Tome 18 n°1 - 2013


[Editorial] L’anesthésie pédiatrique en Afrique noire francophone : quelle pratique ?

Plaidoyer pour une prise en charge multidisciplinaire des parturientes au (...)

Morbidités obstétricales graves en réanimation à l’hôpital universitaire (...)

Facteurs de mortalité des accidents vasculaires cérébraux au CHU de Brazzaville

Anesthésie pédiatrique en milieu africain : expérience d’un hôpital (...)

Prise en charge des brûlures graves à Abidjan (Côte d’Ivoire)

Le bloc du plan abdominal transverse (TAP block) : étude prospective chez (...)

Délais de prise en charge anesthésique des urgences gynéco-obstétricales (...)

Prise en charge du choc septique en réanimation chirurgicale au CHU (...)

Activités anesthésiques à la clinique médico-chirurgicale et de (...)

Réanimation néonatale à la maternité de l’hôpital de base de Talangaï à (...)

Envenimations par morsure de serpent dans la région de Bouaké en Côte d’Ivoire

Les urgences pédiatriques du service de pédiatrie de l’hôpital de zone (...)

Plaidoyer pour une prescription préopératoire de sang rationalisée en (...)

Quelle chance diagnostique aux gestantes porteuses d’un placenta accreta ? (...)

Eclampsie retardée : à propos d’un cas observé dans le service de (...)

Le syndrome thoracique aigu : une complication redoutable des suites de (...)

Fistule oeso-pleurale au cours d’une intubation oro-trachéale en (...)

Corps étranger laryngo-trachéal : une urgence ventilatoire à propos d’un (...)

Plaidoyer pour une prescription préopératoire de sang rationalisée en milieu chirurgical africain

Appel for a rational perioperative blood prescription in African surgical environment

janvier 2013, par Sima Zué A , Essola Laurence , Ngomas Jean Félix , Obame Ervais Richard , Kamel G. , Bouanga Moudiba C

Auteur correspondant : Adrien Sima Zué, E-mail : simazuesima chez yahoo.fr


Résumé

Objectif : Préciser si la tendance à commander des concentrés de globules rouges avant une chirurgie programmée se justifie au centre hospitalier universitaire de Libreville.
Patients et méthodes  : il s’agit d’une étude rétrospective allant de janvier 2010 à juin 2012. Elle a concerné les patients ayant bénéficié d’une chirurgie réglée et ayant fait l’objet d’une commande de concentrés de globules rouges avant l’intervention chirurgicale. Les patients transfusés et non transfusés ont été identifiés. Les effectifs des deux groupes ont été exprimés en pourcentages puis comparés.
Résultats : Durant la période d’étude, 230 patients âgés de 41 ± 16 ans ont répondu aux critères d’inclusion. L’activité chirurgicale était répartie en 114 cas (50 %) de chirurgie gynéco-obstétricale, 69 cas (30 %) de chirurgie orthopédique, 20 cas (9 %) de chirurgie viscérale, 19 cas (8 %) de chirurgie urologique et 8 cas (3 %) de chirurgies diverses. 210 patients (91,3 %) ont fait l’objet d’une commande de concentrés de globules rouges avant l’intervention chirurgicale. Toute chirurgie confondue, les concentrés de globules rouges commandés ont été utilisés dans 60 % des cas. En chirurgie oto-rhino-laryngologique, aucune transfusion n’était notée alors qu’elle était de 15% en chirurgie viscérale et de 44,5% en chirurgie urologique.
Conclusion : Ce travail montre qu’il existe un taux élevé de prescriptions inutiles de concentrés de globules rouges. En chirurgie programmée, il est souhaitable que la décision de commander du sang fasse l’objet d’un avis consensuel entre le chirurgien et l’anesthésiste-réanimateur.
Mots clés : Chirurgie programmée - Concentrés de globules rouges - Examen clinique - Numération formule sanguine

Summary

Objective : Evaluate if the tendency to order red blood cells units before surgery was justified at the teaching hospital of Libreville
Patients and Methods : This was a retrospective study, from January 2010 to December 2012. Patients undergoing elective surgery from which red blood cells units were ordered before surgery were included. Transfused patients and those not transfused were both identified. The numbers found were expressed in percentage and compared.
Results : During the study period, 230 patients aged 41 ±16 years had elective surgery. This surgical activity included 114 cases (50 %) in gynaecology and obstetrics, 69 cases (30 %) in orthopaedic, 20 cases (9 %) of general surgery, 19 cases (8 %) of urology surgery and 8 cases (3 %) of various surgeries. Out of these, 210 patients had ordered for red blood cells units before surgery (91.3 %). In all types of surgery, only 60 % of ordered red blood cells units were transfused. In ear-nose-throat, general and urology surgery, the red blood cells units ordered were not used in 100 %, 85 % and 55.5 % of cases respectively.
Conclusion : This work shows that there is a high rate of unnecessary prescriptions of RBC. In elective surgery, it is desirable that the decision to order blood is the subject of a consensus view between the surgeon and the anesthetist.
Keywords : Blood picture - Clinical examination - Elective surgery - Red blood cells units

Introduction

La transfusion sanguine pose un problème de santé publique en Afrique et plus particulièrement dans les pays au sud du Sahara où la pénurie de sang est un phénomène fréquent, très souvent à l’origine dans les situations d’urgence de nombreux décès, notamment dans les services d’obstétrique et de traumatologie [1,2]. Au centre hospitalier universitaire de Libreville qui n’échappe pas à cette pénurie, il est fréquent de retrouver dans les réfrigérateurs des services d’hospitalisation ou des blocs opératoires du sang périmé. Il s’agit du sang payé par les patients opérés mais n’ayant pas été utilisé parce que la transfusion sanguine n’était pas nécessaire. Ce constat nous a conduits à mener une réflexion sur la pertinence des commandes de sang faites aux patients avant l’intervention chirurgicale. Le but de ce travail était de préciser si la tendance des chirurgiens à commander des concentrés de globules rouges (CGR) avant une intervention chirurgicale programmée au centre hospitalier universitaire de Libreville se justifiait.

Patients et méthodes

Il s’agit d’une étude rétrospective, réalisée au centre hospitalier de Libreville du 1er janvier 2010 au 30 juin 2012. Elle concernait les dossiers des patients ayant bénéficié d’une intervention chirurgicale. L’étude consistait à retrouver les dossiers de patients à qui une commande de CGR avait été faite avant l’intervention chirurgicale, puis à identifier ceux d’entre eux ayant bénéficié d’une transfusion peropératoire. Le recueil des données s’est fait à partir des demandes de consultation pré-anesthésique et des fiches d’anesthésie. La demande de consultation préanesthésique, à laquelle était assujettie la consultation en question était remplie par le chirurgien ; elle précisait la pathologie, le type d’intervention chirurgicale, sa durée, la date souhaitée pour la réalisation de l’acte opératoire et faisait mention de la nécessité ou non pour le patient de s’approvisionner en CGR, tout en déterminant le nombre de poches. La fiche d’anesthésie faisait état ou non de la transfusion sanguine peropératoire. Ont été inclus dans cette étude les patients ayant bénéficié d’une chirurgie programmée, d’une consultation préanesthésique effectuée par un médecin anesthésiste-réanimateur et dont les dossiers étaient exploitables. L’âge, le sexe, le type de chirurgie, le niveau de prescription des CGR et le niveau d’utilisation de ces derniers ont été les paramètres étudiés. Les résultats obtenus ont été exprimés en pourcentage. La comparaison de ces différents pourcentages a utilisé le test du Chi deux. La différence était considérée comme significative quand la valeur de p était inférieure à 0,05.

Résultats

Du 1er janvier 2010 au 30 juin 2012, 230 patients âgés de 41 ± 16 ans (extrêmes 1 et 84 ans), dont 171 patients de sexe féminin (74 %) et 59 de sexe masculin (26 %), ont répondu aux critères d’inclusion. L’activité chirurgicale était répartie en 114 cas (50 %) de chirurgie gynéco-obstétricale, 69 cas (30 %) de chirurgie orthopédique, 20 cas (9 %) de chirurgie viscérale, 19 cas (8 %) de chirurgie urologique et 8 cas (3 %) de chirurgie diverse. Le tableau I donne la répartition des patients en fonction du type de chirurgie.

Deux cent dix patients (91,3 %) ont fait l’objet d’une commande de CGR avant l’intervention chirurgicale dont 126 (60 %) ont bénéficié d’une transfusion peropératoire. Les patients transfusés étaient significativement plus nombreux que les patients non transfusés (p = 0,004). La répartition des patients transfusés et des patients non transfusés selon le type de chirurgie et toute chirurgie confondue est donnée par le tableau II.

Discussion

Au centre hospitalier universitaire de Libreville, la consultation préanesthésique est assujettie dans le cadre de la chirurgie programmée à la demande de consultation préanesthésique qui se présente sous la forme d’un imprimé. Ce document de dialogue entre le chirurgien qui le remplit et le médecin anesthésiste-réanimateur qui en exploite les données fait état de la nécessité ou non pour le patient de s’approvisionner en concentrés de globules rouges. Il est remis aux patients en même temps que les bons d’examens complémentaires préopératoires. Les résultats de notre étude montrent une tendance très élevée des chirurgiens à prescrire aux patients les CGR. La crainte de se retrouver devant l’obligation de compenser les pertes sanguines pendant l’intervention chirurgicale sans en avoir la possibilité parce que les CGR ne sont pas à portée de main est l’un des arguments souvent avancés par les chirurgiens pour justifier leur habitude. En effet, les procédures relatives à l’obtention d’une poche de CGR sont si lourdes qu’il est souvent impossible d’honorer une commande dans les délais souhaités quand une transfusion s’avère nécessaire. Une étude menée au centre hospitalier de Libreville avait montré que les délais d’attente de la prise en charge des urgences chirurgicales étaient anormalement longs [3]. Parmi les principales causes de retard identifiées, il y’avait l’absence de produits sanguins. Les produits sanguins sont fournis par le centre national de transfusion sanguine. Afin de les livrer quand ils sont commandés, ce centre exige du receveur potentiel en plus de son échantillon sanguin un donneur en vue du remplacement des produits sanguins à fournir, or, la possibilité de trouver un donneur demande souvent beaucoup de temps, en raison du nombre élevé des personnes réticentes au don de sang. Les difficultés à se procurer des produits sanguins ne sont pas seulement d’ordre procédural, il y’a aussi le facteur coût qui est de 10 000 FCFA (15,2 Euro) la poche, une somme souvent difficile à rassembler par les patients qui sont pour la plupart des démunis. Malgré ces arguments qui justifient l’attitude des chirurgiens, les 40 % de CGR commandés mais non utilisés sont inacceptables dans un contexte où la pénurie de sang pose un problème de santé publique. Ce résultat pourrait être moins alarmant si le sang non utilisé était récupéré par le centre national de transfusion sanguine. Ce qui n’est pas le cas, le non respect des conditions de conservation de ce sang ne le lui permettant pas. Les résultats de cette étude mettent en évidence une prescription exagérée des CGR, plaidant ainsi pour un changement des habitudes. Deux attitudes pourraient permettre de diminuer cette surprescription. La première est celle qui consisterait à associer à la décision de commander du sang l’avis du médecin anesthésiste-réanimateur qui se sert, lors de la consultation préanesthésique, des données cliniques et des résultats de la numération formule sanguine. Cette procédure mériterait toutefois d’être évaluée par des études ultérieures. La deuxième attitude est celle qui consisterait à abandonner progressivement l’utilisation du sang des donneurs au détriment des nombreuses procédures d’épargne sanguine décrites dans la littérature [4-10]. Si la récupération du sang épanché et son traitement en vue de le transfuser [11,12] sont difficiles à réaliser dans notre contexte, car nécessitant une logistique coûteuse et donc inaccessible compte tenu des faibles moyens financiers dont disposent nos hôpitaux, la transfusion autologue programmée [13,14] est une technique qui peut être vulgarisée. En effet, cette technique nécessite quatre semaines et la plupart des interventions chirurgicales retrouvées dans notre étude sont compatibles avec ce délai. L’hémodilution normovolémique préopératoire [15-18] est aussi à encourager. Comme la transfusion autologue programmée, il s’agit d’une technique simple et peu coûteuse car elle ne fait pas intervenir une technologie spéciale. Elle est parfaitement adaptée à notre contexte.

Conclusion

Ce travail a permis de montrer qu’il existe un taux élevé de prescriptions inutiles de CGR au centre hospitalier universitaire de Libreville, causant ainsi aux patients des dépenses injustifiées. La réduction de ces prescriptions est possible avec deux options fondamentales. La première est de permettre que la décision de transfuser fasse l’objet d’un avis consensuel entre le chirurgien et l’anesthésiste-réanimateur. La deuxième option est de diminuer progressivement la transfusion du sang des donneurs au détriment des techniques d’épargne sanguine.

Références

1. Sima Zué A, Bang Ntamack JA, Mandji Lawson JM, Eyama’a Mve R, Akere Etoure Bilounga Z. La transfusion sanguine en urgence dans une maternité isolée de Libreville (Gabon) de 2000 à 2009. Rev Anesth Med Urg 2011 ; 16 (1) : 40-44.
2. Sima Zué A, Benamar B, Ngaka Nsafu D, Mbini J C, Nzoghe JJ. Urgences traumatiques en milieu africain. Analyse de 66 dossiers de patients admis en réanimation. Réa Urg 1999 ; 8 : 75-8.
3. Sima Zué A, Josseaume A, Ngaka Nsafu D, Galoisy-Guibal L, Carpentier JP. Les urgences chirurgicales au centre hospitalier de Libreville. Ann Fr Anesth Réanim 2003 ; 22 :189-95.
4. Bricard H, Zerr C, Levesque C, Thmassin C. Transfusion autologue : techniques Encyclop Med Chir (elsevier Paris) 1992 ; 36736 A10 : 1-17.
5. Rosencher N, Ozier Y, Conseiller C. Autotransfusion per et post opératoire. SFAR Ed, Conférences d’actualisation, 40e congrès national d’anesthésie et de réanimation. Paris : Elsevier ; 1999, p.147-60.
6. Pape A, Habler O. Alternatives to allogenic blood transfusions. Best Pract res Clin Anaesthsiol 2007 ; 21 (2) : 221-39.
7. Kathrin K, Olivier M T, Johannes N, Clément M L W. Alternatives prodedures for reducing allogenic blood transfusion in elective orthopedic surgery. HSS J 2010 ; 6 : 190-96
8. Madjpour C, Spahn D R. Allogenic blood cell transfusions : efficacy, risks, alternatives and indications. Br J Anaesth 2005 ; 95 : 33 – 42.
9. Cernea D, Vladoianu A, Stoica M, Novac M, Berteanu C. Alternatves to
allogenous blood transfusion. Rev Med chir Soc Med nat lasi 2009 ; 113 : 339-44.
10. Combet Madrolle F, Muller M. Practice of delayed autologous transfusion in Saint Louis (Senegal). Rev Fr Transfus Hemobiol 1993 ; 36 : 321-25.
11. Williamson K, Taswell H. Intraoperative blood salvage : a review. Transfusion 1991 ; 31 : 662-75.
12. Ouaknine B, Rosencher N, Ozier Y, Belbachir A et al. Efficacité et tolérance du sang lavé, récupéré en postopératoire après prothèse totale de genou. Ann Fr Anesth Réanim 1996 ; 15 : 971 (R442).
13. Soro L, Sié E, Traoré A, Kodo M, Abo Y. Intérêt de la transfusion autologue différée dans le service de traumatologie au CHU de Yopougon. Rev Int Sc Méd 2006 ; 8 : 59-61.
14. Henri D A, Carless P A, Moxey A J, O’ Connel D, Forgie M A, Wells P S, Fergusson D. Pre-operative autolougous donation for minimizing perioperative allogenic blood transfusion. Cochrane Database Syst rev 2002 ; 2 : CD003602.
15. Goodnough L T, Monk T G, Despotis G J, Merkel K. A randomized trial of acute normovolemic hemodilution compared to preoperative autologous blood donation in total knee arthroplasty. Vox Sang 1997 ; 77 : 11-16.
16. Matot I, Scheinin O, Jurim O, Eid A. Effectiveness of acute normovolemic hemodilution to minimize allogenic blood transfusion in major liver resections. Anesthesiology 2002 ; 97 : 794-800.
17. Segal J B, Blasco-Colmenares E, Norris E J, Guallar E. Preoperative acute normovolemic hemodilution : a meta-analysis. Transfusion 2004 ; 44 : 632-44.
18. Daniel J C. L’hémodilution normovolémique. Can J Anaesth 1991 ; 38. : 243-51

La vie de l'Anesthésie

rechercher sur le site de la SARAF

Recherches


Pour rendre vos recherches plus faciles