Introduction
L’Anesthésie-Réanimation est une discipline qui ne s’exerce pas qu’au bloc opératoire, mais également en soins postopératoires, au service de réanimation, au cours du transport des patients et dans le service d’accueil des urgences (SAU). Malgré cette pluri-potentialité, c’est vers la moitié du XXe siècle que des avancées spectaculaires furent reconnues, en Europe et aux Etats Unis, notamment avec une réduction importante de la mortalité liée à l’anesthésie. Par contre les pays en voie de développement (notamment ceux au sud du Sahara) restent largement en marge de ces progrès avec une surmorbimortalité liée à l’anesthésie anormalement élevée [3, 4, 5, 6, 7]. Les travaux de BINAM au Cameroun [14], de CHOBLI au Bénin [13], de SANOU et al au Bourkina Faso [15] et d’autres dans plusieurs pays d’Afrique, ont montré un manque de moyens matériels et une pénurie en personnels qualifiés. Notre pays en particulier le Mali, n’échappe malheureusement pas à ce Constat. Mais force est de reconnaître que beaucoup d’efforts ont été réalisés quant à l’amélioration de la qualité des soins en anesthésie. Cette amélioration est due aux recommandationns des différents travaux faits dans les différents CHU du Mali : Point G, Gabriel Touré, Kati et de l’IOTA. Ce travail a pour objectifs de décrire la pratique anesthésique à la CMCR Pasteur.
Patients et méthodes
Il s’agissait d’une étude rétrospective qui s’est déroulée de juin 2009 à juin 2012. Nous avons inclus les dossiers de tous les patients anesthésiés dans la période. L’anesthésie était pratiquée par six (6) médecins anesthésistes-réanimateurs et quatre (4) infirmiers anesthésistes. Le bloc opératoire comprenait : `
– deux salles d’opération (I, II) dont l’une pour : la chirurgie digestive, la gynéco-obstétrique, l’ophtalmologie et l’ORL et l’autre pour : l’orthopédi-traumatologie et la neurochirurgie.
– Un hall de lavage des mains qui se situe entre la salle I et II. - Une salle de stérilisation
– Un vestiaire.
Nous avons recueilli sur la fiche d’enquête les données socio- démographiques, les constantes (pression artérielle, pouls, fréquence respiratoire, saturation pulsée en oxygène), les antécédents (médicaux, chirurgicaux, anesthésiques et transfusionnels) les données cliniques et paracliniques,, la classification ASA, le type d’anesthésie et sa durée, les moyens de surveillance existants, les produits anesthésiques utilisés, le nombre d’anesthésistes et leur qualification, le type de chirurgie et la qualification des chirurgiens, le diagnostic préopératoire et les incidents et accidents peropératoires, et leur moment de survenue. Nous avons mis sous l’item « évènement indésirable (EI) » tous les accidents et incidents survenus pendant l’anesthésie.
Résultats
Nous avons colligé 351 patients anesthésiés. Le sex ratio était en faveur des femmes soit 1.27. La tranche d’âge de 26-30 ans était la plus représentée soit 17,9%
La césarienne était l’intervention la plus fréquente soit 20,5%
Antécédents :
83,3% des patients n’avaient aucun antécédent médical particulier. 91,1% des patients n’avaient aucun antécédent anesthésique.
Qualification de l’anesthésiste :
L’anesthésie a été réalisée dans 74,6% par des médecins anesthésistes réanimateurs
L’AG était la technique la plus pratiquée soit 56,4%, suivie de la rachianesthésie à 29,3%.
La chirurgie d’urgence était la plus importante soit 64,4%
La chirurgie gynéco-obstétrique était la plus fréquente soit 31.4% Toutes les anesthésies étaient réalisées sous monitorage (ECG, Spo2, FC, PANI, PAM et la FR).
Plus de la moitié de nos patients ont bénéficié d’une antibioprophylaxie soit 63,8%
Le propofol était l’agent d’induction le plus utilisé (49%) et l’isoflurane l’halogéné le plus utilisé soit 22,2%. Tous les patients opères sous anesthésie générale ont reçus du fentanyl
57,3% des interventions avaient une durée inférieure à 60min
Discussion
1. La fiche d’anesthésie :
Elle nous a permis d’enregistrer les caractères épidémio-cliniques des dossiers des patients opérés ; de suivre le déroulement chronologique et technique de l’acte anesthésique. Mais cependant, elle n’était pas appropriée pour le recueil des événements indésirables.
1.2 La notification des événements indésirables :
Nous avons noté une réticence des anesthésistes à rapporter les événements indésirables mineurs d’évolution spontanément favorable survenus au cours de l’anesthésie. Cette sous déclaration des événements indésirables pourrait s’expliquer par l’absence des fiches de recueil des Incidents et Accidents anesthésiques (FRIAA) d’une part et d’autre part par l’absence de cadre législatif approprié.
1.3 Les équipements et Infrastructures :
Nous notons la vétusté de certains équipements indispensables (table d’anesthésie avec un ventilateur pour le bloc traumatologique) pour la réalisation d’une anesthésie sécurisée et l’absence de SSPI. Comme l’ont démontré plusieurs études africaines [7, 8, 9,]. 2.
2. Données sociodémographiques
2.1. Sexe :
Notre étude à montré une prédominance féminine avec 56.1%. La prédominance du sexe féminin dans notre série s’expliquerait par la forte présence des pathologies gynéco-obstétriques.
2.2. Age :
La tranche d’âge des 26-30ans était la plus représentée avec 17.9% des patients. Dans la littérature africaine en dehors de quelques auteurs tel que BELKREZIA [10] au Maroc en 2002 ; la plupart des auteurs ont observé une population anesthésiée jeune [7, 8] Cette prédominance serait en rapport avec la population africaine qui est majoritairement jeune.
3. Antécédents des patients :
3.1. Antécédents médicaux :
Ils nt été observés chez 16,7% des patients dans le cadre de la chirurgie programmée. 3.2. Antécédents anesthésiques : 8,9% des patients avaient un ATCD anesthésique, et l’AG était la plus fréquente (100%)
4. Classification d’ASA :
53.3% des patients étaient ASA1, 14% ASA2 et 27,6% ASA1 U. La prédominance de la classe ASA1 dans notre série s’expliquerait par le jeune âge de la population d’étude.
5. Protocole Anesthésique
Proposé : L’anesthésie générale avait été proposée chez 56.4% des patients contre 43.6% d’anesthésie locorégionale. Le choix entre les différentes techniques d’anesthésie locorégionale était laissé à l’appréciation de l’anesthésiste au bloc opératoire.
6. Pratique de l’anesthésie :
6.1 Circonstance de réalisation de l’anesthésie :
Au cours de l’étude 35.6% des anesthésies ont été réalisées en chirurgie programmée contre 64,4% en urgence. Cette prédominance est contraire dans les études réalisées par BINAM F et col [8] et s’expliquerait par les difficultés que rencontrent les équipes techniques dans la prise en charge des urgences tant sur le plan matériel que sur celui du personnel qualifié.
6.2. Type de chirurgie :
La chirurgie gynéco-obstétrique représentait 31,4% des patients suivie de la chirurgie viscérale 26.5% des patients. Cette prédominance pourrait s’expliquer dans notre série par le taux élevé de la césarienne.
6.3. Profil de l’anesthésiste :
Dans notre série, 74.6% des anesthésies ont été réalisées par un médecin anesthésiste-réanimateur contre 25.4% par des ISAR. Ces observations tendent vers celle de la SFAR [1] qui rapportent 100% de responsabilité d’un Médecin Anesthésiste. Ce taux élevé s’expliquerait par la présence quasi-constante d’un médecin permanent et d’un Médecin de garde au sein de la clinique d’une part et de l’indication opératoire qui ne relevant pas souvent de la compétence d’ISAR d’autre part.
6.4. Type d’anesthésie :
L’anesthésie générale était la plus pratiquée 56,4% contre 44.6% d’ALR. La prédominance de l’AG dans notre série s’explique par le fait qu’elle est la mieux adaptée dans le contexte d’urgence qui est majoritaire par rapport à la chirurgie programmée (réglée).
6. 5. Les Drogues anesthésiques utilisées
En Prémédication : Deux familles de Drogues étaient utilisées : les Benzodiazépines (le Diazépam) et les antis cholinergiques (l’atropine).Le Diazépam était utilisé chez 2.3% des patients, suivi de l’association Diazépam+Atropine chez 3.7% des patients. 93% des patients n’ont pas été prémédiqués. Cette prédominance s’expliquerait du fait que la prémédication n’était pas systématique dans notre série En
Induction :
– Au cours de la rachianesthésie : La Bupivacaine 0.5% était la plus utilisée avec 43.1% ; suivi de Bupivacaine + Fentanyl (26.8%), et Bupivacaine 0.5%+Lidocaine 2% ;(13,4%)
–
Au cours de l’anesthésie générale : La combinaison narcotique+analgésique+curare était le protocole le plus utilisé avec 28,5% suivie de narcotique+analgésique 13.5%. Le Fentanyl était l’analgésique le plus utilisé au cours de l’induction chez tous les patients.
6.7. Mode ventilatoire :
Au cours de l’anesthésie générale, 25.1% des patients avaient bénéficié d’une ventilation contrôlée manuelle contre 28,5% d’assistance ventilatoire mécanique. Par contre en France la SFAR [1] retrouve 61% patients opérés sous anesthésie générale avec une assistance ventilatoire mécanique.
Ceci s’explique dans notre série par l’absence de respirateur fonctionnel dans le bloc de traumatologie.
6.8. Evénements Indésirables :
Dans notre série 14.5% des patients avaient présenté un événement indésirable au cours de l’intervention chirurgicale. L’hypotension artérielle isolée était prédominante avec 6,8% Tous ces patients l’ont développé. Les vasopresseurs ont été les plus utilisés dans la prise en charge de ces hypotensions, suivis des solutés de remplissage dont les macromolécules. Ces évènements indésirables relevés dans notre étude sont comparables à ceux retrouvés par d’autres auteurs africains comme Chobli au Bénin [14], Binam au Cameroun [15], Car il s’agit pour la plupart d’évènements indésirables cardiovasculaires. Cependant la proportion retrouvée dans notre étude reste largement inférieure. Différentes enquêtes épidémiologiques ont bien montré que les événements indésirables étaient fréquents au cours du réveil. Ainsi dans l’enquête de l’INSERM, la fréquence globale des accidents respiratoires était de 1,35/1000 anesthésies dont pratiquement 20% étaient constitués par les accidents respiratoires survenant au cours de la période du réveil (48 sur 268 accidents) [13]. Dans notre série, nous avons eu 0,6% d’EI respiratoires qui sont survenus aux différents temps de l’anesthésie. Parmi ces EI, nous avons colligé 0,3% de cas d’intubation difficile + désaturation. Laplace [12] a respectivement noté 36%. On pourrait expliquer ce dernier cas par le fait que leurs travaux ont porté uniquement sur les malades programmés en prospective et de l’absence de notification dans les dossiers. Dans notre série, 6,94% des patients ont bénéficié d’une transfusion sanguine en per opératoire. Mais les raisons qui les ont emmené à faire ces transfusions ne sont pas notifiées dans les dossiers. Nous n’avons noté aucun événement indésirable lié à la transfusion. Cependant il peut survenir des complications suite à cette opération.
7. Evolution :
Les événements indésirables avaient eu une évolution favorable dans 100% des cas. Nous avons enregistré 0.6% de décès en postopératoire au niveau de la réanimation à j7 ; pendant que TIRET et Col [17] en France trouvaient une mortalité per- opératoire plus basse avec 0.19%.
Conclusion
Cette étude portant sur l’ensemble de la population anesthésiée à la clinique médico chirurgicale Pasteur a mis en évidence la nécessité de l’acquisition de certains équipements (les respirateurs, les moniteurs multiparamétriques) et la création d’une Salle de Surveillance Post Interventionnelle. De même, l’importance d’une bonne organisation de la Consultation d’anesthésie s’est révélée nécessaire.
Références
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