Prise en charge de la prééclampsie sévère dans l’hôpital universitaire de Parakou (Bénin)

Management of severe preeclampsia in the university hospital of Parakou (Benin)

juillet 2012, par Tchaou B A , Salifou K , Hounkponou F M , Hountovo S , Chobli M

Auteur correspondant : Blaise A Tchaou, BP 02 Parakou République du Bénin

Résumé

Objectif : Evaluer la prise en charge de la prééclampsie sévère dans l’hôpital universitaire de Parakou.
Patients et méthodes : Il s’agissait d’une étude transversale, descriptive et analytique avec recueil prospectif des données menée du 1er novembre 2009 au 31 octobre 2010 et qui a porté sur 103 gestantes ayant développé une prééclampsie sévère.
Résultats : La fréquence de la prééclampsie sévère était de 4,7 %. L’âge moyen des patientes était de 26,4 ± 6,7 ans. Les patientes étaient référées dans 66,9 % des cas et la grossesse avait été mal suivie dans 52,4 % des cas. Les manifestations cliniques étaient l’hypertension artérielle sévère qui était notée chez 98,1 % des patientes, les troubles de la conscience (31 %) et les crises convulsives (31 %). L’albuminurie était ≥ deux croix chez 97 % des patientes et l’hyperuricémie était retrouvée chez 36 % des femmes. Le traitement médicamenteux comportait la clonidine (68 %), la nicardipine (25,2 %) et le sulfate de magnésium (57,2 %). Dans 51,4 % des cas, l’accouchement s’est fait par voie basse. La mortalité maternelle était de 6,8 % (n=7) et la mortalité néonatale était de 25,4 % (n=29). Les facteurs de mauvais pronostic maternel étaient le score de coma de Glasgow ≤ 8, la pression artérielle systolique ≥ 160 mmHg et l’hypoglycémie ˂ 0,3 g /l. Les facteurs de mauvais pronostic foetal étaient le nombre de consultations prénatales inférieur à 4 et l’hyperuricémie supérieure à 61,4 mg/l.
Conclusion : La prééclampsie sévère continue d’être un problème de santé au Bénin. L’accent doit être mis sur la qualité des consultations prénatales et la disponibilité permanente des ressources de prise en charge.
Mots clés : prééclampsie sévère, réanimation, albuminurie

Summary

Objective : Evaluate the management of severe preeclampsia in the university hospital of Parakou (Benin).
Methods : This is a cross sectional study with descriptive andanalyticalprospective collection of data, which involved the pregnant who developed severe preeclampsia between 1rst November 2009 and October 31, 2010. This focused on 103 pregnant women who have severe preeclampsia.
Results : The incidence of severe preeclampsia was 4, 72%. The average age of patients was 26.4 ± 6.7 years. Patients were referred in 66, 9% of cases. The poor pregnancy care was noted in 52, 4% of cases. The clinical manifestations were disorders of consciousness (31%) and seizures (31%). The severe hypertension was noted in 98, 1% of patients. Albuminuria was ≥ two crosses in 97% of patients Hyperuricemia was found to 36% of women. Drug treatment consisted of clonidine (68 %) and nicardipine (25, 2 %) and magnesium sulfate (57, 2 %). The maternal death was 6, 8 % (n=7) and the neonatal mortality was 25, 4 % (n=29). The bad prognostic factors were the mother’s Glasgow Score ≤ 8, systolic blood pressure ≥ 160 mmHgand hypoglycemia < 0.3 g / l. The bad prognostic factors were the number of fetal prenatal less than 4 and Hyperuricemia than 61, 4 mg/l.
Conclusion : The severe preeclampsia continues to be a public health problem in Benin. Emphasis should be placed on the quality of antenatal care and the continued availability of resources management.
Keywords : severe preeclampsia, intensive care, albuminuria.

Introduction

Complication relativement fréquente de la grossesse, la prééclampsie sévère est la troisième cause de mortalité maternelle dans le monde [1]. Dans les pays développés l’incidence de la prééclampsie et de l’éclampsie est faible (0,5 à 2 %) et leur pronostic a été amélioré grâce aux progrès de l’obstétrique de la réanimation et de la néonatologie [2].
En Afrique, l’éclampsie touche une grossesse sur 2000 avec 30 % de décès maternel et 20 % de mortalité foetale et néonatale [3].
Pour Atadé et coll [4], l’éclampsie est la deuxième cause de décès maternel au Bénin et sa prise en charge à la maternité de l’hôpital universitaire de Parakou rencontre de nombreuses difficultés. D’où l’intérêt de cette étude dont l’objectif était d’évaluer la prise en charge de la prééclampsie sévère après la mise en oeuvre d’une nouvelle approche thérapeutique.

Patientes et méthodes

Il s’agit d’une étude transversale à visée descriptive et analytique avec recueil prospectif des données qui s’est déroulée sur une période de un an allant du 1er novembre 2009 au 31 octobre 2010. Elle a été réalisée dans l’unité de soins intensifs du service de gynécologie-obstétrique et dans l’unité de réanimation médicale du Service d’Anesthésie-Réanimation et Urgences (SARU) de l’hôpital universitaire de Parakou. La population d’étude était composée des gestantes et accouchées admises dans l’unité de soins intensifs du service de gynécologie-obstétrique pour prééclampsie sévère.
De même que des accouchées admises dans l’unité de réanimation médicale du SARU pour complications médicales de la prééclampsie sévère.
La collecte des données a été réalisée par l’exploitation des fiches de référence, des registres d’accueil des urgences et de la salle d’accouchement, des dossiers médicaux et des comptes-rendus opératoires et d’anesthésie. Nous avons établi une fiche individuelle pour la collecte des données de chaque patiente.
Les variables étudiées étaient : données sociodémographiques (fréquence, âge, profil des parturientes), données cliniques (mode et motif d’admission, suivie de grossesse, signes cliniques (pression artérielle, état de conscience et crises convulsives, oedème), données biologiques (protéinurie, uricémie, test de coagulabilité), données thérapeutiques (traitement antihypertenseurs anticonvulsivants et mode d’accouchement) et données évolutives et pronostiques.
Après le dépouillement, les données recueillies ont été saisies et organisées sous forme de tableaux simples et croisés. Les données ont été analysées à l’aide du logiciel Epi-info version 3.5.1. Les tests statistiques tels que le test de Chi-carré et le test de Fischer ont été utilisés pour déceler d’éventuelle dépendance entre les variables. Les différences étaient considérées comme significatives si p < 0,05.

Résultats

Caractéristiques sociodémographiques

Durant la période d’étude 3659 patientes dont 2182 accouchements (59,6 %) avaient été enregistrés dans le service de gynécologie-obstétrique. Nous avons colligé 103 cas de prééclampsie sévère (4,7 %) dans l’unité de soins intensifs du service de gynécologie-obstétrique parmi lesquels 8 cas soit 7,8 % avait été transférés dans l’unité de réanimation médicale.
L’âge moyen de nos patientes était de 26,4 ± 6,7 ans avec des extrêmes de 15 et 41 ans. Entre 20 ans et 39 ans nous avons dénombré 92 cas sur 103 soit 92 %.
Parmi les 103 cas, nous avons dénombré 32 femmes au foyer (31 %), 28 revendeuses (27 %), 21 artisanes (20 %), 11 élèves et étudiantes (11 %), 7 fonctionnaires (7 %), 4 commerçantes (4 %). La gestité a été précisée pour toutes les patientes. Les primigestes étaient au nombre de 37, soit 36 % des cas, les paucipares 33 % des cas (n=34), les multigestes 18,4 % (n=19) et les grandes multigestes 12,6 % (n=13)
La parité a été mentionnée pour les 103 patientes. Les nullipares sont plus représentées avec 42 cas soit 40,8 %. Le deuxième groupe est constitué par les paucipares 21,4 % (n=22) suivi des primipares 20 cas soit 19,4 % et enfin les multipares et grandes multipares 18,4 % des cas (n=19).

Données cliniques et paracliniques

Dans notre étude, 69 patientes (66,9 %) avaient été référées, 34 patientes (31,1 %) étaient venues d’elles-mêmes. Trente-neuf patientes (37,8 %) avaient reçu un traitement antérieur (antihypertenseur et/ou anticonvulsivant). La répartition des patientes selon le motif d’admission est consignée dans le tableau I.

Tableau I
Répartition des patientes selon le motif d’admission

L’étude des antécédents avait permis de noter que 5 patientes (4,8 %) avaient un antécédent de prééclampsie. L’hypertension artérielle gestationnelle avait était retrouvée chez 3 patientes (2,9 %) et l’éclampsie chez une patiente.Les antécédents personnels médicaux retrouvés étaient l’obésité chez 7 patientes (6,7 %) et l’hypertension artérielle chronique chez 4 patientes (3,9 %).
La grossesse n’a pas été suivie chez 8 patientes (7,8 %). Le suivi irrégulier (1 à 3 consultations prénatales) était noté chez 46 patientes (44,6 %). Le tableau II montre la répartition du nombre de consultations prénatales effectuées par les patientes selon leur catégorie socioprofessionnelle.

Tableau II
Répartition du nombre de consultations prénatales effectuées par les patientes selon leur catégorie socio-professionnelle.

La pression artérielle systolique moyenne était de 182,2 mmhg avec des extrêmes de 140 mmhg et 250 mm hg. La pression artérielle diastolique moyenne était de 117,1 mmhg avec des extrêmes de 100 et 150 mmhg. La répartition des patientes selon la pression artérielle à l’admission est consignée dans le tableau III.

Tableau III
Répartition des patientes selon la pression artérielle à l’admission

Le score de Glasgow moyen à l’admission en réanimation était 13,2 ±1,3 avec des extrêmes de 3 et 15.
Trente-deux patientes (31,1 %) avaient présenté des crises convulsives à l’admission. Dix-huit patientes soit 17,4 % l’avaient présenté durant la période anté-partum, 7 patientes soit 6,8 % durant la période per-partum et 7 patientes soit 6,8 % durant la période post partum. En ce qui concerne la fréquence, les crises convulsives étaient isolées chez 29 patientes (90,7 %). Un état de mal convulsif avait été noté chez 3 patientes (9,7 %).
Les oedèmes étaient localisés aux membres inférieurs chez 64 patientes (62,1%), généralisés chez 10 (9,7%) et absents chez 29 patientes (28,2%).Deux patientes (1,9 %) avaient présenté à l’admission un oedème aigu du poumon.
Cent patientes (97 %) avaient une protéinurie supérieure à deux croix et trois patientes avaient une protéinurie inférieure ou égale à une croix.
La glycémie a été réalisée chez 77 parturientes. Elle était normale dans 65 % des cas (n= 67). Une hyperglycémie a été notée dans 6,9 % des cas (n= 07) et une hypoglycémie a été notée chez 3 patientes soit 2,9 %.
L’uricémie été réalisée chez 81 patientes (78,7%) et était normale (25 à 60 mg/l) chez 44 (42,7%). Une hyperuricémie (> 60 mg/l) était notée chez 37 patientes (36%) avec des taux variant entre 61,4 et 104,6 mg/l.
Le test de coagulabilité sur tube sec a été fait chez toutes nos patientes. Il était anormal (supérieur à 7 minutes) chez 3 patientes (2,9%) et normal chez le reste.

Données thérapeutiques

En dehors de la prise en charge spécifique de certaines détresses vitales notées chez quelques parturientes le traitement de l’hypertension artérielle et des crises convulsives et l’évacuation utérine avaient constitués l’essentiel des données thérapeutiques.
Quatre-vingt-seize (96) patientes sur 103 avaient bénéficié d’un traitement antihypertenseur, soit 93,2%. La répartition des patientes selon le traitement antihypertenseur et anticonvulsivant est consignée dans le tableau IV.

Tableau IV
Répartition des patientes selon le traitement antihypertenseur et anticonvulsivant.

Vingt-deux patientes soit 21,1%, avaient reçu un dérivé sanguin (sang total, plasma ou culot globulaire) soit pour anémie d’étiologies diverses (hémorragies de la délivrance, Hématome Rétro-placentaire) soit pour trouble de la coagulation.
L’accouchement a été réalisé par voie basse chez 53 patientes soit 51,4 %, dont 28 accouchements naturels (27,1%), et 25 accouchements dirigés (24,3%). La césarienne a été pratiquée chez 43 patientes soit 41,7%. L’avortement thérapeutique (expulsion) a été réalisé chez 7 patientes (6,9%). Parmi les 10 patientes reçues en post-partum, six avaient bénéficié d’une révision utérine et 4 d’une aspiration manuelle intra-utérine. La révision utérine a été faite chez toutes les patientes qui avaient accouché dans notre centre.

Données évolutives et pronostiques

La durée moyenne d’hospitalisation dans les deux services était de 7 ± 5,1 jours avec des extrêmes de un (1) et 32 jours. Trente et une (31) patientes soit 30% avaient présenté des complications. La répartition des patientes selon les complications maternelles est consignée dans le tableau V.

Tableau V
Répartition des patientes selon les complications maternelles.

Dans notre étude, sur 103 patientes, 7 décès ont été enregistrés soit une létalité de 6,8 %. Ces décès sont survenus à la suite d’un état de mal éclamptique, d’une d’hémorragie de la délivrance, d’une détresse respiratoire par OAP, d’un syndrome de Mendelson, d’un accident vasculaire cérébral, et d’une d’hypoglycémie. Les facteurs de mauvais pronostic maternel identifiés sont consignés dans le tableau VI.

Tableau VI
Facteurs de mauvais pronostic maternel identifiés chez les patientes

Le poids moyen des nouveau-nés vivants est de 2500 ± 593,5 g avec des extrêmes de 900 et 3850 g.Au nombre des complications foetales nous avons noté 29 cas (25,4%) de mort foetale et 14 nouveau-nés hypotrophes soit 12,3%.
Les complications néonatales notées dans notre série étaient la souffrance néonatale immédiate chez 34 nouveau-nés (40%), la prématurité chez 18 (21,2%) et la mort néonatale chez 15 (17,6%).
Sur 103 grossesses compliquées de prééclampsie sévère, nous avons enregistré 29 mort-nés, soit 25,4% et 85 nouveau-nés vivants (74,6%) dont 15 décès néonataux soit 17,6%. La survenue de décès était corrélée au nombre de consultation prénatale inférieur à 4 (p= 0,0222) et à l’existence d’une hyperuricémie (p=0,0003).

Discussion

La fréquence de la prééclampsie sévère dans notre étude (4,7 %) est supérieure au 4,2 % retrouvé par Lokossou et coll à Cotonou [5] et inférieure au 7 % rapportée par Sibai dans une série aux Etats Unis [6]. Cette différence notée par rapport au premier résultat s’explique par le caractère prospectif de notre étude qui nous a permis de procéder à un recrutement exhaustif de toutes les patientes mais aussi par l’impact de la gratuité de la césarienne avec comme corollaire l’augmentation des références sur l’hôpital universitaire. Quant au second résultat le mode de vie et le régime alimentaire pourraient être incriminés.
L’âge moyen des parturientes dans notre série (26,4 ± 6,7 ans) est identique à ceux trouvés par Beye et coll à Dakar [7] et Liu et coll en Taiwan [8] qui étaient respectivement de 26 ± 6 ans et 30 ans. Ces différents âges confirment l’hypothèse selon laquelle la tranche d’âge de 20 à 35 ans constitue un facteur de risque de prééclampsie [9].
Les femmes au foyer, les revendeuses et les artisanes représentaient 78 % des patientes de notre étude. Ce constat est identique à celui de Attolou et coll [10]. Pour Attolou et coll [10], les femmes à faible revenu sont soumises à des stress et des efforts physiques importants. Ces résultats sont corroborés par les résultats de Beaufils [11] qui souligne que le risque d’avoir une hypertension gravidique est plus élevé chez les femmes qui ont une activité physique ou intellectuelle importante et/ou une couverture sociale médiocre.
Les nullipares (40,8 %) étaient les plus atteintes dans notre étude. Ce constat a été fait par Liu et coll à Taiwan (8) qui avaient rapporté un taux de 34,3 %. Sibai et coll aux États-Unis [12] ont trouvé 75 % de nullipares dans leur série. Cette prévalence notée chez les nullipares est bien documentée dans la littérature et s’expliquerait par le conflit entre le matériel génétique de la mère et celui du père lors du premier geste.

Données cliniques et paracliniques

L’étude nous a permis de noter que la plupart des patientes étaient référées des centres périphériques dans une proportion de 66,9 %. Ce même constat a été corroboré par Neji et coll au Maroc [13]. Ce taux élevé des références montre que les grossesses à risque sont initialement suivies dans les centres périphériques et ne sont référées que lorsque survient une complication contrairement à l’organisation du système de santé qui recommande que la prise en charge des grossesses à risque se fasse dans les centres appropriés de référence.
La grossesse n’était pas suivie (absence de consultation prénatale) ou avait été mal suivie (moins de 4 Consultations prénatales) chez plus de la moitié des patientes (52,4%) de notre série. Ce taux élevé a été retrouvé par Mayi-Tsonga et coll (63 %) à Libreville [14]. Normalement pour l’OMS, il faut au moins 4 consultations prénatales pour le bon suivi d’une grossesse normale [15] et même si le suivi régulier de la grossesse n’empêche pas la survenue de la prééclampsie, il permet tout de même la dépistée précocement et d’éviter l’évolution vers les formes graves de la maladie. Les consultations prénatales constituent un moyen Privilégié pour réduire les issues défavorables de ces grossesses [16]
A l’admission, la PAS moyenne était de 182,2 ± 24,2 mmhg et la PAD moyenne 117 ± 12,9 mmhg. L’hypertension artérielle était sévère chez plus de 98 % des patientes. Ces chiffres sont identiques à ceux de plusieurs auteurs [13,14]. Ils sont plus élevés que ceux de Brouh Y et Sabiri [17,18] qui avaient noté une HTA sévère chez environ la moitié de leurs patientes. Ces chiffres tensionnels élevés notés dans notre étude pourraient s’expliquer par l’absence de traitement antihypertenseur avant l’admission. Cette constatation pose le problème de la qualité du suivi des grossesses dans nos formations sanitaires périphériques.
Près de 3/4 des patientes de notre série (71,8%) avaient des oedèmes. Ce résultat est supérieur à celui de Mayi-Tsonga [14] qui avait trouvé les oedèmes chez la moitié des patientes. Ces différentes constatations confirment le caractère inconstant des oedèmes au cours de la prééclampsie.
La majorité de nos patientes (97%) avait une albuminurie ≥ à 2 croix. Neji et coll [13] rapporte dans leur étude que 65% des parturientes avaient une albuminurie ≥ à 2 croix. Ces constats suggèrent que l’albuminurie est quasi constante chez les femmes atteintes de prééclampsie sévère.
Trente-six pour cent (36%) de nos patientes avaient une hyperuricémie. Ce résultat est proche des 31% de Mayi-Tsonga [14]. Ce taux élevé que nous avons retrouvé justifie la proportion importante de mort foetale in utéro (25,4%). En effet, pour la plupart des auteurs, la valeur de 58,8 mg/l d’uricémie représente le seuil au delà duquel le risque de mort foetale augmente de façon presque linéaire, approchant 100 % à partir de 100,8 mg/l [11].

Données thérapeutiques

Le traitement antihypertenseur avait été institué chez 93,2% de nos patientes. La plupart des études sur la prééclampsie sévère et/ou l’éclampsie rapportent une proportion identique d’utilisation d’antihypertenseur. Dans notre étude, la clonidine (68%) a été la molécule la plus utilisée. Neji et coll, et Yapo et coll (13,17) avaient utilisé la dihydralazine chez plus de la moitié de leurs patientes. Quand bien même la comparaison entre les différentes classes d’antihypertenseurs n’a montré aucun avantage décisif d’une classe par rapport à une autre [11], l’utilisation des antihypertenseurs centraux dans notre étude s’explique par leur efficacité convenable, leur innocuité, leur coût abordable et surtout la non disponibilité dans nos unités de soins de la dihydralazine recommandée par l’OMS en première intention.
Plus de trois patientes sur quatre (75,8%) avaient bénéficié d’un traitement anticonvulsivant. Les deux molécules les plus utilisées étaient le sulfate de magnésium (57,2%) et le diazépam (51,4%). Ce résultat est identique à ceux retrouvés par plusieurs auteurs [13,14]. Par contre les benzodiazépines et les barbituriques étaient les seuls anticonvulsivants utilisés dans d’autres études [17]. L’utilisation du sulfate de magnésium en première intention dans notre étude repose sur les données de la littérature.
Plus de la moitié des patientes de notre série (51,5%) avaient accouché par voie basse. La césarienne était pratiquée dans 41,7% des cas. Ce taux de césarienne est identique à celui de Lankouande et coll qui était 45,7% [19]. Le taux relativement faible de césarienne pratiquée dans notre étude pourrait s’expliquer par la proportion non négligeable de gestantes reçues à l’admission en travail d’accouchement à la phase active terminale (39,8%).
L’anesthésie générale était la technique la plus utilisée (95,3%) dans notre étude. Ce constat est identique à celui rapporté par la plupart des études oùl’anesthésie générale est le seul recours en cas d’urgence obstétricale.

Données évolutives et pronostiques

L’évolution était favorable dans 71,9 % des cas dans notre étude. Ce taux est identique à ceux de Brouh Y (76,7%) et de Mayi-Tsonga (79%) [17,14]. Vingt-deux patientes (21,3%) sont sorties contre avis médical alors qu’elles présentaient des signes qui recommandaient leur maintien en hospitalisation. La mortalité maternelle est de à 6,8 %. Elle est inférieure à celui retrouvé par Yapo en Côte d’Ivoire (16 %) [17] et Mayi-Tsonga à Brazzaville (21%) [14]. Aux Etats-Unis, la mortalité maternelle liée à la prééclampsie sévère et à l’éclampsie est de 0,06 % d’après Mackay et coll [20] soit 113 fois plus basse que celle de notre étude. Cette forte mortalité notée dans notre étude s’explique par plusieurs facteurs au nombre desquels la consultation tardive, l’état neurologique des parturientes à l’admission.En effet un coma avec score de Glasgow ≤ 8 a été noté chez 6 patientes sur les 7 décédées et enfin les insuffisances dans la chaine de prise en charge dans l’hôpital universitaire car la glycémie chez les 2 patientes décédées dans un contexte d’hypoglycémie a été obtenue en post mortem.
Les facteurs de mauvais pronostic maternel identifiés dans notre étude étaient le score de coma de Glasgow ≤ 8 (p = 0,0039), la pression artérielle systolique ≥ 160 mmHg (p = 0,0023) et l’hypoglycémie (glycémie < 0,3 g/l) (p= 0,003). Brouh Y et coll. en Côte d’Ivoire [17] avaient identifié le score de Glasgow ≤ 8 comme un facteur de mauvais pronostic maternel car il augmente de plus de 13 fois le risque de décès.
Contrairement à Attolou et coll [10] pour qui l’hypertension artérielle diastolique ≥ 110 mmHg est un élément de mauvais pronostic maternel et foetal, notre étude a permis de constater que la mortalité maternelle est aussi liée à l’hypertension artérielle systolique. Le rôle délétère de l’hypoglycémie dans le coma chez l’éclamptique est très peu décrit dans la littérature. En effet, l’expression clinique de l’hypoglycémie comportant une crise convulsive est non spécifique et peut facilement être confondue avec l’éclampsie. Seul le dosage de la glycémie permet de mettre en évidence cette urgence métabolique qui en absence de traitement évolue inéluctablement vers la mort.L’évolution a été favorable à court terme (première semaine de vie) chez 57% des nouveau-nés dans notre étude. Le taux de mort foetale in utéro dans notre étude était de 25,4%. Ce taux est supérieur à celui d’Attolou et coll (6,13%) [10] et de Neji (10%) [13]. Le nombre élevé de grossesses non ou mal suivies dans notre étude pourrait expliquer cette proportion importante. Dans notre étude nous avions enregistré 17,6% de mort néonatale précoce. Pambou [21] au Congo avait retrouvé 15,89%. Le faible équipement en matériel de réanimation néonatale et d’élevage du prématuré du CHD-Borgou pourrait expliquer ce constat. Les facteurs de mauvais pronostic foetal que nous avions identifiés sont le nombre de CPN inférieur à 4 (p =0,0222) et l’hyperuricémie supérieur à 61,4 mg/l (p = 0,0003). Pour Liu et coll [8] l’absence de consultations prénatales chez les femmes prééclamptiques sévères expose 3 fois les foetus aux complications de la maladie. La corrélation entre l’hyperuricémie et le mauvais pronostic foetal est établie dans plusieurs études sur la prééclampsie sévère [11].

Conclusion

La prise en charge de la prééclampsie sévère au Centre Hospitalier Départemental du Borgou a connu certes des améliorations mais des difficultés subsistent quant au maintien des fonctions vitales chez les femmes admises dans un état critique. Les moyens de réanimation dont dispose actuellement ce centre de référence de deuxième niveau ne permettent pas toujours de prendre en charge certaines complications neurologiques et cardiorespiratoires induites par cette pathologie.

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