Introduction :
L’intervention de l’anesthésiste-réanimateur pour une opération gynéco-obstétricale urgente peut être nécessaire pour des raisons de pronostic maternel et/ou foetal. Une réponse adaptée et rapide permettrait d’assurer le bien-être de l’enfant et de la mère [1]. En Afrique subsaharienne où la mortalité maternelle est très élevée [2], le manque d’infrastructures et d’équipements médicaux sont un frein à l’organisation de l’urgence anesthésique gynéco-obstétricale. Notre recherche d’efficience nous a conduits à examiner les facteurs contribuant à ce manque de performance. Le but de notre étude était d’évaluer les délais de prise en charge des urgences obstétricales au bloc opératoire des urgences du CHU de Cocody.
Patientes et méthodes :
cette étude prospective et descriptive a été réalisée de juillet 2011 à juin 2012 au bloc des urgences du CHU de Cocody (Abidjan, Côte d’Ivoire). Ont été incluses les femmes en âge de procréer admises au bloc gynéco-obstétrical pour une intervention chirurgicale urgente. Ont été exclues les césariennes électives, les accouchements au bloc. Les paramètres étudiés étaient l’âge, la catégorie professionnelle, les indications opératoires, la classe ASA, la technique anesthésique, les délais de prise en charge des patientes (de l’admission en maternité à l’évaluation pré-anesthésique, de la consultation pré-anesthésique à l’entrée au bloc opératoire, de l’entrée au bloc opératoire à l’induction anesthésique), le score d’Apgar des nouveau-nés et le devenir de la patiente. Les registres du bloc opératoire des urgences et les fiches d’anesthésie ont permis de documenter les fiches d’enquête pré-établies. Les résultats en valeurs qualitatives ont été exprimés en fréquences et en pourcentages ; ceux en valeurs quantitatives en moyennes avec leur indice de dispersion.
Résultats :
807 patientes ont été recensées. Elles provenaient de la maternité (84%) ou des urgences gynécologiques (16%). L’âge moyen était 28,3±5,9 ans avec des extrêmes de 16 et 44 ans. Les patientes ont été classées en groupes d’âge : de 16 à 20 ans (10,5%), de 21 à 25 ans (22,3%), de 26 à 30 ans (29,1%), de 31 à 35 ans (25,5%), de 36 à 40 ans (10,9%) et de 41 à 45 ans (1,7%).
Les catégories professionnelles comprenaient les ménagères (34,5%), les salariés (15,7%), les non salariés (40,2%) et les élèves/étudiantes (9,5%).
Les indications opératoires étaient surtout les présentations dystociques, la souffrance foetale aigue, les hémorragies du 3è trimestre et la grossesse extra-utérine (tableau I).
Les patientes étaient classées ASA Iu (54,3%), ASA IIu (20,5%), ASA IIIu (18,2%), ASA IVu (9,5%).
Les patientes bénéficiaient d’une anesthésie générale (35,5%) ou d’une rachianesthésie (64,5%).
Les différents délais de prise en charge ont été évalués (tableau II) : de l’admission à la maternité à l’évaluation pré-anesthésique (202,3±229,9 mn avec des extrêmes de 5 et 1320 mns), de l’évaluation pré-anesthésique à l’entrée au bloc opératoire (272,7±323,2 minutes avec des extrêmes de 5 et 1438 mns).
Le délai moyen de l’entrée au bloc opératoire à l’induction anesthésique était de 18,2±13,6 minutes avec des extrêmes d’1 et 60 mns. Le délai global moyen de prise en charge était de 7,7±5,8 heures. 45,9 % des patientes ont été césarisées entre la 1ère et la 6ème heure après leur admission en maternité (tableau III). De la salle de réveil, 97,4 % des patientes ont été transférées en hospitalisation d’obstétrique, 2 % en réanimation pour des troubles de la conscience dans un contexte d’éclampsie.
Le taux de décès maternel était de 0,6%. Les décès les plus fréquentes étaient l’hémorragie de la délivrance, la rupture utérine, la grossesse extra-utérine, l’éclampsie et le HELLP syndrome. Parmi les naissances, 56, % des nouveau-nés avaient un bon score d’Apgar (8-10) ; 43,7% avaient bénéficié d’une stimulation et d’une oxygénation au bloc (score d’Apgar inférieur à 8) et 7,5% étaient des mort-nés (tableau IV).
Discussion
En Afrique subsaharienne, l’offre de soins est largement inférieure aux besoins concernant la santé de la mère et l’enfant où les situations d’urgence obstétricale sont très fréquentes [2]. L’âge moyen de nos patientes se rapprochait de celui des travaux d’Imbert et al. à Dakar qui rapportent un âge moyen de 30,5 ans [3]. Cette tranche d’âge de 21 à 35 ans (76,9%) était une proportion féminine active mais à revenus faibles. Cette tranche d’âge aux revenus faibles était confrontée au manque de suivi des grossesses, aux essais d’accouchement à domicile, aux consultations urgentes avec des tableaux obstétricaux graves. La mythologie de la naissance de Jules César [4], l’appréhension de l’anesthésie et de la douleur post-opératoire, le coût de l’intervention chirurgicale pourraient expliquer l’angoisse des patientes. Comme dans d’autres séries africaines de césariennes en urgence, les indications maternelles étaient majoritaires (35,9%) [5]. La GEU, deuxième pathologie la plus fréquente, doit être évoquée devant toute douleur pelvienne de la femme en âge de procréer. En effet, la GEU est l’exemple type de la pathologie pouvant être responsable du décès par choc hémorragique brutal si les mesures thérapeutiques appropriées n’ont pas été appliquées [6]. L’indication de la césarienne a été posée dans 23,5 % pour une souffrance foetale aigue. Le diagnostic de souffrance foetale aiguë était souvent retenu sur les variations des bruits du coeur foetal au stéthoscope de Pinard. Cette méthode de diagnostic de souffrance foetale est imprécise et peu spécifique et aboutit fréquemment à l’extraction en urgence d’un nouveau-né en bonne santé malgré les longs délais de prise en charge [7]. Les évacuations, du fait l’insuffisance du plateau technique dans les structures périphériques, pourraient être responsables de l’épuisement des patientes à leur arrivée au CHU, d’où la classe ASA4u observée chez 9,9% de nos patientes. L’urgence clinique, et parfois les difficultés du laboratoire des urgences imposaient d’opérer sans attendre les résultats biologiques, même en cas d’hémorragie avec suspicion de troubles de l’hémostase [3]. C’est le cas de notre série où 89,1% des patientes n’avaient réalisé aucun bilan biologique le jour de leur admission. Le choix du type d’anesthésie (anesthésie générale ou rachianesthésie) était conforme aux recommandations [8, 9]. L’anesthésie était le plus souvent réalisée par un infirmier spécialisé, opérant seul, ou assisté d’un médecin. La rachianesthésie était la plus indiquée (64,4%) sauf en cas d’éclampsie et d’hémorragie importante. Cette technique était très utilisée dans notre étude en raison de sa rapidité d’installation, caractéristique recherchée dans le cadre de la césarienne en urgence [7]. L’évaluation préanesthésique réalisée par un médecin anesthésiste permettait d’identifier autant que possible les difficultés liées au terrain chez ces patientes qui souvent n’avaient pas suivi des consultations prénatales régulières. Le contexte de l’urgence impose une réponse rapide de l’équipe des chirurgiens et des anesthésistes [10]. Mais dans notre étude, les longs délais de prise en charge reflétaient les difficultés multifactorielles rencontrées. Les retards observés étaient le plus souvent secondaires aux difficultés financières d’obtention des intrants (kit de césarienne, kit chirurgical, kit anesthésique). En effet, l’acquisition des médicaments et consommables doit être assurée par les patientes ou leur familles qui ne bénéficient pas d’un système de sécurité sociale ou d’assurance maladie.. Une autre source de retard était liée aux ruptures de stock de médicaments et de lingerie chirurgicale au sein de la structure hospitalière. En France, le délai décision-naissance a pu être raccourci par une amélioration des processus organisationnels. De plus, les maternités ont pu disposer du matériel, du personnel et de l’organisation permettant de réagir de façon optimale devant l’urgence. Si une raison telle que la surcharge du personnel, le manque de salle disponible pourrait amener à allonger le délai d’attente, les patientes devraient en être informées et un transfert anténatal médicalisé devrait être rapidement effectué vers un centre pouvant la recevoir immédiatement [11]. Dans notre contexte, plusieurs expériences ont été tentées pour permettre une bonne gestion et éviter les ruptures de stock : le forfait payé globalement ou par tranches couvrant tous les intrants sous la supervision de l’assistante sociale ou d’un service de recouvrement, l’émission d’une ordonnance dès que besoin, la gratuité de toutes les prestations. Pour l’Afrique sub-saharienne, les solutions pourraient se trouver dans la mutualisation des soins de santé pour les femmes enceintes et/ou la gratuité des soins obstétricaux expérimentée dans certains pays ouest-africains. La mortalité maternelle élevée était liée à l’hémorragie de la délivrance, la rupture utérine, la grossesse extra-utérine, l’éclampsie et ses complications. En Afrique, les urgences gynéco-obstétricales seraient responsables de 30 à 98% de la mortalité maternelle globale ; les hémorragies étant la première cause. Il a été démontré que 69 % de ces décès seraient évitables grâce à des mesures d’anesthésie et de réanimation efficaces [3]. Le mauvais pronostic foetal observé serait en rapport avec la précarité de l’état maternel à l’admission, le pronostic foetal déjà engagé aggravés par les longs délais de prise en charge. . La difficulté de prévoir avec précision la durée d’exposition du foetus aux agents anesthésiques impose de prévoir la possibilité d’une réanimation du nouveau-né. Le point fondamental de cette réanimation néonatale est dominé par la prise en charge rapide de la ventilation et de l’oxygénation du nouveau-né, ce qui est difficile lorsqu’il n’y a pas de pédiatre sur place ; l’anesthésiste est alors en charge de cette réanimation, ce qui peut poser le problème de la surveillance maternelle concomitante [7].
Conclusion :
Les urgences chirurgicales sont dominées par Les longs délais dans la prise en charge opératoire des urgences obstétricales sont péjoratifs pour la mère et/ou le nouveau-né. Ces délais pourraient être minimisés par la mise à disposition rapide des matériels, des médicaments et par le renforcement des équipes médico-chirurgicales
Réferences
1. Duflo F, Allaouchiche B, Chassard D. Urgences anesthésiques obstétricales. Conférences d’actualisation SFAR 2000 p 43-60
2. OMS. Mortalité maternelle. Mai 2012 Aide-mémoire N°348
3. P. Imbert, F. Berger, N.S. Diallo, C. Cellier, M. Goumbala, A.S. Ka, R. Petrognani. Pronostic maternel et pédiatrique des césariennes en urgence : Etude prospective a l’hôpital principal de Dakar, Sénégal. Med Trop 2003 ; 63 : 351-57
4. Mireille Laget. La césarienne ou la tentation de l’impossible, XVIIe et XVIIIe siècle. Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest 1979 : 86 : 177-189.
5. Dumont A, De Bernis L, Bouvier-Colle MH, Breart G. Caesarean section rate for maternel indication in sub-Saharan Africa : a systematic review. Lancet 2001 ; 358 : 1328-233.
6. Allo JC, Claessens YE, Dhainaut JF. Critères cliniques de gravité aux urgences.
Congrès SFAR Médecine d’urgence 2006 : p 521-30.
7. Arvieux CC, Rossignol B, Gueret G, Havaux M. Anesthésie pour césarienne en urgence. In Conférences d’actualisation SFAR 2001. p 9-24
8. Carpentier JP, Banos JP, Brau R et Coll. Pratique et complications de la rachianesthésie en milieu tropical africain. Ann Fr Anesth Reanim. 2000 ; 20 : 16-22.
9. F. Duflo, B. Allaouchiche, D. Chassard Urgences anesthésiques obstétricales in Conférences d’actualisation SFAR 2000 p 43-60.
10. Bricant JF. Césarienne urgente : quel délai, quelle organisation ? In MAPAR 2006 p 323-34
11. Beye MD, Diouf E, Kane O et Coll - Prise en charge de l’éclampsie grave en réanimation en milieu tropical africain. A propos de 28 cas.Ann Fr Anesth Reanim 2003 ; 22 : 25-9