Introduction
La prise en charge des patients infectés par le VIH relève à l’heure actuelle, d’un suivi au long cours émaillé d’épisodes ou de complications aigues [1]
La précarité de l’hygiène et de l’environnement potentialise le risque de survenue des complications dont certaines apparaissent comme de véritables urgences médicales pouvant compromettre le pronostic vital immédiat des patients, en l’absence d’une prise en charge rapide et efficace [1,2] .Dans les pays développés, ces événements sont maintenant contrôlés grâce au suivi médical, à l’organisation du système des urgences et aux thérapeutiques antirétrovirales [3,4] ; à l’opposé, dans les pays à ressources limitées où les possibilités de prise en charge sont encore réduites, les pathologies liées au VIH occupent une place importante parmi les urgences médicales [5,6]. Une consultation en urgence peut être en rapport avec une symptomatologie liée au virus lui-même, plus fréquemment avec une infection opportuniste secondaire à l’immunosuppression acquise ou enfin être indirectement liée à l’infection par le VIH. Elle peut être également liée à un effet secondaire du traitement anti rétroviral(TARV) ou des traitements spécifiques des infections opportunistes (à visée curative ou prophylactique) [7].
Dans ce qui suit, nous n’aborderons pas les urgences liées au traitement anti rétroviral, les urgences cardiologiques, les urgences psychiatriques et celles liées au syndrome de reconstitution immunitaire.
Urgences respiratoires
Les atteintes respiratoires concernent 60 à 80% des patients. Le tableau clinique est celui d’une atteinte pulmonaire aigue, hypoxémiante. On distingue deux cadres cliniques principaux : la pneumocystose pulmonaire et les pneumopathies bactériennes, que celles-ci soient d’origine communautaires ou tuberculeuses.
Pneumonie à pneumocystis carinii (PPC) :
C’est la plus fréquente des infections opportunistes. Elle constitue, dans 40 à 60% des cas, la manifestation inaugurale du SIDA. Elle survient près de deux fois plus souvent chez des personnes ne connaissant pas leur statut sérologique et ayant un déficit immunitaire déjà marqué (CD4 <200/mm : !). Parfois, la fièvre est le seul symptôme et il faut savoir évoquer le diagnostic chez un patient très immunodéprimé paucisymptomatique
Diagnostic clinique et paraclinique :
Le diagnostic doit de principe être évoqué devant un tableau de pneumopathie trainante ne répondant pas à une antibiothérapie à large spectre.
La symptomatologie clinique principale est une pneumopathie bilatérale. Son début est progressif avec fébricule, toux sèche et dyspnée dont l’intensité s’accroit de façon constante. L’auscultation retrouve des crépitants aux deux champs.
L’expression radiologique est très polymorphe : typiquement, on retrouve des opacités alvéolo-interstitielles bilatérales (Fig. 1), mais une radiographie de thorax normale n’élimine pas le diagnostic, surtout à un stade précoce. Plus rarement, sont mis en évidence des pseudos kystes ou un pneumothorax (un pneumothorax chez un patient VIH doit faire évoquer le diagnostic).
La fibroscopie bronchique avec lavage bronchoalvéolaire (LBA) et mise en évidence du germe après coloration est indispensable pour confirmer le diagnostic.
Traitement :
Le traitement par cotrimoxazole doit être débuté rapidement, par voie orale (deux comprimés trois fois de cotrimoxazole Forte) ou parentérale s’il existe des signes de gravité (trois ampoules toutes les 6 heures pendant 21 jours). On y adjoint une corticothérapie (1 mg/kg/j de prednisone sur 5 jours, puis 0,5 mg/kg sur 5 jours, puis 0,25 mg/kg sur 11 jours) en cas d’hypoxie inférieure à 70 mmHg (75 mmhg pour certains auteurs). Vers le dixième jour le risque d’une allergie qui se traduit par une reprise fébrile. Dans les formes sévères, l’alternative au cotrimoxazole est la pentamidine par voie intraveineuse à la dose de 2 à 3 mg/kg. À l’issue du traitement d’attaque, une prophylaxie secondaire par un comprimé de Bactrim" adulte est indispensable pour éviter une récidive jusqu’à remonter le tauxde CD4 au-dessus de 200/mm3. La prophylaxie primaire (même posologie) chez tout patient découvert infecté par le VIH avec des CD4 au-dessous de ce seuil a une excellente efficacité pour éviter cette infection opportuniste.
Pneumopathies ou pleuropneumopathies bactériennes [5,8]
Tuberculose
La tuberculose est une infection très fréquente au cours du SIDA (de 15 à 20% des cas), particulièrement lorsque s’associent immunodépression et contexte socioéconomique défavorisé. Cette pathologie est devenue une des infections opportunistes les plus fréquentes, même chez les patients bien contrôlés par le traitement antirétroviral. Tout comme les pneumopathies bactériennes, elle survient indépendamment du taux de CD4 et présente comme particularité une fréquence accrue des atteintes extra pulmonaires associées. La clinique est influencée par le stade d’immunodépression :
Diagnostic clinique et paraclinique
Si les manifestations de la tuberculose sont plus volontiers subaigües, son mode de présentation initial peut être celui d’une pneumopathie aigue de type miliaire ou celui d’infiltrats massifs bilatéraux parfois responsable d’hypoxémie.
La radiographie permet d’évoquer le diagnostic de tuberculose pulmonaire chez le sujet VIH+ par la présence de certaines lésions comme :
le syndrome alvéolo-interstitiel bilatéral et asymétriques, les lésions cavitaires,les adénopathies médiastinales à centre nécrotique.
Mais, chez le sujet VIH+ dans 14 à 40 % la radiographie pulmonaire est normale.
Le diagnostic repose sur la mise en évidence de bacille acido-alcoolo-résistants à l’examen direct des crachats, de l’aspiration bronchique ou Lavement bronchio-alvéolaires (LBA) et leur identification après culture
Traitement
Ce traitement est institué en règle une fois les prélèvements bactériologiques réalisés, ce qui prend au minimum 3 à 4 jours. Il ne se discute que très rarement en urgence, sauf en cas de méningite avec signes de gravité (troubles de la conscience notamment) et dans les rares cas s’accompagnant d’une insuffisance respiratoire aiguë.
Le traitement repose sur la quadrithérapie associant Isoniazid 3-5 mg/K/J), Rifampicine (10mg/K/J), Ethambutol (20mg/K/J) et Pyrazinamide (30 mg/kg/j).
Mycobacterioses atypiques
Elles surviennent à un stade avancé d’immunodépression (CD4 inférieur ou égal à 50/mm3). Le plus souvent, il s’agit de Mycobacteriullt avium à l’origine d’atteintes disséminées. La présentation clinique est proche de la tuberculose, le diagnostic différentiel étant pratiquement impossible avant la confirmation bactériologique. Diagnostic et traitement sont affaires de spécialiste et si le traitement présomptif (parfois mixte avec celui de la tuberculose) doit
parfois être débuté rapidement, il ne s’agit pas d’un traitement d’urgence.
Maladie de kaposi [4]
La localisation pulmonaire de la maladie de Kaposi est devenue rare depuis les trithérapies : Elle survient chez des patients très immunodéprimés, ayant souvent (mais pas toujours) une autre localisation cutanée ou muqueuse connue. Un tableau de dyspnée, voire de détresse respiratoire, représente la symptomatologie d’appel dans les formes évoluées. Le cliché thoracique est évocateur lorsqu’il montre des opacités en règle diffuses nodulaires ou Linéaires, volontiers spéculées, péribronchovasculaires, le plus souvent bilatérales.
Compte tenu des difficultés diagnostiques, il n’a pratiquement pas d’indication dans un service d’urgence où l’on peut se limiter, en dehors de la prise en charge symptomatique, à traiter une surinfection bactérienne.
Urgences Neurologiques
Les manifestations neurologiques centrales étaient très fréquentes au cours du SIDA.Puisque 60 à 80% environ des patients présentaient au moins une atteinte du système nerveux au cours de la maladie.
Quatre types principaux de pathologies sont à connaitre aux urgences :
Toxoplasmose cérébrale :
La toxoplasmose survient classiquement chez des patients très immunodéprimés (CD4 inférieurs à 100/mm3), ayant une sérologie toxoplasmose positive sans prophylaxie primaire ou secondaire. L’évolution subaiguë associe un déficit neurologique focal, une fièvre (inconstante) et des signes d’hyperpression intracrânienne (céphalées, vomissements, oedème papillaire). L’imagerie cérébrale est un élément diagnostique majeur ; au scanner, on retrouvera des lésions corticales ou des noyaux gris centraux arrondies, hypodenses avec un rehaussement annulaire à l’injection du produit de contraste (image dite en « cocarde »), le pourtour de la lésion est souvent le siège d’un oedème péri lésionnel provoquant parfois un effet de masse (fg. 2)
En pratique, le diagnostic repose sur la réponse au traitement d’épreuve antitoxoplasmique.
Ce traitement présomptif comprend le pyriméthamine (100 mg à j1 puis 50 mg/j) et la sulfadiazine (4 g/j) associé à l’acide folinique (25 mg/j) peut être instauré en urgence. Son efficacité, évaluée vers le quinzième jour, confirme le diagnostic.
Les doses d’attaque sont maintenues 6 semaines avant le passage en traitement d’entretien (demi-dose). Si besoin, on adjoint des traitements symptomatiques (anticonvulsivants, antalgiques et corticoïdes) afin de réduire l’oedème périlésionnel.
Abcès bactériens :
L’abcès à pyogène entraîne un tableau clinique plus bruyant, mais pouvant être masqué par l’immunodépression.
La tuberculose neuroméningée
se présente soit sous forme de tuberculome (lésion" Immuno-inflammatoire) pauvre en BAAR : il s’agit alors de lésions uniques ou multiples superficielles avec prise de contraste annulaire et peu d’oedème), soit sous forme d’abcès (lésion riche en BAAR, en règle unique, volumineuse, polylobée avec oedème péri lésionnel et rehaussement périphérique). Une méningite lymphocytaire hypoglycorachique est un argument supplémentaire.
En l’absence de contre- indication, une ponction lombaire pour rechercher le bacille de Koch est nécessaire avant de débuter le traitement (quadrithérapie antituberculeuse et corticothérapie).
Leucoencephalopathie multifocale progressive :
Il s’agit d’une infection opportuniste liée au virus JC entraînant une démyélinisation multifocale survenant en règle au-dessous de 100 CD4/mm3• L’installation est progressive, avec déficit sensitivomoteur, atteinte visuelle ou troubles cognitifs sans syndrome tumoral associé.
Le diagnostic repose sur un ensemble de critères clinico-radio-biologiques. Le traitement est celui du VIH (introduction rapide ou adaptation du TARV).
Encéphalite focale à cytomégalovirus :
Nécrosante ou non, elle est de diagnostic difficile (mais heureusement rare) du fait d’un aspect indissociable d’un abcès, notamment toxoplasmique.
Urgences digestives :
OEsophagite à candida
L’oesophagite à Candida est l’infection opportuniste digestive la plus fréquente chez le patient séropositif pour le VIH et survient à un degré d’immunodépression marqué (CD4inférieur à 200/mm3). Elle est révélatrice du VIH dans 10 % des cas.
Le diagnostic nécessite impérativement une endoscopie avec biopsies pour différencier les ulcères viraux de l’ulcère idiopathique (traitement radicalement différent en milieu spécialisé)
Diarrhée aiguë fébrile
Principalement due à des microorganismes pathogènes opportunistes : CMV, salmonelles, cryptospirodium, microsporidium, isospera belli, giardias et mycobacterie. Actuellement la majorité des cas de diarrhée est due aux effets secondaires des traitements, principalement aux inhibiteurs de protéase.
Les examens à prescrire sont des hémocultures et une coproculture avant toute antibiothérapie, avec recherche de toxines A et B de Clostridium difficile (surtout lors d’antibiothérapie préalable). En présence de signes de gravité (déshydratation aiguë, choc hypovolémique, diarrhée très abondante, vomissements associés ...), le patient est hospitalisé et un traitement empirique par fluoroquinolones est introduit avec les mesures symptomatiques réhydratation et rééquilibration hydro électrolytique
[10]. L’isolement entérique est recommandé en cas de salmonellose ou d’infection à C. difficile.
Colite à CMV :
En cas d’immunodépression sévère (CD4inférieurs à 5O/mm3), une colite à CMV est à évoquer. Une rectosigmoïdoscopie doit être réalisée rapidement (ulcérations de la muqueuse évocatrice et biopsies). Le traitement repose sur l’administration intraveineuse de foscarnet (90mg/kg/12heures) ou de ganciclovir (5 mg/kg/12 heures) après confirmation diagnostique [11,12].
Hépatite cytolytique isolée
Outre, les étiologies habituelles incluant l’activation d’une hépatite B (ou C) par une corticothérapie ou la suppression d’un antirétroviral actif sur le virus de l’hépatite B (lamivudine,emtricitabine.), il faut rechercher une cause iatrogène (névirapine, efavirenz ...) surtout dans les 2 à 3 mois suivant l’initiation du traitement. L’incidence des hépatites est plus élevée chez les patients VIH en raison de l’immunodépression et de facteurs de risque de type toxicomanie, alcool, comportements sexuels à risque et polymédication [13].
Urgences ophtalmologiques
Une baisse de l’acuité visuelle doit toujours faire pratiquer un fond d’oeil en urgence chez un patient infecté par le VIH. Les principales atteintes sont rétiniennes et sont liées à une infection à CMV, à VZV et à toxoplasmo gondii. Ces manifestations sont observées chez les patients ayant des lymphocytes CD4< 100/mm3. Un traitement doit être débuté en urgence, le pronostic visuel étant engagé. Deux situations peuvent s’observer au service d’urgence.
OEil rouge et douloureuse avec ou sans baisse de l’acuité visuelle
Il peut s’agir d’une simple conjonctivite, qui ne s’accompagne pas d’une baisse de l’acuité visuelle, et dont les deux principales causes spécifiques chez le patient immunodéprimé sont la maladie de kaposi et le molluscum contagiosum. Il peut également s’agir d’une kératoconjonctivite, dont la principale cause est le zona ophtalmique et qui est plus ou moins associé à une uvéite.
Enfin il peut s’agir d’une uvéite antérieure, soit d’origine médicamenteuse (rifabutine, inhibiteurs de protéases), soit d’origine infectieuse (toxoplasmose, syphilis, candidose).
Baisse de l’acuité visuelle avec oeil blanc et indolore
Justifie la réalisation d’un fond d’oeil en urgence, à la recherche d’une rétinite qui impose de débuter un traitement par ganciclovir (ou foscarnet) par voir intra veineuse en urgence [14,15].
Les autres causes sont : la microangiopathie retinienne et le lymphome oculaire plus rare.
Conclusion
La prise en charge du patient HIV positif aux urgences pose trois ordres de problèmes :
Rattacher toute manifestation à une complication du déficit immunitaire, ne pas y penser devant des symptômes évocateurs (candidose buccale, amaigrissement, diarrhée chronique, zona etc…), enfin l’indication de la réalisation d’une sérologie dans un contexte d’urgence
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