesth, 1997 ; 9 : 285-8.
9. Ripart J, Metge L, Frat-Pradal D, et al. Medial canthus single injection episcleral (Sub-Tenon) anesthesia computer topography imaging. Anesth Anal 1998
10. To EW, Chan DT. Arteriovenous fistula induced by a peribulbar nerve block. J Cataract Refract Surg, 2000 ; 26 : 1235-8.
11. Boret H, Petit D, Ledantec P, Benefice S. Anesthésie du tronc cérébral après anesthésie péribulbaire. Ann fr anesth reanim. 2002 ; 21 : 725-27.
12. Smith R. Cataract extraction without retrobulbar injection. Br J Ophtalmol, 1990 ; 205 : 107.