Introduction
Malgré la maîtrise des facteurs de risque, la fréquence de la grossesse extra-utérine (GEU) ne fléchit pas [1, 2]. Dans bon nombre de pays africains l’échographie demeure le seul outil diagnostic à la disposition du praticien, les B-HCG n’étant pas toujours faciles à obtenir (coût élevé, difficulté de laboratoire) et les dosages urinaires par bandelette peu sensibles [3-5].
Dans ces conditions, l’interprétation des résultats échographiques peut avoir pour conséquence :
soit une attitude attentiste aboutissant à l’aggravation du tableau, soit une attitude hâtive aboutissant à des interventions quelquefois abusives [5].Devant les difficultés d’obtention des B-HCG en urgence et la prolifération des échographies en privé réalisées par un personnel nonqualifié, nous nous sommes proposé cette étude avec pour objectif de déterminer le profil échographique de la GEU opérée à la maternité de l’hôpital de base de Talangaï et son impact sur le délai de la laparotomie
Matériel et méthode
Il s’agissait d’une étude rétrospective réalisée du 01 octobre 2005 au 30 septembre 2007 soit 24 mois à la maternité de l’hôpital de base de Talangaï. Le matériel d’étude était constitué des dossiers médicaux, des registres d’hospitalisation et du bloc opératoire. Seules les femmes chez qui une GEU a été confirmée en per opératoire et disposant d’une échographie ont été incluses dans cette étude.
Résultats
Fréquence
Au cours de la période d’étude, il y a eu 80 GEU confirmées à la laparotomie dans le service et 14. 249 naissances vivantes soit une fréquence de 5,6 GEU pour 1000 naissances vivantes ou 1 GEU pour 178 accouchements soit 0,5%. Seuls 65 cas de GEU soit 81,2% ont fait l’objet de cette étude. Les 15 cas (18,8%) exclus avaient été opérés en urgence sans échographie.
Age
L’âge des patientes chez qui une GEU a été retrouvée était inférieur à 20 ans dans 15 cas (23,1%), dans la tranche d’âge de 20 à 29 ans dans 35 cas (53,8%), de 30 à 39 ans dans 10 cas (15,4%), et de 40 ans et plus dans 5 cas (7,7%). L’âge moyen était de 27 ans avec des extrêmes de 14 ans et 43 ans.
Profil échographique
Indications de l’échographie des patientes chez qui une GEU a été retrouvée.
L’échographie a été indiquée pour algies pelviennes dans 30 cas (46,2%), métrorragie du 1er trimestre dans 14 cas (21,5%), suspicion de GEU dans 9 cas (13,8%), diagnostic de grossesse pour aménorrhée dans 6 cas (9,2%) et pour une masse annexielle dans 6 cas (9,2%).
Résultats échographiques des patientes chez qui une GEU a été retrouvée.
L’échographie avait conclu à : un sac gestationnel extra utérin avec embryon dans 11 cas (16,9%), une masse latéro-utérine suspecte de GEU dans 26 cas (40%). Dans 28 cas, il y a eu égarement diagnostique. En effet, l’échographie avait conclu à une pathologie annexielle (kyste ovarien, abcès tubo-ovarien, syndrome de Démons Meigs) dans 23 cas (35,4%), une grossesse intra-utérine dans 2 cas (3,1%), une échographie normale dans 3 cas (4,6%). Et un épanchement abdominal a été noté dans 35 cas soit 53,8%.
Pratique échographique
L’échographie a été réalisée aussi bien à l’hôpital public qu’en secteur privé. Parmi les 28 cas d’égarement diagnostique, l’échographie a été faite par un spécialiste dans 4 cas (14,3%), un opérateur expérimenté dans 9 cas (32,1%) et par un opérateur inexpérimenté dans 15 cas (53,6%).
Impact sur le délai de la laparotomie
Lorsque le diagnostic était évident, la laparotomie a été pratiquée dans un délai allant de 30 mn à 1heureavec une culdocentèsepositive, ce délai était de 30min à 1jour lorsque la culdocentèse était négative. Le retard était dû aux difficultés financières (achats des médicaments par les parents) et aux formalités administratives pour l’obtention d’un kit gratuit à l’hôpital.
Dans les 28 cas d’égarement diagnostique, le délai de réalisation de la laparotomie a été de 30min à 5 jours. La décision d’une laparotomie exploratrice a été prise devant : la présence d’un hémopéritoine à la culdocentèse dans 7 cas (25%), les pramètres cliniques (notion d’aménorrhée, algies pelviennes aiguës, masse annexielle sensible au toucher) dans 6 cas (21,4%), la reprise de l’échographie couplée aux B-HCG plasmatiques obtenu en 24 à 48 heures dans 15 cas (53,6%).
Aucun décès maternel n’a été enregistré.
Aspects opératoires.
Hémopéritoine
L’hémopéritoine a été retrouvé à la laparotomie dans 53 cas (81,5%).
Siège anatomique
Le siège de la GEU était tubaire dans 63 cas (96,9%) reparti de la manière suivante : ampullaire 38 cas (58,4%), isthmique 11 cas (16,9%), interstitiel 12 cas (18,5%), infundibulaire 2 cas (3,1%). Le siège de la GEU était ovarien dans 2 cas (3,1%).
Forme anatomique
Les différentes formes anatomiques sont résumées au tableau I
Traitement
Le traitement s’est fait exclusivement par la laparotomie. Il s’agissait d’un traitement radical dans 62 cas (95,4%) : salpingectomie 58 cas (89,2 %) et annexectomie 6 cas (6,2%).
Le traitement conservateur n’a concerné que 3 cas (4, 6%).
III Discussion
La fréquence de la GEU est en général élevée [1, 2, 5]. Le faible taux de notre série est lié sans doute à la prise en charge des urgences gynécologiques dans le service de chirurgie générale comme l’ont constaté Picaud et coll. à Libreville [6].Il faut noter également que par insuffisance du plateau technique, certaines urgences étaient transférées au CHU de Brazzaville où Buambo et coll. ont noté une fréquence de 19,9% [7].
La tranche d’âge de 20-20 ans a été la plus touchée comme dans la plupart des séries Africaines [7, 8, 11]. Les patientes de moins de 20ans dont la plus jeune avait 14 ans ont représenté 23,1% des cas. La diminution de l’âge de la première grossesse liée à la pauvreté, à la libéralisation des pratiques sexuelles, et à l’inexistence de mesures de contraception efficaces explique ce fait [9].
Très peu d’échographies (9,2%) ont été demandées pour diagnostic de grossesse à cause du retard à la consultation et également du fait que l’échographie du premier trimestre pour la détermination du siège ne fait pas partie des habitudes des praticiens. Aussi, n’est-il pas rare de voir une femme hospitalisée pour vomissements gravidiques, sortir d’un hôpital et y revenir quelques jours plus tard dans un tableau d’hémopéritoine. Meye et coll. [2] à Libreville ont trouvé eux, seulement 6 cas de diagnostic fortuit de GEU au cours de l’échographie systématique du premier trimestre.
Lorsque le motif a été un signe, il s’est agi de douleurs pelviennes dans 46,2% de cas et de métrorragies dans 21,5% de cas. Cela s’explique par la fréquence de ces signes en cas de GEU ou simplement dans la pathologie de la femme [2, 5, 10, 11, 12].
Le diagnostic échographique a été évident dans 16,9% de cas en objectivant un sac gestationnel extra-utérin avec embryon. Ce taux est voisin de celui de Tidiane Cisse et coll. à Dakar [5], alors qu’il est nettement inférieur à celui de Bamouni et coll. à Bobo-Dioulasso [11] qui trouvent la présence d’un embryon extra-utérin à l’échographie dans 47,6% des cas et supérieure à celui de Chechia et coll. Qui ont trouvé 9,17% [13]. Cette disparité peut être mise sur le compte de la méthodologie, de la qualité de l’appareillage ou encore sur le fait que le résultat échographique est opérateur-dépendant [14].
Dans 35,4% de cas, l’échographie a conclu à une pathologie annexielle autre qu’une GEU. Le taux d’images non spécifiques pouvant conduire à l’égarement diagnostique diverge dans la littérature. Dans notre série, cet égarement a été responsable d’un retard à l’acte chirurgical allant de 30mn à 5jours. Si aucun décès n’est déploré, on ne saura Cependant mesurer l’impact de ce retard sur le pronostic des maternités futures.
Plus l’échographie a été faite par un personnel qualifié, moins il y a eu d’erreur diagnostique. L’importance de confier la pratique de l’échographie aux spécialistes est soulignée par tous.
Même si nous n’ayons constaté aucune différence entre l’échographie sus pubienne et trans-vaginal ; la supériorité de cette dernière ne fait l’ombre d’aucun doute.
L’importance de l’hémopéritoine est retrouvée dans toutes les séries Africaines liée au retard de diagnostic. Les cas d’hémopéritoine qui n’ont pas été mis en évidence par l’échographie l’ont été certainement à cause de la faible quantité du sang et/ ou de l’inexpérience des praticiens.
La GEU a été tubaire dans 96,9% de cas. Ce qui corrobore les résultats de la littérature internationale. Il s’est agi d’une GEU ampullaire dans la majorité des cas. Cependant, contrairement à presque toutes les séries, la GEU interstitielle occupe la deuxième place dans notre étude. Nous n’avons pas trouvé d’explication à ce phénomène.
La forme la plus retrouvée a été la rupture tubaire cataclysmique. Le retard au diagnostic est à l’origine de ce phénomène comme il explique également l’importance du traitement radical dans toutes les séries africaines.
Le nombre élevé des formes rompues de la GEU exige dans notre contexte que leurssignes cliniques soient maitrisés. Dans ces cas, la culdocentèse prend toute son importance pour un diagnostic rapide sans échographie.
Conclusion
L’échographie influe sur le délai d’intervention en cas de GEU. Dans nos conditions où ceux qui en sont responsables ne sont pas toujours ceux qui sont formés et qui ont l’expérience.La plus grande prudence doit être recommandée devant tout résultat échographique en faveur d’une pathologie annexielle chez une femme en période d’activité génitale. La surveillance clinique, biologique et la reprise de l’échographie dans les 48heures sont d’un apport capital pour aller vite à l’intervention en vued’éviter les formes compliquées et par conséquent le traitement radical.
Références
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