Introduction
La brûlure est un phénomène local à retentissement général pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Elle représente un des traumatismes les plus graves, les conséquences étant liées aux fonctions complexes de la peau.
L’incidence des brûlures reste élevée dans les pays industrialisés, en dépit des campagnes de prévention. Aux États-Unis, plus d’un million de cas nécessitent des soins médicaux chaque année [1]. Les vingt-quatre centres de brûlés français hospitalisent plus de 3500 patients par an et 5000 brûlés moins sévèrement atteints sont pris en charge dans les hôpitaux et cliniques généraux [2]. Dans les pays en voie de développement, la morbidité et la mortalité liée à ce traumatisme en font un problème de santé publique majeur. En Côte d’ivoire, le centre des grands brulés d’Abidjan reçoit environ 500 patients brûlés par an. Le but de l’étude est de décrire les aspects épidémiologiques, thérapeutiques et évolutifs des brûlures graves dans ce centre.
Patients et Méthodes
Il s’agissait d’une étude rétrospective descriptive et analytique, qui s’était effectuée du 1er janvier au 31 décembre 2010 (12 mois) au Centre des Grands Brûlés d’Abidjan (CGB), qui comprend trois unités distinctes : un secteur « chaud » (salle de réanimation de six lits, déchoquage et salle de balnéothérapie), un secteur « froid » (salle d’hospitalisation de onze lits, et une salle de soins réservée aux patients suivis en ambulatoires) et une salle opératoire pour les actes chirurgicaux de recouvrement.
Etaient inclus tous les patients présentant une brûlure grave dont la surface corporelle brûlée était supérieure à 10% chez les enfants de moins de 15 ans et supérieure à 20% chez l’adulte selon les tables de Lund et Browder. Etaient exclus les décès à l’arrivée et les sorties contre avis médical. Le recueil des données s’est fait à partir du dépouillement des dossiers et registres d’hospitalisation. Les paramètres étudiés étaient
d’ordre épidémiologique (âge, sexe, profession, circonstance de survenue, type de brûlure, agent vulnérant, latence d’hospitalisation), d’ordre clinique et para clinique (profondeur de la brûlure, bilan biologique), d’ordre thérapeutique (modalités) et d’ordre évolutif (complications et devenir du patient). Les résultats ont été exprimés en moyenne assortis de leurs indices de dispersion pour les variables quantitatives et exprimés en pourcentage pour les variables qualitatives. L’analyse statistique s’est faite à l’aide du khi-2 de Mantel-Haensel et du test de Fisher avec une valeur de p < 0,05 considérée comme significative.
Résultats
Sur 477 patients admis pour brûlure durant la période de l’étude, 116 l’ont été pour brûlure grave ; soit une prévalence de 24,3%. On notait 54,3% d’hommes et de 45,7% de femmes avec un sex-ratio était 1,2.Les patients avaient un revenu faible (76,73%). L’âge moyen était de 17,2 ans avec des extrêmes de 5 mois et 80 ans. Les enfants de 0 à 14 ans représentaient 58% des patients et ceux de 0 à 4 ans 43,1% de l’effectif. Les brûlures graves survenaient surtout au cours des saisons pluvieuses (juin, juillet, août et octobre) dans 52,6% des cas. Les circonstances de survenue étaient les accidents domestiques (74,1%), les accidents de travail (16,4%) et les rixes (9,5%). Les brûlures thermiques prédominaient (87,9%), surtout dues à l’eau chaude (41,4%) et à l’explosion de bouteille de gaz domestique (19,8%). Les autres types de brûlure étaient électriques (10,3%) et chimiques (1,7%). La grande majorité des patients (69,8%) consultait au centre dans les 24 premières heures suivantes la brûlure. La latence moyenne d’hospitalisation était de 2,1±4,6 jours avec des extrêmes de 0 et 30 jours. L’admission se faisait dans 53,4% des cas en réanimation et dans 46,6% en hospitalisation. Pour 42% des enfants, la surface corporelle brûlée était comprise entre 10 et 19% et pour 26,5% des adultes, elle était comprise entre 20 et 29% (Figure 1)
Les brûlures du 2ème degré superficiel prédominaient (91,4%) avec une mosaïque de lésions dans 8,6% des cas. Les bilans biologiques effectués à l’admission retrouvaient une anémie sévère avec un taux d’hémoglobine inférieure à 8 g/dl (6,5%), une insuffisance rénale aigue fonctionnelle (5,2%) et une hypoprotidémie inférieure à 50g/l (50,6%). Au cours des 48 premières heures, tous les patients bénéficiaient de la réhydratation avec du ringer lactate (99,3%) ou du sérum salé isotonique (0,7%). Le traitement local se faisait à la sulfadiazine argentique sous pansement occlusif tous les deux jours. A l’admission, la prise en charge respiratoire consistait en une oxygénothérapie avec les lunettes nasales (60,3%) ou en une intubation trachéale avec ventilation mécanique (3,5%). La tri-antibiothérapie (céphalosporine de 3ème génération ou imipenem + imidazolé +aminoside) était instituée dans 8,6% des cas devant un tableau de sepsis, le plus souvent à point de cutané.Elle était basée sur les données épidémiologiques du service.La nutrition entérale à débit continu se faisait dans 79,2% des cas. Aucun patient n’a bénéficié de nutrition parentérale. En cours d’hospitalisation, les complications retrouvées étaient le sepsis (78,4%), l’hypoprotidémie inférieure à 50 g/l (86,2%), l’anémie sévère (81,9%) et le retard de cicatrisation (25,7%) nécessitant des greffes dermo-épidermiques. La durée moyenne d’hospitalisation était de 17,1 jours avec des extrêmes de 0 et 90 jours. L’évolution était favorable dans 64,6% des cas avec une durée moyenne d’hospitalisation de 27,5 jours avec des extrêmes de 20 et 90 jours. Le taux de décès était de 35,4% dont 6,9% le premier jour d’hospitalisation. Une SCB > 50% exposait à près de 4 fois au décès (P=0,00003RR=3,84). (TableauI)
Discussion
Le nombre annuel de brûlure grave est difficile à déterminer en Côte d’Ivoire pour diverses raisons : le décès d’un certain nombre de victimes sur les lieux de l’accident [3], l’absence de référence et de déclarations des victimes au centre des grands brûlés (seul centre spécialisé à Abidjan) et le recours aux pratiques traditionnelles. Toutefois, le profil du brûlé grave correspond à celui de l’échantillon actuel. Comme dans les études de Ngema et al au gabon [3] et d’Ibnouzahir et al à Marrakech [4], la population jeune et active était la plus touchée et les enfants les plus exposés. La plupart des victimes venaient des quartiers modestes sans urbanisation, faits d’habitations en planches très proches les unes des autres, ce qui favorisait l’extension rapide des incendies à plusieurs maisons. Les populations y vivent en communauté de personnes peu scolarisées et peu qualifiées, sans emploi fixe ou au chômage, arrivées en ville par l’exode rural et non habituées au gaz butane. Le manque d’électrification de ces zones rend l’emploi des lampes à pétrole et des bougies obligatoires pour l’éclairage des habitations [3].Ces aspects expliquaient l’incidence élevée des accidents domestiques par incendie ou explosion de gaz butane. Pour les brûlures électriques, la manipulation frauduleuse des compteurs électriques ou des câbles haute tension était la cause. Concernant les enfants, ces accidents se produisaient lors des bains (surtout par l’utilisation de l’eau chaude au cours des saisons pluvieuses), lors de la confection des repas. Le délai de consultation est important pour la réanimation des 48 premières heures d’une brûlure grave [5]. Dans notre étude, les retards de consultation seraient dus à la prise en charge non adéquate des victimes dans les hôpitaux périphériques, aux difficultés de transfert des patients, à l’automédication et aux pratiques traditionnelles. La brûlure est une lésion dynamique dont la profondeur initiale était essentiellement superficielle dans notre série et dans celles de Messadi [6] et d’Ahouangbevi [7]. A l’admission, les patients qui présentaient une détresse vitale (détresse respiratoire, collapsus, sepsis sévère, inhalation de fumées) étaient hospitalisés en secteur chaud. La phase aiguë initiale après une brûlure grave est caractérisée par une instabilité hémodynamique susceptible d’entraîner une hypoperfusion tissulaire [5]. Dans notre série, le remplissage vasculaire était systématique selon les formules de Baxter chez l’adulte ou de Carjaval chez l’enfant. Le Ringer lactate était privilégié sauf pour raison de rupture, on utilisait le sérum salé isotonique. Les perturbations biologiques (anémie sévère, hypoprotidémie) retrouvées surtout chez les enfants seraient dues aux problèmes nutritionnels rencontrés dans les pays en voie de développement et à l’endémie palustre des zones tropicales. L’évolution favorable de nos patients était fonction de l’étendue, de l’agent vulnérant et de la rapidité de la prise en charge. L’insuffisance des actes opératoires allongeait la durée de cicatrisation des brûlures profondes, contribuant au nombre trop élevé des abandons de soins et des cicatrices vicieuses souvent observées. La durée moyenne de séjour paraît courte compte tenu de la forte mortalité dans les premiers jours [3]. La mortalité dans notre série était superposable à celles des séries publiées (entre 5 et 55%) [8].Le pronostic des patients étaient lié à l’étendue, à la latence d’hospitalisation comme le décrit la littérature [5]. Ces facteurs seraient spécifiques au milieu tropical où les modalités thérapeutiques des brûlures resteraient limitées, du fait du manque d’équipement, de médicaments et de structures spécialisées.
Conclusion
La brûlure grave nécessite une prise en charge précoce et adaptée dans des centres spécialisés. Les victimes sont les enfants et les jeunes actifs. Le problème demeure la réinsertion sociale de la victime. La création d’autres centres de traitement des brulures, la formation du personnel soignant, le renforcement des équipements et la réhabilitation des locaux du centre d’Abidjan réduiraient la morbi-mortalité. Les campagnes de sensibilisation de la population sont des éléments importants pour en réduire l’incidence.
Références
1. Mac Lennan N, Heimbach DM, Cullen BF. Anesthesia for major thermal injury. Anesthesiology 1998 ; 89 : 749-70.
2. Manelli JC, Badetti C. Réanimation et anesthésie du brûlé. Encycl Med Chir (Elsevier, Paris). Anesthésie-Réanimation 1997 ; 36-645-A-10 : 20.
3. Nguema P N, Matsiegui PB, Nsafu DN. Les grands brûlés : épidémiologie et traitement (à propos de 104 cas gabonais). Cahiers d’études et de recherches francophones / Santé 2000 ; 1, 37-42
4. Ibnouzahir M, Ettalbi S, Ouahbi S, Droussi H, Sousou M, Chlihi A et al. Profil épidémiologique des brûlés à Marrakech : à propos de 152 cas. Ann Burns Fire Disasters. 2011 ; 24 : 3-6.
5. Bertin-Maghit M, Mosnier F, Magnin C, Gueugniaud PY, Petit P. Réanimation du brûlé à la phase aiguë. In Conférences d’actualisation, SFAR 2001. p.423-42.
6. Messaadi A, Bousselmi K, Khorbi A et al. Etude prospective de l’épidémiologie des brulures de l’enfant en Tunisie. Annals of Burns And Fire Diseases 2004 ; 16 :4
7. Ahouangbevi A, James K, Ayite A. Epidémiologie des brûlures de l’enfant en milieu togolais. Ann of MBC 1992 ; 5 : 1
8. Perro G, Bourdarias B, Cutillas M et al. Analyse épidémiologique de 2000 brûlés hospitalisés à Bordeaux entre 1987 et 1994. Annals of burns and fire diseases 1996 ;