Introduction
Complication paroxystique des syndromes vasculo-rénaux, l’éclampsie se définit comme étant la survenue, chez une patiente pré-éclamptique, de convulsions et/ou de troubles de la conscience ne pouvant être rapportés à une autre cause neurologique. En Occident, sa prévalence est de 0,2 % [1]. Dans la littérature africaine, elle oscille entre 0,2 % et 2 % [2,3]. Au Gabon, la prévalence est passée de 0,2 % en 1989 [3] à 0,5% dans le service de gynécologie-obstétrique du centre hospitalier de Libreville faisant de l’éclampsie, la deuxième cause de mortalité maternelle devant les avortements clandestins [4]. L’éclampsie peut survenir en pré-, per- ou post-partum et lorsque les crises convulsives surviennent au-delà de 48 heures après l’accouchement, on parle d’éclampsie retardée. Près de 40 % de ces éclampsies retardées ne présentent aucun symptôme de prééclampsie et surviennent après une grossesse et un accouchement normaux. Le diagnostic est alors rendu difficile. Nous rapportons le cas d’une patiente âgée de 32ans, ayant présenté une crise d’éclampsie retardée à j21 du post-partum après une grossesse non suivie et un accouchement à domicile.
Observation
Il s’agissait d’une patiente de 32ans multigeste, multipare (G5P5), hypertendue connue depuis 2 ans qui avait été reçue au service des urgences du centre hospitalier de Libreville pour altération de la conscience suite à cinq épisodes de crises convulsives à domicile. Ces épisodes survenaient 21 jours après un accouchement à domicile. Aux urgences, l’interrogatoire retrouvait une non- observance du traitement antihypertenseur, une absence de suivi prénatal de la grossesse et un accouchement à domicile. Des céphalées intenses résistantes au traitement antalgique, survenues quelques jours avant les crises convulsives et associées à une baisse de la sensibilité et de la motricité de l’hémicorps gauche étaient également signalées par la patiente. A l’examen, les paramètres anthropométriques étaient 120kg pour 185 cm soit un indice de masse corporelle (IMC) de 35kg/m2. La tension artérielle était à 199/127mmHg, la fréquence cardiaque à 90batt/min, la fréquence respiratoire à 16 cycles par minute, la température à 38°C et la saturation oxyhémoglobinique à 98%. A l’examen neurologique, on notait une altération de la conscience avec un score de Glasgow à 10/15 (E3V2M5), des pupilles normodilatées avec une bonne réactivité à la lumière, un déficit sensitivomoteur gauche à type d’hémiparésie. L’auscultation cardiaque et celle des vaisseaux du cou étaient sans particularité. L’examen retrouvait des oedèmes des membres inférieurs prenant le godet. Sur le plan biologique, on notait une élévation du taux d’acide urique à 706μmol/l et de la créatinine plasmatique à 172 μmol/l, une hypocalcémie à 2,08mmol/l, une hypomagnésémie à 0,46mmol/l. Les transaminases, la glycémie et l’ionogramme sanguin étaient dans les limites de la normale. La protéinurie à la bandelette était à 3 croix sans glucosurie. La tomodensitométrie cérébrale mettait en évidence un effacement des sillons corticaux, des vallées sylviennes, des citernes de la base et une hypodensité parenchymateuse prédominant sur la substance blanche responsable d’un oedème vasogénique diffus. Ces images étaient évocatrices d’une encéphalopathie hypertensive. Le diagnostic d’éclampsie retardée évoqué, la patiente était transférée dans le service de réanimation polyvalente pour prise en charge thérapeutique. A l’admission, après monitorage, examen clinique et vérification de la protéinurie à la bandelette, le sulfate de magnésium à visée anticonvulsivant et la nicardipine, antihypertenseur associés à des apports hydro-électrolytiques ont été administrés à la patiente par voie intraveineuse au pousse seringue électrique. L’évolution a été favorable, marquée par l’amélioration de l’état de conscience à J2, la maîtrise des chiffres tensionnels à J4, la récupération du déficit sensitivomoteur et l’amélioration des données biologiques, justifiant la décision de transfert dans le service de cardiologie.
Discussion
L’éclampsie est une complication redoutable de la toxémie gravidique. Elle peut survenir en pré-, per- ou post-partum et lorsque les crises convulsives surviennent au-delà de 48 heures après l’accouchement, on parle d’éclampsie retardée [5]. L’éclampsie du post-partum représente 11 à 44% des éclampsies [6]. La part des formes de survenue tardive entre 48 heures et quatre semaines après un accouchement est difficile à estimer. Les taux rapportés sont de 47 à 79% des éclampsies du post-partum [6]. Dans une étude cas-témoins, Mayi retrouvait 3% d’éclampsie de postpartum, sans préciser le taux d’éclampsie retardée [4]. Dicko et al rapportaient un cas d’éclampsie retardée à 90 jours [7]. Dans notre cas, la patiente avait présenté une éclampsie retardée survenue 21 jours après l’accouchement.
Un certain nombre de facteurs de risque de prééclampsie tels que le jeune âge (< 20 ans), la primiparité, les chiffres tensionnels supérieurs à 160/110 mmHg et le manque de surveillance prénatale sont classiquement reconnus [8] . Ces facteurs de risque ont retrouvés dans l’étude de Mayi au Gabon [4] et dans plusieurs autres études africaines [2,3]. La survenue de l’éclampsie chez la jeune primipare est liée à certains facteurs tels que l’inadaptation de l’organisme maternel aux modifications hémodynamiques et rénales ainsi qu’à l’hypoplasie utérine fréquente chez la jeune gestante. Le deuxième pic d’éclampsie relevé chez les patientes âgées de 30 à 34 ans comme dans l’étude de Baeta [9] pourrait être lié à une HTA chronique méconnue chez des multipares souvent âgées. Notre patiente associait plusieurs facteurs de risque : un âge élevé, une obésité morbide (BMI à 35kg/m2) et une hypertension chronique. Elle n’avait aucun suivi thérapeutique et n’avait fait aucune visite prénatale. Le moment de survenue de l’éclampsie est particulièrement révélateur du mauvais suivi de la grossesse dans nos pays [4, 10, 11]. Les patientes qui négligent les consultations prénatales ne sont pas sensibilisées sur les signes prédictifs d’éclampsie et ne peuvent pas les reconnaître lorsqu’ils surviennent.
Les céphalées, les troubles visuels, les douleurs épigastriques et des réflexes ostéotendineux vifs sont les seuls signes cliniques prédictifs d’éclampsie. L’un d’eux au moins est retrouvé dans 85% des cas [8]. Les patientes présentant une éclampsie retardée signalent dans les heures qui précèdent la crise, la survenue de ces signes prédictifs et reconnaissent ne pas avoir consulté de médecin [12]. Elles rattachent ces symptômes à la fatigue de la période postnatale. La patiente, dans notre cas, signalait des céphalées résistantes aux antalgiques habituels, des troubles visuels et déclarait qu’elle n’avait pas consulté de médecin pour ses céphalées rebelles aux thérapeutiques habituelles. L’hyperuricémie et la protéinurie sont des facteurs de risque d’éclampsie. Mais certaines études n’ont trouvé aucune corrélation significative entre protéinurie, quelle que soit sa quantité, et éclampsie [13, 14]. Le diagnostic d’éclampsie retardée est donc difficile à prévoir et à prévenir [5].
La tomodensitométrie et/ou l’IRM ne sont pas nécessaires au diagnostic ou au traitement. Si elles s’avèrent indiquées, l’IRM est plus performante. La crise éclamptique est le plus souvent liée à un vasospasme cérébral, l’encéphalopathie hypertensive étant plus rare [8]. Dans notre observation, l’image tomodensitométrique était en faveur d’une encéphalopathie hypertensive.
Le traitement, outre celui de l’hypertension artérielle menaçante, repose sur la lutte contre le vasospasme cérébral et la neuro-protection. Si au décours de la première crise, le sulfate de magnésium est le traitement de référence en prévention de la récidive [6,5,15-17], le diazépam reste le médicament de choix en présence d’une crise convulsive. La nicardipine, la dihydralazine occupent actuellement une place de choix dans la thérapie antihypertensive. La patiente a bénéficié dans le service d’un traitement à base de sulfate de magnésium et de nicardipine, conformément aux recommandations de la SFAR [8].
L’éclampsie est responsable d’une lourde morbi-mortalité materno-foetale. Dans les pays industrialisés, son incidence diminue chaque année grâce à la prise en charge adaptée et précoce des pré-éclampsies [18,19]. Elle reste très élevée dans les études africaines variant de 2 à 10 % [4,20]. L’évolution, dans notre cas, a été favorable sous traitement avec amélioration des chiffres tensionnels et régression du déficit hémicorporel.
Conclusion
Le diagnostic d’éclampsie retardé peut être rendu difficile en dehors du contexte de pré-éclampsie. Il doit toujours être évoqué chez toute patiente présentant des crises convulsives dans le postpartum. Un accent particulier doit être mis sur le dépistage des facteurs de risque au cours des consultations prénatales mais plus encore lors de l’admission en salle d’accouchement. Des campagnes de sensibilisation et des consultations prénatales devraient être menées par les sages-femmes et les gynécologues obstétriciens pour diminuer l’incidence de cette pathologie responsable d’une mortalité et une morbidité maternelle et foetale importante
Références
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